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Dans le temple des lois fallait-il l'introduire?
Du haut de la tribune où, libre spectateur,
Tout un peuple en tumulte assiége l'orateur,
Qu'une voix lamentable, une voix effrayante
Trouble, intimide, apaise une foule ondoyante;
C'est là que les esprits, avec art maîtrisés,
Peuvent, comme les flots, être émus ou brisés,
Et
que des passions l'utile véhémence

Règne, comme les vents, sur une mer immense :
L'orateur, comme un dieu, préside à leur combat,
Les pousse ou les retient, les enfle ou les abat.
Mais où règne la loi tout est calme et paisible :
Le juge a déposé le droit d'être sensible;
Sa volonté captive a perdu son pouvoir :
Il faut donc l'éclairer, et non pas l'émouvoir.
Ainsi du moins pensait l'aréopage antique :
Il avait défendu qu'une voix pathétique
Vint remuer son âme et troubler sa raison.
D'une Circé nouvelle il craignit le poison,
Et brisa prudemment la coupe enchanteresse
Qui dans ses sens émus aurait porté l'ivresse.
Oui, qu'on assure aux lois d'aussi fermes soutiens,
Sage Athène; et dès lors tous nos vœux sont les tiens.
Pour ressembler aux dieux, ton sénat vénérable
Méritait de jouir d'un calme inaltérable (1).

Mais du milieu d'un monde où, rivale des lois,
L'opinion préside et recueille les voix,
Où la brigue a souvent tant d'adresse et de force
Où le crédit présente une si douce amorce,
Où l'orgueil suppliant est si souple et si bas,
Où l'intrigue rampante a semé tant d'appâts,
Qu'un juge, encor brûlant des feux de la jeunesse,
Plein des illusions qui l'obsèdent sans cesse,
Vienne à son tribunal opiner sur le sort
Du juste et de l'injuste, et du faible et du fort,
Et dans un seul instant, et d'un seul mot résoudre
Si la loi doit punir, si la loi doit absoudre;
Au crédit qui l'obsède, aux pleurs qui l'ont déçu,
Au choc des passions que son âme a reçu,

(1) Encore fut-il plus d'une fois corrompu lui-même.

Ne faut-il opposer qu'une raison tranquille,
Des plus grands intérêts contre-poids inutile?
Ah! trop faible jouet de mille affections,
Voulez-vous le sauver de leurs séductions,
Et de son équité raffermir la droiture,
Laissez à l'éloquence exalter la nature,

Et de l'enthousiasme allumez le flambeau :
Soudain l'amour du vrai, de l'honnête et du beau
Le zèle ardent du bien, l'attrait puissant du juste,
La honte d'avilir un ministère auguste,

L'horreur de s'abreuver des pleurs de l'innocent,
L'horreur de l'immoler au coupable puissant,
L'intérêt courageux qu'inspire la faiblesse,
La pitié, qui d'une âme annonce la noblesse,
La gloire, à qui le ciel, voyant l'homme abattu,
Commanda de venir relever la vertu,

Le dirai-je? la peur du reproche et du blâme,
Ensemble et de concert, vont agir sur une âme;
Et voilà quels ressorts il est beau de mouvoir.

Heureux cet âge d'or, où l'amour du devoir
N'avait à redouter ni l'erreur ni le vice!
La vérité, si chère au monde encor novice,
Pour gagner les esprits n'eut qu'à briller sur eux :
Les cœurs, simples comme elle, en étaient amoureux.
Mais quand des passions vint l'effroyable règne,
Lorsqu'on vit l'imposture arborer leur enseigne,
L'opinion la suivre, et la faible équité
Embrasser, en pleurant, sa sœur, la vérité;
Alors un dieu, touché de les voir délaissées,
Par la fraude et l'injure impunément blessées,
Un dieu prit leur défense; et ce fut là, dit-on,
Que de ses traits de flamme il foudroya Python,
Python, symbole affreux des passions rampantes,
Que l'éloquence atteint de ses flèches brûlantes,
Quand de leur souffle impur la noire exhalaison
Dérobe la justice aux yeux de la raison,

Et
que la vérité, dans sa splendeur première,
S'élance du nuage, et répand sa lumière.

DISCOURS EN VERS

SUR L'HISTOIRE;

Lu en partie à l'Académie Française, le 17 mai 1777, dans une séance particulière que l'empereur honorait de sa présence, et depuis dans l'assemblée publique du 19 janvier 1778, pour la réception de M. l'abbé Millot.

SUR le Nil autrefois, quand la main de la
parque
Du faîte des grandeurs renversait un monarque,
Au milieu de son peuple, à la face des cieux,
Les sages de Memphis, les organes des dieux,
Interrogeaient sa vie, et marquaient sa mémoire
Ou du sceau de la honte, ou du sceau de la gloire.

