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Me fait marcher dans une obscure nuit,
En m'annonçant la clarté qui le fuit.

Rêveurs profonds, dans l'essence des choses
Avec quel sens croyez-vous pénétrer?
Par quel détour m'y ferez-vous entrer?
Nous éprouvons les effets; mais les causes.
Qui peut les voir? qui peut les démontrer ?
Le mouvement, la durée, et l'espace,
Sont un chaos ténébreux et profond
Où mon esprit s'abîme et se confond.
De la matière on touche la surface;
Mais qui jamais en a sondé le fond?
L'Etre enveloppe à nos yeux sa substance
D'un voile épais; et depuis que
l'on pense,
Fixe et mobile autour du même point,
Le cercle étroit de l'exacte évidence
Tourne sans cesse et ne s'élargit point.
Je vis, je sens, un Dieu m'a donné l'être;
Je ne sais quoi, que j'appelle des corps,
Ébranle en moi je ne sais quels ressorts :
Voilà, je crois, tout ce qu'on peut connaître
De soi, du monde, au dedans, au dehors.
Des vérités (1) voilà quel est le nombre.
Graves docteurs, en avez-vous appris
Une de plus? Vous nous en donnez l'ombre.
L'illusion règne dans vos écrits.

Embellissez du moins cette chimère.
Souvent Platon est menteur comme Homère;
Mais il en a le brillant coloris,

Triste Charron, tu n'as peint que toi-même,
En t'affligeant sur les malheurs d'autrui.
Plus ingénu, Montaigne, sans système,
Nous a peints tous en nous parlant de lui.
J'aime un censeur qui fait un badinage
De ses leçons; c'est l'adresse du sage.
L'homme est farouche; il faut l'apprivoiser.
Il est enfant; il le faut amuser.

Ne m'offrez donc qu'un miroir véridique,

(1) On ne parle ici que des vérités philosophiques.

Qui, sans flatter, corrige en imitant.
Peintre infidèle, injurieux critique,
S'il me noircit, je le brise à l'instant.

Docteurs amers, votre triste sagesse
N'est point la mienne, et je m'en applaudis.
Un dieu, sans doute, avec plus de largesse
M'eût pu doter. Quelquefois je lui dis:

α

Qui t'empêchait de me donner des ailes
Comme à l'oiseau qui plane aux champs de l'air?
Né pour jouir des clartés immortelles,
Étais-je fait pour ramper comme un ver?
Mixte bizarre et du singe et de l'ange,
D'un feu divin par ton souffle animé,
Les yeux au ciel et les pieds dans la fange,
Par un corps vil devais-je être opprimé?
De biens, de maux, à quoi bon ce mélange?
Ah! plus heureux, t'aurais-je moins aimé?
Pour toi ma plainte est-elle une louange ? »

Puis je reviens; et, pour me consoler,
Je dis : « Voyons, suis-je si misérable?
Un sort plus doux eût été préférable;
Mais, tel qu'il est, me doit-il accabler?
Ramper, voler, sont au fond même chose.
Qu'importe, hélas ! l'atome où l'on repose?
L'onde, la flamme, ou tel autre élément,
Subtil, épais, clair, obscur, sec, humide,
N'est bien ou mal que par le sentiment
Qu'on en reçoit où la douleur réside,
Là tout est mal; où le plaisir préside,
Là tout est bien. Le bœuf et la fourmi,
L'homme et la brute, ont le même ennemi;
C'est la douleur. Elle est un mal, sans doute :
A la nature il vient, je ne sais d'où;
Mais c'est le seul enfin qu'elle redoute.
Non, tu n'es point un mal, cruelle goutte,
Disait un sage; et ce sage était fou.

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A cela près, tout est bien dans le monde.
Pour nos besoins la nature est féconde.
Qui n'a qu'un sens ne connaît qu'un plaisir;
Mais il suffit à qui n'a qu'un désir,

La taupe, heureuse en fuyant la lumière,
Dans les sentiers qu'a creusés son museau,
Se dit tout bas : « Que je plains cet oiseau
Dont le soleil éblouit la paupière !

Il fuit la flèche; il trouve le réseau:
La mort l'assiége; et des parques funèbres
Sur lui sans cesse est levé le ciseau;

Tandis qu'au sein de ces douces ténèbres
De mes vieux ans tourne en paix le fuseau. »

Je suis comme elle aveugle en mon espèce,
Je le sais bien; mais faut-il pour cela
Me désoler, m'injurier sans cesse ?
Me suis-je fait? me suis-je placé là?
L'homme est superbe, il se flatte, il s'oublie:
Qu'importe, hélas! Cette utile folie
L'élève seule au-dessus du néant.
Il est un nain; il se croit un géant.
Laissez-le faire : il trouvera bien vite
De sa grandeur l'affligeante limite.
C'est un malheur d'être faible et léger;
Mais un plus grand, c'est de s'en affliger.
Si la fourmi, roulant deux grains de seigle,
Croit entasser Ossa sur Pélion,

Pour la punir de sa rébellion,

Du haut des cieux verrons-nous fondre l'aigle De Jupiter? Pour lui quel ennemi!

