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Lu à l'assemblée publique de l'Académie Française, le 22 décembre 1763, jour de la réception de

l'auteur.

QUAND

UAND je compare à ces globes sans nombre,
A ces soleils dans le ciel suspendus,

Le grain de sable informe, aride et sombre,
Où l'homme et l'ours habitaient confondus;
Humilié de la faiblesse humaine,
Laissant errer mes yeux autour de moi,
Je me demande : Est-ce là le domaine
Où la nature avait placé son roi?

que

Et si l'enceinte où s'épuise ma vue,
Le cercle étroit décrivent mes yeux,
Et dont j'ai fait la limite des cieux,
N'était encor qu'un point dans l'étendue;
Loin des soleils qu'observa Cassini,
Si l'Éternel a, de ses mains fécondes,
Laissé tomber des millions de mondes,
Les a semés dans l'espace infini;
Dans cet espace immense, inaccessible,
Où te chercher, atome imperceptible,
Monde terrestre? et nous, ses habitans,
Que sommes-nous dans l'espace et le temps?
Que peut, hélas! ce corps faible et fragile?
Dans tous ses sens quelle imbécillité!
Dans les ressorts qui meuvent cette argile,
Que de rudesse et d'indocilité!

Dans la raison, dont cette âme est si fière,
Que d'imprudence et de futilité!

Et combien peu de force et de lumière!
Tout ici-bas n'est donc que vanité!

Et cependant voyez l'homme en sa sphère :
Voyez, amis, cet être ingénieux,
De la nature émule industrieux,
L'étudier au moment qu'elle opère;
Suivre son cours, épier son dessein,
Et de ses lois dévoilant le mystère,
Lui dérober les arts pris dans son sein.

Comme il ajoute à l'instinct qu'il imite!
Comme il sait même à ses faibles ressorts
Associer des mobiles plus forts,
Et de ses sens reculer la limite!
Armé du fer que ses mains ont battu,
De quelle audace osant livrer la guerre
Aux animaux, fiers tyrans de la terre,
Vainqueur du tigre å ses pieds abattu,
De sa dépouille il marche revêtu!
Comme il sait même à ses lois despotiques
Assujettir des monstres domestiques;
Soumettre au frein le coursier belliqueux;
Plier au joug, sous sa main menaçante,
Du fier taureau la tête mugissante,
Et partager ses travaux avec eux!

Si l'homme est grand, c'est par ce don sí rare
De suppléer à la nature avare :

C'est quand le feu, ce fléau menaçant,

De l'homme seul esclave obéissant,

Vient dans ses mains amollir et dissoudre

Ce fer, bientôt le rival de la foudre,

Ce fer terrible, et des présens des cieux

Le plus funeste et le plus précieux.

Si l'homme est grand, c'est quand lui-même en butte
Aux élémens contre lui déchaînés,

Par ses travaux il résiste à sa chute,
Qu'en un palais il transforme sa hutte,
Et qu'il apprend aux marbres étonnés

A se suspendre en voûte façonnés :
C'est quand il ose élever sur les ondes
Un pont flottant qui joigne les deux mondes,
Et commander à l'humide élément,

Sous ses vaisseaux, de fléchir mollement;
Tenir les vents enchaînés dans la toile;
Franchir les mers sur la foi d'une étoile;
Et si le ciel s'obscurcit un moment,
Au fer mobile, animé par l'aimant,
Laisser le soin de conduire la voile.

Si l'homme est grand, c'est quand des végétaux
Étudiant les vertus et les vices,

Il adoucit leurs sauvages prémices,
Et qu'il enseigne aux vallons, aux coteaux,
A se changer en jardins de délices,
Qu'en feu liquide il résout les métaux;
Qu'il décompose un mélange adultère;
Et que des sels épurant les cristaux,
Il rend pour lui leur poison salutaire :
C'est quand d'un œil qui sonde l'infini,
D'un pôle à l'autre il mesure l'espace,

Et
que du globe observant la surface,
Sur les deux flancs il le montre aplani.
C'est lorsque enfin, dans sa frêle structure,
Sa main légère et son regard subtil
Sait démêler jusques au moindre fil
De ces réseaux tissus par la nature.

