صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

Nous n'avons de fenfations à faire entrer en compte dans l'évaluation de notre bonheur & de notre malheur, que le plaifir & la peine.

Une peine ne differe d'une peine, & un plaifir ne differe d'un plaifir, que par la durée & par le degré.

Le momentum de la douleur & de la peine, est le produit inftantané de la durée par le degré. Ce font les fommes des momentum de peine & de plaifir paffés, qui donnent le rapport du malheur au plaifir de la vie.

Les Cyrenaïques prétendoient que le corps fourniffoit plus que l'efprit dans la fomme des momentum de plaifir.

Que l'infenfé n'étoit pas toujours mécontent de fon existence, ni le fage toujours content de la fienne.

Que l'art du bonheur confiftoit à évaluer ce qu'une peine qu'on accepte, doit rendre de plaifir.

Qu'il n'y avoit rien qui fût en foi peine ou plaifir.

Que la vertu n'étoit à fouhaiter qu'autant qu'elle étoit ou un plaifir préfent, ou une peine qui devoit rapporter plus de plaifir.

Que le méchant étoit un mauvais négociant; qu'il étoit moins à propos de punir que d'inftrui. re de fes intérêts. Qu'il n'y avoit rien en foi de jufte & d'injuste, d'honnête & de deshonnête.

Que de même que la fenfation, ne s'appelloit peine ou plaifir, qu'autant qu'elle nous attachoit à l'existence, ou nous en détachoit, une action n'étoit jufte ou injufte, honnête ou deshonnête, qu'autant qu'elle étoit permife ou défendue par la coutume ou par la loi.

Que le fage fait tout pour lui-même, parce qu'il eft l'homme qu'il eftime le plus; & que quelque heureux qu'il foit, il ne peut fe diffimu

les

ler qu'il mérite de l'être encore davantage. Ariftippe eut deux enfans, un fils indigne de lui, qu'il abandonna; une fille qui fut célebre par fa beauté, fes mœurs & fes connoiffances. Elle s'appelloit Arcté. Elle eut un fils nommé Ariftippe, dont elle fit elle-même l'éducation, & qu'elle rendit par fes leçons digne du nom qu'il portoit.

Ariftippe eut pour difciples Théodore, Synale, Antipater, & fa fille Arcté. Arêté eut pour difciple fon fils Ariftippe. Antipater enfeigna la doctrine Cyrénaîque à Epicnide, à Péribate; & Péribate, à Héfégias & à Anniceris, qui fonderent les fectes Hégéfiaques & Annicériennes, dont nous allons parler.

Hégéfias, furnommé le Phifithanate, étoit tellement convaincu que l'existence eft un mal, préféroit fi fincerement la mort à la vie, & s'en exprimoit avec tant d'éloquence, que plufieurs de fes difciples fe défirent au fortir de fon école. Ses principes étoient les mêmes que ceux d'Ariftippe; ils inftituoient l'un & l'autre un calcul moral. 1; mais ils arrivoient à des résultats différens. Ariftippe difoit qu'il étoit indifférent de vivre ou de mourir, parce qu'il étoit impoffible de favoir fi la fomme des plaisirs feroit, à la fin de la vie, plus grande ou plus petite que la fomme des peines; & Hégéfias, qu'il falloit mourir, parce qu'encore qu'il ne pût être démontré que la fomme des peines feroit à la fin de la vie plus grande que celle des plaisirs, il y avoit cent mille à parier contre un, qu'il en arriveroit ainfi, & qu'il n'y avoit qu'un fou qui dût jouer ce jeu-là: cependant Hégéfias le jouoit, dans le moment même qu'il parloit ainfi.

La doctrine d'Anniceris différoit peu de celle d'Epicure; il avoit feulement quelques fentimens affez finguliers. Il penfoit, par exemple, qu'on

D

ne doit rien à fes parens pour la vie qu'on en a reçue; qu'il eft beau de commettre un crime pour le falut de la patrie; & que de fouhaiter avec ardeur la prospérité de fon ami, c'est craindre fecrétement pour foi les fuites de fon adverfité.

