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conderaient les lois, et comme l'opinion soulagerait la force. Les espérances et les craintes, les récompenses et les peines, les jouissances et les privations: voilà les poids que la politique doit savoir mettre à propos dans la balance de la liberté; avec cela elle est sûre de régir à son gré le monde.

Mais je m'en tiens à ce qui nous occupe. Les mœurs fastueuses des grands les rendent avides etinjustes ; des mœurs plus simples les rendraient modérés, humains, généreux; et le plus grand intérêt du vice ayant passé à la vertu, le même penchant qui les portait vers l'un, les ramènerait tous vers l'autre.

Voilà un beau songe, dit Justinien ! Ce n'en est pas un, dit Bélisaire, que de prétendre mener les hommes par l'amour-propre et l'intérêt. Rappelez-vous comment s'était formé, dans la république naissante, ce sénat où tant de vertu, où tant d'héroïsme éclatait. C'est qu'il n'y avait alors dans Rome rien au-dessus d'une grande ame (1); c'est que l'estime publique était attachée aux mours honnêtes, la vénération aux mœurs vertueuses, la gloire aux mœurs héroïques. Tels ont été dans tous les temps les grands ressorts du cœur humain.

Je sais qu'une longue habitude, et surtout

(1) Dum nullum fastidiretur genus in quo niteret virtus, crevit imperium romanum. (TIT. LIv., 1. 4, c. 37.)

celle de la tyrannie, ne cède pas sans résistance aux motifs même les plus forts. Mais pour un homme injuste et violent qui se raidirait contre la crainte du blâme, de la disgrâce et du mépris, il y en a mille à qui ce frein, joint à l'aiguillon de la gloire, ferait suivre le droit sentier de l'honnéur et de la vertu. Je poursuis donc, et je suppose d'honnêtes gens à la tête des peuples. Dès lors je réponds sur ma vie de l'obéissance, de la fidélité, du zèle de cette multitude d'hommes qu'on n'opprimera plus, qu'on ne vexera plus, et dont les jours, la liberté, les biens, seront protégés par les lois. Dès lors l'empire se relève, ses membres épars se réunissent; le plan de Constantin, élevé sur le sable, acquiert des fondements solides; et du sein de la félicité publique, je vois renaître le courage, l'émulation, la force, l'esprit patriotique, et avec lui cet ascendant que Rome avait sur l'univers.

Tandis que Bélisaire parlait ainsi, Justinien admirait en silence l'enthousiasme de ce vieillard, qui, oubliant son âge, sa misère, et le cruel état où il était réduit, triomphait à la seule idée de rendre sa patrie heureuse et florissante. Il est beau, lui dit-il, de prendre un intérêt si vif à des ingrats. Mes amis, leur dit le héros, le plus heureux jour de ma vie serait celui où l'on me dirait : Bélisaire on va t'ouvrir les veines, et, pour prix de ton sang, tes souhaits seront accomplis. A ces mots, son aimable fille, Eudoxe, vint

l'avertir que son souper l'attendait. Il rentra, il se mit à table. Eudoxe, avec une grâce mêlée de modestie et de noblesse, lui servit un plat de légumes, et prit place à côté de lui. Quoi! c'est là votre souper, dit l'empereur avec confusion? Vraiment, dit Bélisaire ; c'était le souper de Fabrice, et Fabrice me valait bien.

Allons-nous-en, dit Justinien à Tibère. Cet homme-là me confond.

Sa cour, espérant de le dissiper, lui avait préparé une fête. Il ne daigna pas y assister. A table il ne s'occupa que du souper de Bélisaire; et en se retirant, il se dit à lui-même : Il est moins malheureux que moi, car il s'est couché sans remords.

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Je ne vis plus qu'auprès de lui, dit l'empereur à Tibère le lendemain, en allant revoir le héros: le calme et la sérénité de son ame se communiquent à la mienne; mais sitôt que je m'en éloigne, ces nuages qu'il a dissipés se rassemblent, et tout s'obscurcit de nouveau. Hier je croyais voir dans son plan le tableau de la félicité publique à présent ce n'est à mes yeux qu'un amas de difficultés. Le moyen, par exemple, qu'avec les frais immenses dont cet empire est chargé, on puisse soulager les peuples! Le moyen de renouveler des armées que vingt ans de guerre ont anéanties, et de réduire les impôts à un tribut simple et léger ! Il a tout prévu, dit Tibère, et il aura tout aplani. Proposez-lui vos réflexions. Ce fut par là qu'ils débutèrent.

Je savais bien, dit le vieillard, après les avoir entendus, que je vous laisserais des doutes; mais j'espère les dissiper.

Les dépenses de la cour sont réduites nous en avons banni le luxe et la faveur. Passons à la ville, et dites-moi pourquoi un peuple oisif et innombrable est à la charge de l'Etat? Le blé

qu'on lui distribue (1) nourrirait vingt légions. C'est pour peupler sa ville, et pour imiter Rome, que Constantin a pris sur lui cette dépense ruineuse. Mais à quel titre un peuple fainéant, qui n'est plus ni romain ni soldat, est-il à la charge publique ? Le peuple romain, tout militaire, avait le droit d'être nourri, même au sein de la paix, du fruit de ses conquêtes; encore ne demandaitil, dans les plus beaux jours de sa gloire, que des terres à cultiver ; et quand l'État lui en accordait, vous savez avec quelle joie il se répandait dans les champs. Ici, que faisons-nous de cette multitude affamée qui assiége les portes du palais (2)? Est-ce avec elle que j'ai chassé les Huns qui ravageaient la Thrace? Qu'on n'en retienne que ce que l'industrie en peut occuper et nourrir; du reste on fasse d'heureuses colonies : elles repeupleront l'État, et vivront du fruit de leur peine. L'agriculture est la mère de la milice; et ce n'est pas au sein d'une oisive indigence que s'élèvent de bons soldats.

et

que

(1) 40,000 boisseaux par jour; le boisseau, modius, d'un pied carré, sur quatre pouces de hauteur. Le pied romain, de dix de nos pouces. Le soldat n'ayant que cinq boisseaux par mois, ou le sixième d'un boisseau par jour; 40,000 boisseaux devaient nourrir 240,000 hommes.

(2) Et quem panis alit gradibus dispensus ab altis.

(PRUDENT. in Symmach., lib. 1, v. 583.)

Panes Palatini bilibres. La livre des Romains faisait dix onces de la nôtre. (BULENG, de-trib. ac vectig. pop. rom.)

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