Est-ce à l'instinct, secondé du hasard,
Que l'homme a dû ces prodiges de l'art?
Non, c'est à toi, compagne du génie,
Raison céleste, immortelle Uranie.
Mais l'infidèle, enclin à te trahir,
Porte avec lui ta secrète ennemie;
Et dans tes droits souvent mal affermie
A ta rivale on te voit obéir.

Fille des sens,

aimable enchanteresse,

Vive et féconde imagination,

Qui se défend de ta séduction?

Tu captivais les sages de la Grèce,

Tu les trompais, ces crédules amans.

Pour la nature ils prenaient tes fantômes;

Pour son histoire, ils donnaient tes romans :
L'un dans ton sein puisait ses élémens,
L'autre à ton gré combinait ses atomes.
Chacun se livre à tes songes divers
Par une secte, une secte est chassée;
Par une erreur, une erreur effacée
Chaque système est un nouveau travers;
Et du Portique en passant au Lycée,
Vous vous trouvez dans un autre univers.

Et toutefois quel respect fanatique,
Pour ces erreurs, n'ont pas eu nos aïeux ?
Malheur à qui leur dessille les yeux!
Malheur à qui touche à l'idole antique!
Si Copernic ose briser les cieux
De Ptolémée, il brave le tonnerre.
Si Galilée ose apprendre à la terre
Qu'elle décrit un orbe spacieux,
Ce Galilée est un audacieux

A qui le ciel veut qu'on livre la guerre.
Que de combats n'en a-t-il pas coûté
Pour nous tirer de notre vieille enfance?
Comme un fléau le vrai fut redouté;
Et contre lui l'homme était en défense.

Bacon parut dans ces temps orageux.
Des préjugés ennemi courageux,
Sur la physique il jette un œil sévère.
C'est un abîme où d'écueil en écueil
Il voit flotter l'ignorance et l'orgueil :
A la lueur trompeuse et passagère
Des feux volans répandus dans la nuit,
Il voit voguer l'opinion légère,

Qu'un souffle élève, et qu'un souffle détruit.

« Où sommes-nous ? dit-il ; quelle démence
Nous fait errer sur cette mer immense,
Sans gouvernail et dans l'obscurité ?
Ployons la voile où finit la clarté.

C'est bien assez qu'une vaine imprudence
Ait égaré l'univers deux mille ans.
Sachons douter. La tardive évidence
Veut qu'on la suive et non qu'on la devance;
Et la raison doit marcher à pas lents.

Mais des mortels peut-être le plus digne
De l'éclairer, l'égara de nouveau.
Lui qui, joignant le compas au niveau,
De l'évidence avait tracé ligne,
Descarte oublie et sa règle et ses lois :
Il s'abandonne à l'attrait du génie,
Se fait un monde, et dispose à son choix
De la matière à son gré définie.
Son plan, sublime en sa témérité,
Honorait trop la faible humanité.

Avec nos sens, et du point où nous sommes
De ce grand tout saisir l'immensité :

Projet hardi, mais en vain médité;

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Digne d'un dieu, mais trop grand pour des hommes ! Newton, plus sage en sa timidité,

Autour de lui chercha la vérité.

Il a saisi le fil du labyrinthe:

Mais pas pas il s'avance avec crainte,
Et pénétré d'un juste étonnement,
Il suit des faits le long enchaînement.
Dans sa retraite, asile du silence,
En mesurant les cieux, il les balance.
Tout est soumis à la commune loi;
Tout, dans le monde, attire tout à soi.
Que tour à tour la mer s'enfle et s'affaisse;
La même cause et l'élève et l'abaisse.
Qu'une comète aux cheveux enflammés

Ait fait pâlir nos aïeux alarmés,

Comme ils tremblaient au retour d'une éclipse,
L'homme aujourd'hui la voit, sans s'effrayer,
Håter sa course, et tracer cette ellipse
Dont le soleil est le brûlant foyer.

Poursuis, mortel; sur la nature entière
Il t'est permis d'étendre tes regards;
De calculer sa marche et ses écarts;
D'analyser un rayon de lumière.
Mais garde-toi de sonder les secrets
Que Dieu dérobe à tes yeux indiscrets;
De demander à la cause première
Quel fut son plan, ni quels sont ses décrets.

Je crains surtout un savant dogmatique
Qui, d'un air grave et d'un pas méthodique,

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