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lité des événemens futurs, pour féduire l'efprit dont elle s'empare, pour y jetter le trouble & l'effroi. Prévenant en idée les malheurs qu'elle fuppofe, elle les multiplie, elle les exagere; & le mal qu'elle appréhende luit toujours à fes yeux. Elle nous tourmente, dit Charron, avec des marques de maux, comme l'on fait des fées aux petits enfans; maux qui ne font fouvent maux > que parce que nous les jugeons tels. La frayeur que nous en avons les réalife, & tire de notre bien même, des raifons pour nous en affliger. Combien de gens qui font devenus miférables, de peur de tomber dans la mifere; malades, de peur de l'être! Source féconde de chagrins, elle n'y met point de bornes ni d'adouciffement. Les autres maux fe reffentent pendant qu'ils exiftent; & la peine ne dure qu'autant que dure la caufe: mais la crainte s'étend fur le paffé, fur le préfent, fur l'avenir qui n'eft point, & qui peut-être ne fera jamais. Ennemie de notre repos, non-feulement elle ne connoît que le mal, fouvent à fauffes enfeignes; mais elle écarte, elle anéantit, pour ainfi dire, les biens réels dont nous jouiffons, & fe plaît à corrompre toutes les douceurs de la vie. Voilà donc une paffion ingénieufement tyrannique, qui, loin de prendre le miel des fleurs, n'en fuce que l'amertume, & court de gaieté de cœur au devant des triftes fonges dont elle eft travaillée.

Ce n'eft pas tout de dire qu'elle empoisonne le bonheur de l'homme; il faut ajouter qu'elle lui eft à jamais inutile. Je fçais que quelques gens la regardent comme la fille de la prudence, la mere de la précaution, & par conféquent de la fûreté. Mais y a-t-il rien de fi fujet à être trompé que la prudence? Mais cette prudence ne peut-elle pas être tranquille? Mais la précaution ne peut-elle pas avoir lieu fans mouvemens de

frayeur, par une ferme & fage conduite ? Con venons que la crainte ne fçauroit trouver d'apologie; & je dirois prefque, avec Mademoiselle Scudery, qu'il n'y a que la crainte de l'amour qui foit permife & louable.

Celle que nous venons de dépeindre, a fon origine dans le caractere, dans la vivacité inquiete, la défiance, la mélancolie, la prudence pufillanime, le manque de nerf dans l'efprit, l'éducation, l'exemple, &c.

Il faut, de bonne heure, rectifier ces malheureufes fources par de fortes réflexions fur la nature des biens & des maux ; fur l'incertitude des événemens qui font naître quelquefois notre falut des caufes dont nous attendions notre ruine; fur l'inutilité de cette paflion; fur les peines d'efprit qui l'accompagnent, & fur les inconvéniens de s'y livrer. Si le peu de fondement de nos craintes n'empêche pas qu'elles foient attachées aux infirmités de notre nature; fi leurs triftes fuites prouvent combien elles font dangereufes, quel avantage n'ont point les hommes philofophes qui les foulent aux pieds ! Ceux à qui l'imagination ne fait point appréhender tout ce qui eft contingent & poffible, ne gagnent-ils pas beaucoup à penfer fi fagement ? Ils ne fouffrent du moins que ce qui eft déterminé par le préfent ; & ils ne peuvent alléguer leurs fouffrances par mille bonnes réflexions. Effayons donc notre courage à ce qui peut nous arriver de plus fâcheux; défions les malheurs par notre façon de penfer ; & faififfons les armes de la fortune enfin, comme la plus grande crainte, la plus difficile à combattre, eft celle de la mort, accoutumons-nous à confidérer que le moment de notre naiffance eft le premier pas qui nous mene à la deftruction, & que le dernier pas, c'est celui du repos. L'intervalle qui les

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fépare, n'eft qu'un point, eu égard à la durée des êtres qui eft immenfe. Si c'eft dans ce point que l'homme craint, s'inquiete & fe tourmente fans ceffe, on peut bien dire que la raifon n'en a fait qu'un fou.

voure,

La Crainte étoit aufli une déeffe du paganisme. Elle avoit un temple à Sparte, l'endroit du monde où les hommes avoient le plus de bra& où ils étoient le moins dirigés dans leurs actions par la crainte, cette paffion vile " qui fit méprifer & le culte & les autels que Tullus Hoftilius fit élever à la même déeffe chez les Romains. La Crainte étoit fille de la Nuit ; j'a Fouterois volontiers & du Crime.

