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Mes enfants, dit le paysan à ses deux filles et à son fils, tombez aux pieds de ce héros ; c'est lui qui nous a sauvés du ravage des Huns: sans lui le toit que nous habitons aurait été réduit en cendres; sans lui vous auriez vu votre père égorgé et vos enfants menés en esclavage; sans lui, mes filles, vous n'auriez peut-être jamais osé lever les yeux : vous lui devez plus que la vie. Respectez-le encore davantage dans l'état où vous le voyez; et pleurez sur votre patrie.

Bélisaire, ému jusqu'au fond de l'ame d'entendre autour de lui cette famille reconnaissante le combler de bénédictions, ne répondait à ses transports qu'en pressant tour-à-tour dans ses bras le père et les enfants. Seigneur, Jui dirent les deux femmes, recevez aussi dans votre sein ces deux innocents dont vous êtes le second père. Nous leur rappellerons sans cesse le bonheur qu'ils auront eu de baiser leur libérateur, et de recevoir ses caresses. A ces mots, l'une et l'autre mère lui présenta son fils, le mit sur ses genoux; et ces deux enfants, souriant au héros et lui tendant leurs faibles mains, semblaient aussi lui rendre grâces. Ah! dit Bélisaire à ces bonnes gens, me trouvez-vous encore à plaindre? et croyez-vous qu'il y ait au monde en ce moment un mortel plus heureux que moi? Mais, ditesmoi, qui m'a fait connaître? Hier, lui dit le père de famille, un jeune seigneur nous demanda si nous n'avions pas vu passer un vieillard qu'il

nous dépeignit. Nous lui répondîmes que non. Hé bien, nous dit-il, veillez à son passage, et dites-lui qu'un ami l'attend dans le lieu où il doit se rendre. Il manque de tout; ayez soin, je vous prie, de pourvoir à tous ses besoins. A mon retour, je reconnaîtrai ce que vous aurez fait pour lui. Nous répondîmes que chacun de nous était occupé, ou du travail des champs, ou des soins du ménage, et que nous n'avions pas le loisir de prendre garde aux passants. Quittez tout plutôt, nous dit-il, que de manquer de rendre à ce vieillard ce que vous lui devez. C'est votre défenseur, votre libérateur, c'est Bélisaire enfin que je vous recommande; et il nous conta vos malheurs. A ce nom qui nous est si cher, jugez de notre impatience. Mon fils a veillé toute la nuit à attendre son général; car il a eu l'honneur de servir sous vos drapeaux, quand vous avez délivré la Thrace: mes filles, dès le point du jour, ont été sur le seuil de la porte. A la fin nous vous possédons. Disposez de nous,

biens : ils sont à vous. Le jeune seigneur qui vous attend vous en offrira davantage; mais tout le peu que nous avons, nous vous l'offrons au moins d'aussi bon cœur.

Tandis que le père lui tenait ce langage, le fils, debout devant le héros, le regardait d'un air pensif, les mains jointes, la tête baissée, la consternation, la pitié, et le respect sur le vi

sage.

Mon ami, dit Bélisaire au vieillard, je vous rends grâce de votre bonne volonté. J'ai de quoi me conduire jusqu'à mon asile. Mais, dites-moi si vous êtes aussi heureux que bienfaisant. Votre fils a servi sous moi ; je m'intéresse à lui. Est-il sage? Est-il laborieux? Est-il bon mari et bon père? Il fait, répondit le vieillard attendri, ma consolation et ma joie. Il s'est retiré du service, à la mort de son frère aîné, couvert de blessures honorables; il me soulage dans mes travaux ; il est l'appui de ma vieillesse ; il a épousé la fille de mon ami; le ciel a béni cette union. Il est vif; mais sa femme est douce. Ma fille que voilà n'est pas moins heureuse. Je lui ai donné un mari jeune, sage et homme de bien, qu'elle aime et dont elle est aimée. Tout cela travaille à l'envi, et me fait de petits neveux, dans lesquels je me vois revivre. J'approche de ma tombe avec moins de regret, en songeant qu'ils m'aimeront encore, et qu'ils me béniront quand je ne serai plus. Ah! mon ami, lui dit Bélisaire, que je vous porte envie. J'avais deux fils, ma plus belle espérance je les ai vus mourir à mes côtés. Dans ma vieillesse, il ne me reste qu'une fille, hélas! trop sensible pour son malheur et pour le mien. Mais le ciel soit loué! mes deux enfants sont morts en combattant.pour la patrie. Ces dernières paroles du héros achevèrent de déchirer l'ame du jeune homme qui l'écoutait.

