HIPPOLYTE. Recevez mes adieux, chafte Diane, foyez toujours heureufe, & confolezvous de mon trépas. J'oublie que mon pere m'a condamné, puifque vous l'ordonnez. J'ai toujours trop déféré à vos ordres, pour n'y pas foufcrire encore fur ce point. SCENE V I. THESEE, HIPPOLYTE, LE HIPPOLYTE. Les ténébres de la mort s'élévent déja fur mes yeux; recevez-moi entre vos bras, ô mon pere, & foutenez-moi. THÉSÉE. Ah, mon fils, mon cher fils, que décidez-vous de votre malheureux pere? HIPPOLYTE. J'expire, & déja je vois s'ouvrir les portes des enfers. THESÉE.10 * Me laifferez-vous en mourant le cœur fouillé d'un forfait ? Les Payens de l'antiquité fe croyoient expofés aux traits de Nemefis, c'eft-à-dire, de la Déeffe vengereffe du crime, fi l'inno Quoi? vous avez la générofité de me délivrer d'un crime fi affreux ? HIPPOLYT E. J'en jure par Diane. THÉSÉE. O fils trop généreux d'un pere trop criminel! HIPPOLYTE, Adieu, mon cher pere, pour la derniere fois, adieu. THÉSÉE. O vertu! ô tendresse! HIPPOLYTE. Priez les Dieux qu'ils vous donnent des fils qui me reffemblent. THÉSÉE. Ah, ne m'abandonnez pas. Vivez, Hippolyte, vivez. Ce HIPPOLYTE. que j'ai de vie & de force me 1 quitte. J'expire, ô mon pere, * voilezmoi promptement la tête. cent qu'ils avoient opprimé ne les délivroit du forfait & de la peine due au forfait, en leur pardonnant. * Suivant l'ufage dont on vient de parler› ci-deffus. M THÉSÉE. O Athènes, ô peuples de Pallas, quel Prince vous perdez !ô pere encore plus à plaindre !... ah cruelle Venus, que le fouvenir de ta vengeance demeurera profondément gravé dans mon cœur ! LE CHEU R. Quel deuil inopiné pour les peuples! que de larmes vont couler! non, il n'est point de cœur infenfible à la mort d'un Prince qui mérite d'être pleuré. 14 REFLEXIONS SUR L'HIPPOLYTE D'EURIPIDE, ET SUR LA PHEDRE DE RACINE. M Phedre a pris une route un peu ONSIEUR Racine dans fa differente d'Euripide. Car, 1°. Pour amener l'épisode ou l'action fubalterne, fi fort à la mode fur notre Théâtre, & dont il femble ne pouvoir plus fe paffer, ce grand Poëte déguise prefqu'entierement Hippolyte, & loin de le fuppofer Philofophe & infenfible aux traits de l'amour, comme il l'étoit, il le fait amoureux, & amoureux d'Aricie fille de ce Pallas, que Théfée avoit fait mourir par politique; ce qui fert véritablement à donner une nouvelle activité à la paffion de la Reine, qui découvre avec un mouvement jaloux qu'elle a une rivale. 2o. Il met fur le compte de la confidente de Phédre le deffein d'accufer Hippolyte. Cela lui a paru trop bas pour une Princeffe, fuivant nos manieres; Moi, dit-elle, que j'ofe opprimer & noircir A.III. l'innocence ! Cependant la chofe revient prefqu'au même, puifque chez lui Phédre permet & autorife dans l'efprit de Théfée cette horrible accufation. St. III. Fais ce que tu voudras, je m'abandonne à Ibid. toi ; Dans le trouble où je fuis, je ne puis rien Et cela fur le principe d'Oënone fa confidente. Le fang innocent dût-il être verfé; Que ne demande point notre honneur me nacé ? C'eft un thréfor trop cher pour ofer le com mettre : Quelque loi qu'il vous dicte, il faut vous y foumettre Madame, & pour fauver notre honneur combattu, Il faut immoler tout, & même la vertu. Ibid. |