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vive après une fituation auffi violente que celle de la Scène précédente? La vérité eft qu'elle paroît ménagée exprès avec le chant pour adoucir l'impreffion faite fur les efprits, & pour les difposer à de plus grands efforts de paffion par un paffage doux & infenfible. C'est ce que Boileau dit en parlant de l'Auteur Tragique.

Il faut qu'en cent façons pour plaire il fe re-
plie,

Que tantôt il s'éleve, & tantôt s'humilie:
Qu'en nobles fentimens il foit par tout fé-
cond:

Qu'il foit aifé, folide, agréable, profond:
Que de traits furprenans fans ceffe il nous ré-

veille,

Qu'il coure dans fes vers de merveille en mer

veille,

Et que tout ce qu'il dit facile à retenir

De fon ouvrage en nous laiffe un long fouve

nir.

Ainfi la Tragédie marche, agit, & s'explique.

Voilà Euripide; & je ne doute pas que fes plus grands ennemis ne lui donnent une partie au moins des talens qu'exige ici Defpréaux, & particulierement celui qu'il fouhaite aux Poëtes.

* DES PR. Art. poët. ch. 3.

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Heureux qui dans ces vers fçait d'une voix lé

gere

Paffer du grave au doux, du plaifant au fé

vere.

Il faut en effet dans la Tragédie ménager les fentimens pour la fufpenfion des efprits, comme dans un tableau les couleurs pour le repos des yeux.

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Médée impatiente de fçavoir l'iffuë de fes préfens, qui tarde trop à fon gré, voit tout-à-coup arriver un Officier de Jafon dont les regards effarés montrent affez que tout eft en pleurs dans le Palais. Cet Officier par un refte de pitié pour fon ancienne Reine, s'écrie dès qu'il l'apperçoit : » Fuyez, malheureuse "Princeffe: fuyez, qu'attendez-vous ? » Glauca & Créon expirent victimes » de vos dons cruels «. Médée pour couronner fa joye fe fait raconter en détail cet horrible dénoument. » Ce » fera pour moi, dit-elle, un furcroît » délicieux de plaifir, fi j'apprens "que leur fupplice ait été affreux ". L'Officier fait fa narration en cette maniere. » Jafon avec les enfans entroit

», dans l'appartement nuptial. Nous com» mencions à goûter le plaifir d'une ,, heureuse réconciliation. Car le bruit » s'en étoit répandu à la Cour; & les » Courtisans s'empreffoient autour des » jeunes Princes. L'un leur prenoit la » main; l'autre les, embraffoit; moi» même comblé de joye je les fuivois » dans l'appartement des femmes. La Rei» ne d'un œil ferain aborde Jafon: mais » à peine a-t'elle apperçu ses fils qu'elle

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détourne les yeux: comme fi elle » eût été faifie d'horreur à cet afpect. » Jason toutefois a fçu la gagner par ce » peu de mots: Calmez votre colere, » Princeffe: pourquoi détourner vos re»gards? Les fils ne font pas moins à » vous que le pere. Daignez recevoir >> les dons qu'ils vous offrent, & obtenir » leur grace du Roi. Qu'ils éprouvent » vos bontés pour Jafon. La vûë des » préfens offerts adoucit le cœur de la Princeffe. Elle promet tout; & charmée de ces dons, elle attend le dé» part des Princes pour fe revêtir de la » robe. Elle fe met la couronne fur la tête, & confultant le miroir pour arranger fes cheveux, elle goûte une fecrete complaifance à l'afpect de cet»te parure. Elle fe leve; elle fait plu

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»fieurs tours avec des regards fur elle » même, & des airs qui marquoient affez » la vaine joye dont elle fe repaiffoit. » Mais bien-tôt après (quel affreux » spectacle?) Nous l'avons vue changer », de couleur. Ses genoux fe dérobent » fous elle. A peine peut-elle fe foute› nir un moment. Elle retombe fur fon Thrône. Une de fes femmes la croyant frappée du Dieu Pan ou de quel» qu'autre Divinité ennemie, s'effraye » & appelle du fecours. En effet, on », voit l'écume fur fes levres, fes yeux » éteins & égarés, & tout fon corps » fans couleur. Elle jette d'horribles "" cris: toute la Cour s'émeut, & les » femmes courent çà & là, les unes » vers le Roi, les autres à Jafon. Le » mal étoit au comble. Elle étoit fans » voix: fes yeux fe fermoient à la lu» miere. Incontinent elle foupire, elle "fe réveille, mais pour lutter avec un "double mal. Car la couronné qui en"vironnoit fa tête jettoit un tourbillon » de flammes, & la robe empoisonnée » la confumoit. Toute entourée de feux, elle fe fuit elle-même, & fecouant fa chevelure, elle tâche d'arracher la fa» tale couronne. Vains efforts: plus elle » en fait, plus la Hamme redouble. En

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» fin, elle tombe méconnoiffable à tout » autre œil qu'à celui d'un pere, tant fa beauté étoit défigurée. L'éclat de » fes yeux & de fon teint avoit disparu. "Le fang mélé de feu lui inondoit le » vifage. Les chairs mêmes tomboient » comme les goûtes ardentes d'un flambeau. Les os étoient découverts: loin » d'ofer toucher ce cadavre enflammé, à peine pouvoit-on en foutenir la vûë. » Son déplorable pere qui ignoroit ce » qu'il alloit lui en coûter, entre enfin, » & fe jettant fur le corps de fa fille ›› avec de grands cris, il le tient ferré » dans fes bras. Fille infortunée, dit-il, » qui des Dieux t'a fi cruellement frap»pée, pour me précipiter au tombeau ? "Oui, je veux t'accompagner aux En»fers. Après ces premiers transports » de douleur, il veut se relever. Mais, ,, hélas, les funeftes ornemens de la fille », s'attachent au corps du pere, comme » le lierre au laurier. Vainement il s'ef» force de les détacher; 11 fe fent arrêté. S'il redouble fes efforts, la chair eft enlevée. Les forces l'abandonnent; & contraint de céder au poifon il ex» pire entre les bras de fa fille. Enfin, » la fille & le pere font étendus par » terre; fpectacle capable d'attendrir,..

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