LE

CRI, CLAME U R.

E dernier de ces mots ajoute à l'autre une idée de ridicule par fon objet ou par fon excès. Le fage respecte le cri public, & méprise les clameurs des fots.

Cri d'armes ou cri de guerre. On appelloit ainfi certaines paroles en ufage chez nos premiers Français & chez les autres peuples de l'Europe, pour animer les foldats au combat, ou pour fe faire connoître dans les batailles & dans les tournois.

On trouve dans l'antiquité des traces de cette coutume, & fur-tout bien expreffément dans l'écriture au livre des Juges , chap. vij, où Gédéon donna, pour mot ou pour cri de guerre aux foldats qu'il menoit contre les Madianites ces paroles: Domino & Gedeoni; au Seigneur & à Gédéon.

Parmi les modernes, le cri de guerre étoit une fuite de la banniere; c'est-à-dire, que nul n'étoit reconnu pour gentilhomme de nom, d'armes & de cri, s'il n'avoit droit de lever banniere, l'un & l'autre fervant à mener des troupes à la guerre & à les rallier. Dans les batailles, les bannerets faifoient le cri; de forte que dans une armée il y avoit autant de cris, qu'il y avoit de bannieres ou d'enfeignes. Mais, outre ces cris particuliers, il y en avoit un général pour toute l'armée ; & c'étoit celui du général ou du roi quand il s'y trouvoit en perfonne. Quelquefois il y avoit deux cris généraux dans une même armée, lorfqu'elle étoit compofée de deux différentes nations. Ainfi, dans la bataille donnée entre Henri de Tranftamare & Pierre le Cruel en 1369, les Espagnols

du parti de Henri crierent: Castille au roi Henri, & les Français auxiliaires, commandés par Bertrand du Guefclin, prirent pour cri: Notre-Dame; Guefclin. Le cri général fe faifoit unanimement par tous les foldats en même tems à l'inftant de la mêlée, tant pour implorer l'affistance du ciel, que pour s'animer au combat les uns les autres ; & les cris particuliers fervoient aux foldats à s'entre-connoître, & aux chefs à démêler leurs foldats à les tenir ferrés autour de leur banniere, ou à les rallier en cas de befoin. Dans les tournois c'étoient les héraults d'armes qui faifoient le crilorfque les chevaliers étoient prêts d'entrer en lice. Le cri de la famille appartenoit toujours à l'aîné ; & les puînés ne prenoient le cri de leur maifon qu'en y ajoutant le nom de leur feigneurie.

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Mais le Roi Charles VII ayant établi des compagnies d'ordonnance vers l'an 1450, & difpenfé les Bannerets d'aller à la guerre accompagnés de leurs vaffaux, l'ufage du cri d'armes a été aboli; il ne s'eft confervé que dans les armoiries, auxquelles on joint fouvent le cri de la maifon. Le cri le plus ordinaire des princes, des chevaliers & des bannerets, étoit leur nom; quelques-uns ont pris le nom des maifons dont ils étoient fortis; d'autres, celui de certaines villes, parce qu'ils en portoient la banniere; ainfi le comte de Vendôme crioit: Chartres. Des princes & feigueurs très-considérables ont crié leurs noms ou ceux de leurs villes principales avec une espece d'éloge ainfi le comte de Hainaut avoit pour cri: Hainaut au noble comte ; & le duc de Brabant: Louvain au riche duc. La feconde maniere de cri étoit celui d'invocation; les feigneurs de Montmorenci crioient: Dieu aide ; & enfuite Dieu aide au premier chrétien, parce qu'un feigneur de cette maison reçut, dit-on, le premier

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