Elle feint d'être peu fenfible aux amours d'Hercule. Elle fe pique de connoître le génie des hommes, & de fe mettre au-deffus des foibleffes & des jaloufies de fon fexe. A l'en croire,,, elle a fou»lé aux pieds une vaine délicateffe, & » elle fçait quelle indulgence une fem» me doit à fon époux. Hercule, dit» elle l'a accoutumée depuis long-tems رو à devenir traitable fur cet article. La » compaffion d'ailleurs qu'elle s'eft fen» tie pour Iole montre affez, à l'enten»dre, combien peu elle eft jalouse d'une » rivale. Par cette pernicieuse adreffe, & par ce défintéreffement affecté Déjanire délivre Lichas de fes frayeurs. Puis lui montrant combien le menfonge eft odieux, chez les Grands fur-tout où l'on peut aisément le confondre elle le détermine à tout confeffer : ce qu'il fait, en difant que ce n'eft point par l'ordre d'Hercule qu'il a célé cette galanterie, puifqu'Hercule lui-même n'en fait pas myftere: mais par zele pour la Reine qu'il craignoit d'affliger. janire. Mais il l'a rendue beaucoup plus coupable. Toutefois on ne prétend pas dans cet expofé, approuver le Poëte Grec plus que le François, quoique Déjanire soit beaucoup plus excufable que Roxane. Car enfin, continue t'il, ce Héros » dont la valeur n'a rien trouvé d'infur» montable, eft devenu l'efclave de l'Amour. C'est ce qu'Ovide a rendu ainfi. * Quem numquam Juno feriefque immenfa laborum Fregerit, huic Iolen impofuisse jugum. La Reine n'en veut pas fçavoir daVantage: mais diffimulant toujours malgré la jaloufe fureur, elle promet de bien traiter fa captive, & ordonne à Lichas de rentrer pour attendre le préfent qu'elle deftine à fon époux en revanche de celui qu'elle en vient de recevoir. Elle rentre elle-même. Les filles du Chœur finiffent l'Acte par des réflexions fur le pouvoir de l'Amour. Des Dieux qu'il a domptés, elles paffent aux mortels, & décrivent le combat d'Hercule & du fleuve Achelous, au fujet de Déjanire. C'est une peinture vive & naturellement attachée au fujet. ACTE III. Tandis que Lichas prêt à partir entretient les captives, Déjanire fort pour onfier au Choeur fes douleurs cruelles, *OVID, Heroid. epist. 9. "Ah! s'écrie-t'elle, femblable à un Pi » lote abufé, qui reçoit dans fon vaif» seau un fardeau capable de le faire pé» rir, j'ai reçû entre mes bras ma rivale!.. » Les charmes naiffent de fes yeux & s'é › cartent des miens». Voilà ce qui la dé fefpere. Mais elle aime Hercule, tout in fidéle, tout inconftant qu'il eft; & pour fixer fon cœur, elle a employé un fecret qu'elle croit immanquable. Pour l'entendre, il faut fe reffouvenir de l'a vanture du Centaure Neffus. Hercule emmenoit Déjanire à Trachine, il s'agiffoit de paffer un fleuve. Neffus s'oc cupoit à tranfporter les paffans, & Her cule lui confia fon époufe. Mais com me le Centaure se mettoit en devoir de l'enlever, le fils d'Alcmene le perça de fes fléches trempées dans le fang em pefté de l'hydre de Lerne qu'il avoit tuée autrefois. Neffus prêt d'expirer dit à Déjanire que fi elle vouloit déformais ne plus craindre de rivale, elle devoit prendre de fon fang, qui feroit pour Hercule un philtre capable de le rappeller. Déjanire, curieufe & jaloufe le crut. Elle emporta de ce fang, comme Sophocle & Ovide le racontent. Elle dit donc qu'elle s'eft souvenue heureufement de ce philtre, & qu'elle en a une robe qu'elle envoye à Hercule. Cependant il lui prend un fcrupule fur l'effet incertain de cette dangereufe épreuye qu'elle n'a pas encore faite. Le Chœur même augmente fagement cette frayeur née du preffentiment. Mais la paffion empêche Déjanire d'y réfléchir davantage, fur-tout à la vue de Lichas, qui vient recevoir d'elle fes derniers ordres. Elle étouffe alors fes craintes, franchit le pas, & demande le fecret au Chœur fur cette efpece de magie. Ce fcrupule étouffé dès fa naiffance, eft très habilement ménagé par Sophocle, & on le fentira bien-tôt. La Reine donne donc à Lichas la robe deftinée à Hercule avec ordre de l'engager à s'en fervir au plutôt, pour paroître plus décemment aux facrifices. Car tel est le vœu qu'elle a formé au fujet du retour d'Hercule. Lichas prend la boëte toute cachetée du fceau de la Reine, lui promet de s'acquitter fidélement de fon devoir, & s'en va. Ovide exprime élégamment en deux mots l'innocence de Déjanire & de Lichas. Ignaroque Licha quid tradat nefcia luctus * OVID. Met. l. 9. v. 158. » Lichas ignore ce qu'il reçoit. Elle ig» nore elle même ce qu'elle donne à » Lichas, & ne sçait pas que ce dépôt » deviendra la matiere de fon deuil ». Cependant le Choeur fait des vœux en faveur d'Hercule, & conçoit d'heureufes efpérances fur fon retour. A CT E I V. Déjanire ainfi qu'on l'a obfervé, étoit dans la fituation où la malice du cœur humain luttant avec la droiture qui lui eft naturelle, balance entre le plaifir de fe fatisfaire & la crainte de faire mal: Lituation où d'ordinaire la paffion l'emporte fur le devoir. Car dans le doute, quand le cœur entre en négociation; il eft déja plufqu'à demi vaincu. Aussi Déjanire a-t'elle fuivi fon penchant fans fe donner le loifir d'examiner fi elle faifoit bien ou mal. La maniere même dont elle confultoit le Chœur fur fes doutes n'étoit qu'une adreffe de fa paffion, qui cherchoit un appui plutôt qu'un confeil. Le remords en eft le fruit. Rendue à elle-même après le départ de Lichas, elle revient faire part à fes Confidentes de la frayeur qu'elle reffent, & cherche à fe raffurer s'il eft poffible, |