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CREON. Hé bien, partez, Je délivre mon fils d'une Furie. (il fe retire.)

DIPE. J'admire & je fens votre tendreffe, ma fille; mais...

ANTIG. Quoi, j'épouferois le fils d'un Tyran, & j'abandonnerois le meilleur des peres?

DIP. Vivez heureuse; je fçaurai feul fupporter mes malheurs. ANTIG. Et qui prendra soin de vos jours? DIP. Je n'attends que la mort, en quelque lieu que le Destin daigne me l'offrir.

ANTIG. Le dirai-je, mon pere? je ne reconnois plus cet dipe qui a confondu le Sphinx.

DIP. Auffi n'eft-il plus; le jour qui le rendit heureux caufa tous fes malheurs, ANTIG. Et fa fille pourroit les voir fans s'y affocier !

DIP. Quel opprobre pour une Princeffe d'accompagner un Pere aveugle & banni!

ANTIG. Une Princeffe fiere peut avoir ces fentimens. Ce ne font pas ceux d'une fille à l'égard d'un pere.

CDIP. Hé bien, conduifez-moi à Votre mere,Difons-lui les derniers adieux. ANTIG. La voici. Touchez pour la derniere fois une fi chere main.

DIP. O Mere, ô épouse infortunée! ANTIG. Tous les maux fe font raf femblés fur elle. La morty amis le comble. DIP. Où font mes fils?

ANTIG. Les voici étendus l'un auprès de l'autre.

DIP. Conduifez ma main tremblante fur leurs vifages.

ANTIG. Satisfaites votre tendreffe, pour des fils qui ne font plus.

DIP. O reftes trop chéris! enfans malheureux du plus malheureux pere qui fut jamais !

ANTIG. Adieu, cher Polynice. Sois témoin de ma tendresse & de mon facrifice pour toi.

DIP. L'Oracle d'Apollon s'accom

plit, ma fille,

ANTIG. Quoi? avez-vous encore d'autres maux à m'annoncer?

PID. Je mourrai exilé à Athènes. ANTIG. A Athénes ! Et ofera-t'elle recevoir dipe?

DIP. La demeure facrée de Neptu→ ne, Colone me recevra. Ce fera mon afyle & mon tombeau. Partons, généreufe Antigone, puifque vous voulez-être compagne de mon exil : & conduifez mes pas mal affurés.

Le refte eft décrit avec cette naïveté

Grecque qui nous choqueroit. dipe demande fon bâton: Antigone le lui donne, & marque l'endroit où il doit pofer chaque pas, pour ne point broncher. L'un & l'autre après quelques retours fur leur félicité paffée & fur leur fortune préfente qui augmentent la compaffion des Spectateurs, fe retirent pour aller en exil, & finiffent la Tragédie.

Elle eft fort chargée d'évenemens ; mais qui tendent tous au même but. C'est proprement l'affemblage des infortunes d'Edipe & de fa Maifon. Le Poëte a voulu les réunir pour donner plus de jeu aux grands fentimens de pitié & de terreur qu'il prétendoit exciter. Le dernier Acte paroîtroit en partie poftiche comme celui d'Ajax chez Sophocle, fi l'on ne faifoit la réfléxion que j'ai si souvent infinuée, à fçavoir que n'être pas» inhumé, c'étoit chez les Anciens un fupplice plus redouté que le trépas. Ainfi la mort n'étoit pas pour leurs Héros de Théâtre un dénoument fuffifant. Il y falloit joindre les honneurs ou la privation du tombeau pour achever l'action. Et voilà fans difficulté la clef des dénoumens anciens, tant du Poëme épique comme dans Homere, où il s'agit des funérailles d'Hector, & de Ly

Patrocle, que de la Tragédie, comme Ajax, les Phoniciennes, & plufieurs autres, dont les dénoumens blefferont toujours, tant qu'on s'obftinera à ne pas entrer dans les principes reçûs de l'antiquité.

que

Je ne dis rien des autres défauts le Lecteur peut trouver ou difculper fuivant fon goût plus ou moins raffiné pour ou contre les manières anciennes. La piéce a été expofée affez fidélement & affez au long pour donner lieu de les remarquer. Quant aux mœurs, il y a par rapport à nous des chofes bien difficiles à goûter. A la vérité Etéocle eft coupable par fon injuftice & fon ambition, & Polynice quoique d'ailleurs fi aimable n'eft pas tout-à-fait innocent, pour avoir porté les armes contre fa Patrie. L'injuftice évidente de fon frere qui l'y contraint ne l'excufe pas; & voilà véritablement une de ces fituations fines & délicates fi propres à intéresser le Théâtre. D'ailleurs ces deux freres,. n'euffent-ils fait autre chofe que de cacher Edipe dans les ténebres du Palais,, font en cela même coupables, parce que le refpect pour un pere doit l'emporter fur toute autre confidération, & même: fur celle de s'épargner une grande confufon, chofe unique qu'ils appréhendoient,

Mais que dire d'Odipe, de Jocafte, & d'Antigone, qui ne font coupables que de crimes involontaires, & qui font réellement malheureux? Que dire de Créon, qui pour juftifier fon extrême rigueur & fa haine politique, fe fert du prétexte d'un Oracle de Tiréfias, & des dernieres volontés d'un ufurpateur, fi ce n'eft qu'il faut monter fon efprit à ces mœurs fi étranges pour nous, & qu'ordinairement on n'en eft pas capable, à cause de l'éloignement des tems & des idées ? Car comme dans les affaires de plaifir & de goût, la premiere impreffion est vive & fe tourne d'abord en préjugé, il eft naturel qu'on fe révolte & qu'on s'obstine contre des idées qui paroiffent fingulieres, & dont la fingularité fait évanouir le charme qu'elles ont produit autrefois dans d'autres efprits. Au refte cette Piéce fut couronnée fur le Théâtre d'Athènes.

Pour connoître de plus en plus la différence du goût Grec & de celui des autres fiécles, il ne faut pas omettre ici la Thébaïde de Séneque, quoique plus qu'à demi tronquée, ni celle de Racine bien qu'elle foit une de fes plus foibles Tragédies, ni même celle de Dolcè quoique traduite du Grec, & une partie de celle de Rotrou dont on a déja vu l'autre.

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