O combien la nature a perdu de ses droits!
Mais le ciel a permis, pour l'exemple des rois,
Que pour eux, sur la terre, il fût encore un juge,
Ni la mort ni l'oubli ne leur sert de refuge,
La vérité pénètre au-delà du tombeau,

Et dans la nuit des temps fait briller son flambeau,
C'est alors que, pareils à des oiseaux funèbres,
Les crimes révélés invoquent les ténèbres;
Mais produits au grand jour de la postérité,
Un vengeur les condamne à l'immortalité.
Ce vengeur est l'HISTOIRE; et son devoir suprême
Veut que l'homme, semblable à la vérité même,
Sans détour, sans faiblesse, au-dessus des égards
Qui d'un timide esclave offusquent les regards,
Ose être libre et juste, et laisse aux âmes viles
L'espérance et la crainte, également serviles.

O d'un devoir si saint comment ne pas frémir!
D'un devoir si cruel comment ne pas gémir!

Et quel homme assez dur, en passant d'âge en âge,
Sur l'abîme des temps où l'histoire surnage,

De ce malheureux monde y verra les débris,
Sans qu'une larme échappe à ses yeux attendris ?
Laissons aux élémens dévorer leurs victimes :
La nature a ses lois; ces lois sont légitimes :
Adorons en silence, et passons, consternés,
A travers ces volcans, dont les flancs calcinés
Couvent de nouveaux feux pour de nouveaux ravages.
Pardonnons à la mer d'engloutir ses rivages;
Pårdonnons aux fléaux leurs rapides fureurs;
Au tonnerre égaré pardonnons ses erreurs.

Mais parmi tant de maux répandus sur la terre,
S'il faut compter encor les crimes de la guerre,
La discorde civile et ses feux dévorans,

Les fautes des bons rois, les forfaits des tyrans,
De l'abus du pouvoir l'odieuse insolence,
La faiblesse opprimée et réduite au silence,
L'honneur même avili dévorant son affront,
Tandis que l'infamie ose lever le front,

Et que l'injure atroce, en tous lieux redoutée,
Foule aux pieds l'innocence obscure et rebutée;
Enfin, si dans ce monde absurde et criminel,
Le fanatisme règne au nom de l'Éternel,
Protégeant d'une main sa sœur la tyrannie,
De l'autre, menaçant la liberté bannie,
Armé, comme la mort d'une sanglante faux,
Allumant des bûchers, dressant des échafauds,
De meurtre et de débris couvrant la terre entière,
Et jusque dans les cieux portant sa tête altière;
Comment voir sans horreur, et comment retracer
Des maux que de son sang on voudrait effacer?
Quel tableau désolant pour les yeux de l'histoire !

Enfin quelque rayon de bonheur et de gloire,
Éclairant des vertus les monumens épars,
Vient, après un long deuil, consoler nos regards.
Un bon règne est pour nous comme une île enchantée
Qui s'élève au milieu d'une mer agitée :
Le voyageur y trouve un port délicieux;
Sur de fertiles bords il repose ses yeux;
Et le bruit menaçant de la vague en furie
Lui rend plus douce encor sa retraite chérie.

Ainsi lorsqu'un héros, tout brillant de vertus,
Un Solon dans Athène, ou dans Rome un Titus,
Vient faire aux nations adorer son empire,
Sous ses heureuses lois l'historien respire :
Comme un dieu bienfaisant il le montre aux humains;
Il croit sur un autel le placer de ses mains;
En songe il voit du moins renaître un si bel âge;
Du poids de vingt tyrans un bon roi le soulage.

Mais que ce bonheur même est changeant et léger!
Que le mal est durable, et le bien passager!
Cyrus par ses bienfaits va mériter sa gloire!
Il périt écrasé sous son char de victoire.
Au moment d'être juste, Alexandre arrivé,
Va consoler la terre! il en est enlevé.
Au coupable César à l'envi tout prospère;
Dans César vertueux Rome égorge son père.
Et pour ne rappeler que nos propres malheurs,
La France est inondée et de sang et de pleurs,
Henri lui tend les bras et prévient sa ruine;
Il va tout réparer; un monstre l'assassine.

Encore, hélas! combien le plus juste des rois
Voit mêler d'amertume aux douceurs de ses lois!
Rome, au lieu des beaux jours qu'annonçait Marc-Aurèle,
Vit les fléaux du ciel se rassembler sur elle.

Entre une peste horrible et des feux dévorans,
Le bienfaisant Titus régna sur des mourans.

C'est peu même, oui, c'est peu que les fléaux célestes :
Le cœur humain produit des poisons plus funestes.
Là fermente la haine, et de là sont éclos

L'envie et ses serpens, la fraude et ses complots.
Que dis-je? est-il au monde un si beau caractère,
Que d'un mélange impur quelque vice n'altère?
Partout la grandeur d'âme approche de l'orgueil;
Partout de la bonté la faiblesse est l'écueil;
La franchise est crédule et tient de la rudesse;
Dans son aimable excès l'indulgence est mollesse;
La justice inflexible exagère ses droits;
L'abus de la clémence avilit les bons rois;
Le noir soupçon voltige autour de la prudence;
La fière liberté touche à l'indépendance;
Le courage est bientôt fatigué d'obéir ;

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