Théodore l'Athée jetta, par fon pyrrhonifme, le trouble & la divifion dans la fecte Cyrénaïque. Ses adverfaires trouverent qu'il étoit plus facile de l'éloigner, que de lui répondre; mais il s'agiffoit de l'envoyer dans quelque endroit où il ne pût nuire à perfonne. Après y avoir férieufement réfléchi, ils le reléguerent, du fond de la Lybie, dans Athènes. Les juges de l'Aréopage lui auroient bien-tôt fait préparer la ciguë, fans la prote&tion de Démétrius de Phalère. On ne fait fi Théodore nia l'existence de Dieu, ou s'il en combattit feulement les preuves; s'il n'admit qu'un Dieu, ou s'il n'en admit point du tout ce qu'il y a de certain, c'est que les magiftrats & les prêtres n'entrerent point dans ces diftinctions fubtiles; que les magiftrats s'apperçurent feulement qu'elles troubloient la fociété; les prêtres, qu'elles renverfoient leurs autels, & qu'il en coûta la vie à Théodore & à quelques autres.

On a attribué à Théodore des fentimens trèshardis, pour ne rien dire de plus. On lui fait foutenir que l'homme prudent ne doit point s'expofer pour le falut de la patrie, parce qu'il n'eft pas raifonnable que le fage périffe pour des fous; qu'il n'y a rien en foi ni d'injufte, ni de deshonnête; que le fage fera, dans l'occafion, voleur, facrilège, adultère, & qu'il ne rougira jamais de fe fervir d'une courtifane en public. Mais le fçavant & judicieux Bruckher traite toutes ces imputations de calomnieufes ; & rien n'honore plus fon cœur, que le refpect qu'il porte à la mémoire des anciens philofophes, & fon efprit, que la maniere dont il les défend. N'est-il pas en effet

bien intéreffant pour l'humanité & pour la philofophie, de perfuader aux peuples que les meilleurs efprits qu'ait eus l'antiquité, regardoient l'exiftence d'un Dieu comme un préjugé, & la vertu comme un vain nom?

Cremère le cyrénaïque fut encore un de ceux que les prêtres du paganifme accuferent d'impiété, parce qu'il indiquoit fur la terre les endroits où l'on avoit inhumé leurs dieux.

Bion le Boristhénite paffa pour un homme d'un efprit excellent, & d'une piété fort fufpecte. It fut cynique fous Cratès; il devint cyrénaïque fous Théodore; il fe fit péripatéticien fous Théophrafte, & finit par prendre de ces fectes ce qu'elles avoient de bon, & par n'être d'aucune. On lui remarqua la fermeté d'Antifthène, la politeffe d'Ariftippe, & la diale&tique de Socrate. Il étoit né de parens très-obscurs, & ne s'en cachoit pas. On l'accufe d'avoir traité de fotife la continence de Socrate avec Alcibiade; mais on n'a qu'à confulter l'auteur que nous avons déja cité, pour connoître quel degré de foi il faut accorder à ces anecdotes fcandaleufes, & à quelques autres de la même nature. Les prêtres du paganifme ne pou. voient fupporter qu'on accordât de la probité aux inconvaincus de leur tems; ou ils leur reprochoient comme des crimes les mêmes foibleffes. qu'ils fe pardonnoient; ou ils en accufoient leur façon de penfer, quoiqu'avec des fentimens plus orthodoxes ils ne fiffent pas mieux qu'eux; ou ils les calomnioient fans pudeur, lorfqu'ils en étoient réduits à cette reffource: c'est toujours montrer de la piété envers les dieux, difoient-ils, que de dénigrer à tort & à travers ces hommes pervers.

Tels furent les principaux philofophes cyrénaïques. Cette fecte ne dura pas long-tems. Et comment auroit-elle duré? Elle n'avoit point fait d'éz

cole en Gréce; elle étoit divifée en Lybie, foup. çonnée d'athéïfme par les prêtres, accufée de corruption par les autres philofophes, & perfécutée par les magiftrats. Elle exigeoit un concours de qualités, qui fe rencontrent fi rarement dans la même perfonne, qu'il n'y a jamais eu que fon fondateur qui les ait bien réunies, & elle ne fe foutenoit que par quelques transfigures des Stoïciens , que la douleur défabufoit de l'apathie.

« السابقةمتابعة »