On servit un repas champêtre : Bélisaire y ré

pandit la joie, en faisant sentir à ces bonnes gens le prix de leur obscurité tranquille. C'est, disait-il, l'état le plus heureux, et pourtant le moins envié, tant les vrais biens sont peu connus des hommes.

Pendant ce repas, le fils de la maison, muet, rêveur, préoccupé, avait les yeux fixés sur Bélisaire, et plus il l'observait, plus son air devenait sombre et son regard farouche. Voilà mon fils, disait le vieux bon homme, qui se rappelle vos campagnes il vous regarde avec des yeux ardents. Il a de la peine, dit le héros, à reconnaître son général. On a bien fait ce qu'on a pu, dit le jeune homme, pour le rendre méconnaissable; mais ses soldats l'ont trop présent pour le méconnaître jamais.

Quand Bélisaire prit congé de ses hôtes : Mon général, lui dit le même, permettez-moi de vous accompagner à quelques pas d'ici. Et dès qu'ils furent en chemin : Souffrez, lui dit-il, que votre guide nous devance ; j'ai à vous parler sans témoin. Je suis indigné, mon général, du misérable état où l'on vous a réduit. C'est un exemple effroyable d'ingratitude et de lâcheté. Il me fait prendre ma patrie en horreur; et autant j'étais fier, autant je suis honteux d'avoir versé mon sang pour elle. Je hais les lieux où je suis né, et je regarde avec pitié les enfants que j'ai mis au monde. Hé! mon ami, lui dit le héros, dans quel pays ne voit-on jamais les gens de bien vic

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times des méchants? Non, dit le villageois, ceci n'a point d'exemple. Il y a dans votre malheur quelque chose d'inconcevable. Dites-moi quel en est l'auteur. J'ai une femme et des enfants; je les recommande à Dieu et à mon père; et je vais arracher le cœur au traître qui... Ah! mon ́enfant, s'écria Bélisaire, en le serrant dans ses bras, la pitié t'aveugle et t'égare. Moi, je ferais d'un brave homme un perfide! d'un bon soldat un assassin! d'un père, d'un époux, d'un fils vertueux et sensible, un scélérat, un forcené! c'est alors que je serais digne de tous les maux que l'on m'a faits. Pour soulager ton père et nourrir tes enfants, tu as abandonné la défense de ta patrie; et pour un vieillard expirant, à qui ton zèle est inutile, tu veux abandonner ton père et tes enfants! Dis-moi, crois-tu qu'en me baignant dans le sang de mes eunemis, cela me rendît la jeunesse et la vue? En serais-je moins malheureux, quand tu serais criminel? Non; mais du moins, dit le jeune homme, la mort terrible du méchant effraiera ceux qui lui ressemblent : car je le prendrai, s'il le faut, au pied du trône ou des autels, et, en lui enfonçant un poignard dans le sein, je crierai : C'est Bélisaire que je venge. Et de quel droit me vengerais-tu, dit le vieillard d'un ton plus imposant? Est-ce moi qui te l'ai donné, ce droit que je n'ai pas moi-même? Veux-tu l'usur per sur les lois? Qu'elles l'exercent, dit le jeune homme; on s'en reposera sur elles. Mais puis

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