صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

CHAPITRE VI.

BELISAIRE, en ce moment même, entrait dans la cour du château. Le fidèle Anselme le voit, s'avance, reconnaît son maître, et transporté de joie, court au-devant de lui. Mais tout à coup s'apercevant qu'il est aveugle: O ciel, dit-il, ô mon bon maître! est-ce pour vous revoir dans cet état que le pauvre Anselme a vécu! A ces paroles entrecoupées de sanglots, Bélisaire reconnaît Anselme, qui, prosterné, embrassé ses genoux. Il le relève, il l'exhorte à modérer sa douleur, et se fait conduire vers sa femme et sa fille.

Eudoxe, en le voyant, ne fait qu'un cri, et tombe évanouie : Antoninè, qu'une fièvre lente consumait, comme je l'ai dit, fut tout à coup saisie du plus violent transport. Elle s'élance de son lit avec les forces que donne la rage, et s'arrachant des bras de Tibère et de la femme qui la gardait, elle veut se précipiter. Eudoxe, ranimée à la voix de sa mère, accourt, la saisit, ét l'embrasse. Ma mère, dit-elle; ah, ma mère ! ayez pitié de moi. Laissez-moi mourir, s'écriait cette femme égarée. Je ne vivrais que pour le venger, que pour aller leur arracher le cœur, Les monstres! voilà sa récompense! Sans lui, vingt fois ils auraient été ensevelis sous les cendres

[merged small][graphic][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed]

de leur palais. Son crime est d'avoir prolongé leur odieuse tyrannie... Il en est puni; les peuples sont vengés... Quelle férocité! Quelle horrible 'bassesse!... Leur appui! leur libérateur!.... Cour atroce! conseils de tigres!... O ciel! est-ce ainsi que tu es juste? Vois qui tu permets qu'on opprime; vois qui tu laisses prospérer.

Antonine, dans ses transports, tantôt s'arrachait les cheveux et se déchirait le visage; tantôt ouvrant ses bras tremblants, elle courait vers son époux, le pressait dans son sein, l'inondait de ses larmes; et tantôt repoussant sa fille avec effroi : Meurs, lui disait-elle, il n'y a dans la vie de succès que pour les méchants, de bonheur que pour les infames.

De cet accès, elle tomba dans un abattement mortel; et ces violents efforts de la nature ayant achevé de l'affaiblir, elle expira quelques heures après.

Un vieillard aveugle, une femme morte, une fille au désespoir, des larmes, des cris, des gémissements, et pour comble de maux, l'abandon, la solitude et l'indigence, tel est l'état où la fortune présente aux yeux de Tibère une maison trente ans comblée de gloire et de prospérité. Ah! dit-il, en se rappelant les paroles d'un sage, voilà donc le spectacle auquel Dieu se complaît, l'homme juste luttant contre l'adversité, et la domptant par son courage!

Bélisaire laissa un libre cours à la douleur de

[ocr errors]

sa fille, et lui-même il s'abandonna à toute son affliction; mais après avoir payé à la nature le tribut d'une ame, sensible, il se releva de son accablement avec la force d'un héros.

Eudoxe étouffait ses sanglots de peur de redoubler la douleur de son père. Mais le vieillard qui l'embrassait se sentait baigné de ses pleurs. Tu te désoles, ma fille, lui dit-il, de ce qui doit nous affermir, et nous élever au-dessus des disgrâces. Après avoir expié les erreurs de sa vie, ta mère jouit d'une éternelle paix ; et c'est elle à présent qui nous plaint d'être obligés de lui survivre. Cette froide immobilité, où elle laisse sa dépouille, annonce le calme où son ame est plongée. Vois comme tous les maux d'ici-bas sont vains: un souffle, un instant les dissipe. La cour et l'empire ont disparu aux yeux de ta mère; et du sein de son Dieu, elle ne voit ce monde que comme un point dans l'immensité. Voilà ce qui fait, dans le malheur, la consolation et la force du sage, - Ah! donnez-la-moi, cette force que la nature me refuse, pour résister à tant de maux. J'aurais supporté la misère; mais, voir une mère adorée mourir de douleur dans mes bras! vous voir, mon père, dans l'horrible état où la cruauté des hommes vous a mis! Ma fille, lai dit le héros, en me privant des yeux, ils n'ont fait que ce que la vieillesse ou la mort allait faire; et quant à ma fortune, tu en aurais mal joui, si tu ne sais pas t'en passer. Ah! le ciel m'est té

[ocr errors]
« السابقةمتابعة »