صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

n'a pas le fens commun, tant elle cherche à dire des chofes fpirituelles, & qui roulent toujours fur la pointe d'une éguille. Car l'enthoufiafme des Tragiques de ce fiécle a cela: il croît, il enchérit toujours fur le même ton, femblable à ces Piéces de Mufique frélattée qui fur la même note fe multiplient à l'infini. Au reste, toute la tirade de Déjanire ne veut fignifier autre chofe, finon qu'elle eft au désespoir & qu'elle veut le donner la mort. Elle fe taît chez Sophocle & s'en va. C'est un trait de maître, qu'un génie corrompu par le faux goût n'étoit pas capable de fentir. Mais le prétendu fublime qu'on a voulu fubftituer à ce fi lence éloquent le vaut-il ?

Cette tirade est suivie, comme à l'ordinaire, d'un cliquetis de vers & de demi vers entre Déjanire & fa confidente. Ce n'eft pas la méthode qui est blâmable; car elle eft bonne & ufitée au Theâtre. Quand elle est naturelle, rien n'eft plus vif, ni plus capable d'augmenter l'impreffion déja faite dans les cœurs. Mais auffi rien de plus infupportable, quand l'art s'y trouve tout pur fans la nature & fans autre feu que celui d'un déclamateur, qui n'eft qu'un feu em

prunté. Les plus ingénieufes penfées font alors dégoûtantes & fades. Un exemple: fuffira.

La confidente blâme Déjanire de ce qu'elle ne s'eft pas juftifiée auprès d'Hyllus,puifque l'effet du philtre eft l'effet de l'erreur, & non pas du crime. Oui, chez Sophocle, mais non chez Seneque. Suppofons toutefois que la femme d'Hercule foit innocente, comme le Poëte Latin le fuppofe affez gratuitement, après ce qu'elle a fait au fecond Acte: voici dans ce cas une partie des plus fupportables de la converfation en tre la Reine & la Confidente.

NUTRIX. Nocens videri qui cupit, mortem cupiri DEJA N. Mors innocentes fola deceptos facit. NUTRIX. Tiana fugies? DE JAN. Ipfe, ma Titan fugit.

NUTRIX. Vitam relinques mifera ? DEJA N. Ai Alciden fequar.

NUTRIX. Supereft, & auras ille cœleftes træk

hit.

DEJAN. Vinci Hercules cum potuit, hinc cœpis mori,

LA CONFIDENTE, fouhaiter la mort, c'est vouloir paroître coupable. DÉJANIRE. La mort feule juftifie les Crimes de furprife,

'LA CONFID. Vous fuirez la lu miere du jour ?

DÉJANIRE. C'eft-elle qui me déteste & me fuit.

LA CONFID. Vous quitterez la

[blocks in formation]

DÉJANIRE. Etre vaincu, c'eft pour Hercule commencer de mourir.

Peut-être pourroit-on faire grace à ce morceau, s'il étoit feul: mais il eft pouffé trop loin, & environné de faux brillans qui le dégradent. La Confidente porte le zéle jufqu'à vouloir perfuader à fa maîtreffe qu'Alcide ne mourra point du venin de l'Hydre mélé à celui de Neffus; parce que ce Heros a tué l'Hydre & le Centaure, fans que leur venin lui ait été nuifible. Ces remontrances étant inutiles, elle a recours aux larmes & aux prieres. Mais Déjanire a pris fon parti. Elle ne veut être juftifiée qu'aux enfers. Elle demande à grands cris les fupplices de Sifyphe, d'Ixion, de Tantale, & des Danaïdes. Elle parcourt le grand nombre des époufes cruelles, pour engager les Dieux

[ocr errors]

à l'affocier à leurs peines, & lui fermer pour jamais l'entrée des champs Elyfiens. Un retour fur fon innocence la confole un moment.,, Grand Alcide, dic-elle, mon cœur fut innocent, ma main feule eft coupable».

Invite Conjux, innocens animus mihi,
Scelefta manus eft.

Elle eft prête de différer sa mort, & de l'attendre de la main d'Hercule, fi cela peut le fatisfaire. Elle fouhaite qu'il brife fon corps, comme il a fait celui de Lichas, & qu'il la jette jufques dans des villes écartées, jufqu'à un monde qui lui foit inconnu. Voilà une pensée burlesque qui gâte ce morceau, où il y a de belles chofes. Rotrou a imité en partie cette impertinence; & il a laiffé le refte, qui valoit mieux.

Que de cette montagne à tant d'autres fatale
Ce corps précipité jufqu'aux Enfers dévale !
Que mon fang fur ce mont fasse mille ruiffeaux,
Qu'à ces pierres mon corps laisse autant de morceaux,
Qu'en un endroit du roc ma main refte penduë >
Et ma peau
déchirée en d'autres étendue !

Une mort est trop douce, il faut la prolonger
Et mourir d'un feul coup, c'est trop peu le venget.

ROTROU Here, mour. A. III. Sc. IV.

Quoique ces vers, comme beaucoup d'autres, fentent le Poëme de la Pucelle, il eft bon de les préfenter aux Lecteurs, pour rendre plus fenfibles les divers changemens de la Poëfie, & l'Hiftoire du Gout que nous parcourons dans cer Ouvrage.

Hyllus, que Seneque suppose témoin du défefpoir de fa mere, n'a encore rien dit jufqu'ici. C'étoit long-tems se taire en pareille conjoncture. Mais enfin le voilà défabufé. Il veut donc engager Déjanire à épargner fes jours. Mais celle-ci le preffe au contraire de les avancer, & de la tuer de fa main, » Qui t'arrête, mon fils? ce crime fera » un effet de ta pieté... Tu balances, » & je t'ai enlevé Hercule. . . Si les forfaits te font inconnus, apprends d'une

mere à les commettre, &c. Après quelques autres traits qui reviennent à ceux-ci, Déjanire devient furieufe. Elle croit voir Mégére qui la pourfuit avec une torche ardente, les Enfers qui s'ou vrent, le Palais qui s'écroule, tout l'U nivers qui s'arme contr'elle. Ce font de belles images: mais tout ce fracas que fait publiquement une femme échevelée, eft justement le moyen qui l'empêche de fe donner la mort. Déjanire "fait

« السابقةمتابعة »