Il rit de l'homme, il rit de la fourmi.

Nous sommes vains; nous sommes dans la règle.
Altérons-nous son repos, son bonheur?
Quel intérêt l'engage à nous détruire?
Se venge-t-on de qui ne saurait nuire?
Non, la vengeance est fille de la
peur.
Dans les accès d'un zèle atrabilaire,
Vous avez beau m'annoncer son courroux;
Ce Dieu si bon, que vous nommez jaloux,
Ne se met pas comme vous en colère;
Et je serai reçu, sans vous déplaire,
Entre ses bras tout aussi-bien que vous.
De mon bonheur consolez-vous d'avance.
Pour son plaisir un dieu m'a fait; eh bien!
Je tâche aussi qu'il m'ait fait pour le mien,
Il me permet une douce existence.
Il en a fait le prix de l'innocence,

Cueillir des fleurs, en former le lien
Des faibles jours dont il est le soutien,
Ce n'est qu'user des dons qu'il me dispense.
Je vous révolte, et vous voudriez bien
Que, pour l'honneur de votre pénitence,
Il me damnât; mais il n'en fera rien.

Laissez-nous donc, importuns moralistes,
Jouir en paix; et cessez d'accuser
Les gens de bien qui savent s'amuser.
En êtes-vous meilleurs, quoique plus tristes?
Pourquoi changer, par vos froides raisons,
Ma gaîté folle, en un bon sens pénible?
Nous sommes tous aux Petites-Maisons.
Le sage ici n'est qu'un fou plus paisible.
Contre lui-même inspirez de l'effroi
A l'envieux qui ne se plaît qu'à nuire,
A ce cœur bas, sans pudeur et sans foi,
A ce brigand qui règne pour détruire,
Et dont la force est la suprême loi.
Mais nous, amis de la nature humaine,
Nous, dont le cœur n'a que de doux penchans,
Contre nous seuls aurions-nous de la haine?
Que ferions-nous si nous étions méchans?
L'humanité, comme elle a ses vipères,

Et ses vautours de rapine altérés,
Et ses lions de carnage énivrés;
N'a-t-elle pas ses colombes sincères,

Et ses moutons qui paissent l'herbe en paix,
Et ses oiseaux qui gazouillent au frais?
Pourquoi troubler, par vos plaintes amères,
De nos plaisirs les lueurs passagères?
Ils sont si courts et si peu dangereux!
On les compare à des ombres légères;
Soit mon sommeil est embelli par eux.
L'amour, le vin, nos amis, nos bergères,
Sont de faux biens; mais ils flattent nos voeux.
Ah! laissez-nous ces douceurs mensongères.
Avez-vous peur qu'on ne soit trop heureux?

ÉPITRE

A MADEMOISELLE GUIMARD,

Sur les aumônes qu'elle avait faites dans les grands froids de l'hiver de 1768.

EST-IL bien vrai, jeune et belle damnée
Que du théâtre embelli par tes pas,
Tu vas chercher, dans de froids galetas,
L'humanité plaintive, abandonnée;
Que cette main, qu'on baise nuit et jour,
Verse en secret les tributs de l'amour
Sur l'indigence à languir condamnée ?
Quoi! cette Hébé, de roses couronnée,
Qu'environnait un essaim d'étourdis,
En sœur du pot s'en va, dans un taudis,
Te soulager, famille infortunée!
Elle est, pour toi, l'ange du paradis;
Et tu la crois au moins prédestinée.
Au lieu des jeux, des amours, et des ris,
Qui voltigeaient sous ses riches lambris,
Quelle est sa cour? des marmots en guenille,
Un bon vieillard, une mère, une fille:
A ses genoux je les vois attendris ;

Les yeux en pleurs, je crois tous les entendre
Bénir le ciel qui la fit belle et tendre.
Tendre! oui, Guimard, sans tes jolis péchés,
Cent malheureux expiraient dans les larmes;
Et leur salut est le prix de tes charmes.
Oh! que du ciel les desseins sont cachés !
Rien n'est plus beau que de vivre en ermite,
Chacun le sait; cependant il est clair
Que, si Guimard eût été carmélite,

Cent malheureux seraient morts cet hiver.

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