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plupart des hommes; et il en est peu qui, dans leurs rêveries, ne s'amusent, comme je fais, à régler le sort des États. C'est le délire du vulgaire, dit Justinien, mais la plus digne méditation du sage.

L'empereur se retira frappé de tout ce qu'il venait d'entendre; et le soir même, à son souper, il ouït dire à ses courtisans que jamais l'empire n'avait été plus florissant et plus heureux. Sans doute, leur dit-il, l'empire est florissant, car vous nagez dans l'abondance; il est heureux, car vous vivez dans le luxe et l'oisiveté. Ici les peuples ne sont comptés pour rien, et la cour est pour vous l'empire. Ces mots leur firent baisser les yeux. Ils ne doutèrent pas que la mélancolie où l'empereur était plongé ne fût la suite des entretiens qu'il avait eus avec Tibère. Tibère, disaient-ils, est un jeune enthousiaste qui a la folie de l'humanité. Rien de plus dangereux ici qu'un homme de ce caractère; il faut tâcher de l'éloigner.

CHAPITRE XII.

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Le lendemain, tandis que cette intrigue occupait la cour, le bon aveugle et ses deux hôtes avaient repris leurs entretiens.

Un prince qui veut régner par lui-même, leur disait-il, doit savoir tout simplifier. Son premier soin est de bien connaître ce qui est utile à ses peuples, et ce qu'ils attendent de lui (1). Cela seul, dit Tibère, est une étude immense. Elle est très simple, dit le héros ; car les besoins d'un seul sont les besoins de tous, et chacun de nous sait par lui-même ce qui est utile au genre humain. Par exemple, demanda-t-il au jeune homme, si vous étiez laboureur, qu'attendriez-vous de la bonté du prince? Qu'il m'assurât le fruit de mon travail, dit celui-ci; qu'il m'en laissât jouir, le tribut prélevé, avec mes enfants et ma femme : qu'il protégeât mon héritage contre la fraude et la rapine, et ma famille et moi contre la violence, l'injure et l'oppression. Hé bien, dit Bélisaire, voilà tout; et chaque citoyen, dans son état, n'en demande pas davantage. Et le prince, à son tour,

(1) Semper officio fungitur, utilitati hominum consulens etsocietati (CIG., Off., lib. 3, c. 6.)

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poursuivit le héros, qu'exige-t-il de ses sujets? -L'obéissance, le tribut, et des forces pour le maintien de sa puissance et de ses lois. — Cela est encore simple et juste, dit Bélisaire. Et les sujets, quels sont leurs devoirs réciproques?— De vivre en paix, de ne pas se nuire, de laisser à chacun le sien, et d'observer dans leur commerce la concorde et la bonne foi. Voilà, mon ami dit le vieillard, l'abrégé du bonheur du monde; et pour cela, vous voyez bien qu'il ne faut pas des volumes de lois. Il fut un temps où celles de Rome étaient écrites sur douze tables ce temps valait bien celui-ci. Le juste n'est que la balance de l'utile, et la mesure de ce qui revient à chacun de la somme du bien public. Que la seule équité préside à ce partage, son code ne sera pas long. Ce qui l'embrouille et le gros-sit, c'est le caprice minutieux d'une volonté arbitraire, qui érige en lois ses fantaisies, dont elle change à tout propos ; c'est la crainte pusillanime de ne pas donner à la liberté assez de liens qui l'enchaînent; c'est le jaloux orgueil de dominer, qui ne croit jamais faire assez sentir son pouvoir; c'est la manie de vouloir régler une infinité de détails, qui se règlent assez et beaucoup mieux d'eux-mêmes. On a fait sous ce règne une ample collection d'édits et de décrets sans nombre; c'est l'école des jurisconsultes, ce n'est pas l'école du peuple : or, c'est le peuple qu'il s'agit d'instruire de ses devoirs et de ses droits.

Chacun doit être son premier juge; chacun doit donc savoir ce qui lui est prescrit, défendu, permis par la loi (1). Il faut pour cela des lois simples, claires, sensibles, en petit nombre, et faciles à appliquer. C'est là surtout ce qui abrégera les détails de l'administration. Car dès que le peuple est instruit de ce qu'il doit, et de ce qui lui est dû, il est fier de sa sûreté et content de sa dépendance; il voit ce qui lui revient des sacrifices qu'il a a faits; et dans le bien public apercevant le sien, il révère l'autorité qui fait concourir l'un à l'autre. Pourquoi le voit-on si souvent impatient du joug des lois? parce que la rigueur est toute du côté des lois qui le gênent, et la mollesse et la négligence du côté des lois qui le favorisent et qui doivent le protéger. Or, la simplicité d'un code populaire remédierait encore à cet abus; car les juges voyant le peuple assez instruit pour les juger eux-mêmes, et en état de réclamer contre eux une loi précise et constante, ils n'oseraient plier la règle, ni changer de poids à leur gré.

Les plus abusives des lois, sont celles qui donnent prise sur les biens; car on n'en veut guère à la vie ni à la liberté des peuples; et quand on leur lie les mains, ce n'est que pour les dépouiller. Aussi, de mille excès commis par les

(1) Legis virtus hæc est: imperare, vetare, permittere, punire. (Pand. lib. 1, tit. 3.)

dépositaires de l'autorité, à peine y en a-t-il un seul qui ne soit pas le crime de l'avarice. C'est donc là que le prince doit porter la lumière, et commencer par éclairer la perception de l'impôt.

Tant que l'impôt sera multiplié, vague (1) et compliqué comme il l'est, la régie, quoi que l'on fasse, en sera trouble et franduleuse; il faut donc le simplifier. Que la loi qui le réglera soit précise et inaltérable; que le tribut lui-même, besoin de l'État (2), soit égal, aisé, naturel ; qu'il soit un ; qu'il soit appliqué à des biens réels et solides, réglé par leur valeur, et le même partout; le tribut, par exemple, que l'heureuse Sicile (3) payait avec joie aux Romains, celui dont la douceur fit adorer César dans les provinces de l'Asie (4). La fraude n'aura plus à se réfugier dans un dédale ténébreux d'édits absurdes (5) et

(1) Sub imperatoribus vectigalia, non lege ac ratione, sed arbitratu imperatorum processerunt. ( BULENG. de trib. ac vectig. P. R. )

(2) Nam neque quies gentium sine armis, neque arma sine stipendiis, neque stipendia sine tributis haberi queunt (TAC. Hist. liv. 4, ch.

74.)

(3) Omnis ager Siciliæ decumanus. (BULENG. de trib. ac vectig. P. R.) ·

(4) APPIAN. de Bell. civ. 1. 5. Pro anni copia vel inopia uberius (ex Asia) vel angustius vectigal exactum est (Item, Dio, 1. 45.)

(5) Les em pereurs avaient mis des impôts sur l'urine,

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