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pertes que l'empire avait faites depuis un siècle, réparées par des succès; les peuples du nord et du couchant, repoussés au-delà du Danube et des Alpes ; le calme rendu aux provinces d'Asie ; des rois vaincus et menés en triomphe; les ravages de la peste, des incursions, des tremblements de terre, comme effacés de l'univers par une main bienfaisante; des forteresses et des temples sans nombre, les uns élevés de nouveau, les autres rétablis avec plus de splendeur : quoi de plus imposant et de plus magnifique ! et voir après cela dans sa vieillesse son empire accablé, pencher vers sa ruine, sans que ses mains victorieuses aient jamais pu le raffermir: voilà le terme de ses travaux ; et tout le fruit de ses longues veilles. Apprenez donc, mon cher Tibère, à plaindre le sort des souverains, à les juger avec indulgence et surtout à ne point haïr l'auguste vieillard qui vous gouverne, pour le mal qui lui est échappé, ou pour le bien qu'il n'a pas fait.

Vous me consternez, dit Tibère ; et le premier conseil que je donnerais à mon ami, chargé d'une couronne, ce serait de la déposer. De la déposer? reprit le héros : mon ami, vous avez trop de courage pour conseiller une lâcheté. Les fatigues et les dangers vous ont-ils fait quitter les armes? L'épée ou le sceptre, cela est égal. Il faut remplir avec constance sa destinée et ses devoirs. Ne cacheż point à votre ami qu'il sera victime des siens; mais dites-lui, en même temps, que ce

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sacrifice a des charmes ; et s'il veut en être payé, qu'il se pénètre, qu'il s'enivre de l'enthousiasme du bien public, qu'il s'abandonne sans réserve à ce sentiment courageux, et qu'il attende de ses vertus le dédommagement et le prix de ses peines (1). Et où est-il donc ce prix, demanda le jeune homme? Il est, dit le vieillard, il est dans le sentiment pur et intime de la bonté, dans le plaisir de s'éprouver humain, sensible, généreux, digne enfin de l'amour des hommes et des regards de l'Éternel. Croyez-vous qu'un bon roi calcule le matin le salaire de sa journée? Éveille-toi, se ditil à lui-même, et que ton réveil soit celui de la justice et de la bienfaisance. Laisse les petits intérêts de ton repos et de ta vie : ce n'est pas pour toi que tu vis. Ton ame est celle d'un grand peuple; ta volonté n'est que le vœu public, ta loi l'exprime et le consacre. Règne avec elle, et souviens - toi que ton affaire est le bonheur du monde (2)... Vous êtes ému, mon cher Tibère,

(1) Homo qui benefecit, ne plausum quærat; sed ad aliud negotium transeat, quemadmodum ut vitis rursum suo tempore uvam producat. (MARC. ANTONIN. lib. 3.)

(2) Mane, quum gravatim a somno surgis, in promptu tibi sit cogitare te ad humanum opus faciendum surgere..... Non sentis quam multa possis præstare, de quibus nulla est excusatio naturæ ad ea non aptæ ? et tamen adhuc, prudens sciensque, humi fixus hærcs! (Idem, ibid.)

Bélisaire.

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et je sens votre main qui tremble dans la mienne. Ah! soyez sûr que la vertu, méme dans les afflictions, a des jouissances célestes. Elle n'assure point de bonheur sans mélange; mais en est-il de tel au monde? Est-ce à l'homme inutile, au méchant, au lâche qu'il est réservé? Un bon prince donne des larmes aux maux qu'il ne peut soulager; mais ces larmes, les croyez-vous amères, comme celles de l'envie, de la honte, ou du remords? Ce sont les larmes de Titus, qui pleure un jour qu'il a perdu ; elles sont pures comme leur source. Annoncez donc à votre ami, avec la même autorité que si un Dieu parlait par votre bouche, annoncez-lui que s'il est vertueux, dans quelque état pénible où le sort le réduise, il ne lui arrivera jamais de regarder d'un œil d'envie le plus fortuné des méchants. Mais cette confiance, l'appui de la vertu, ne s'établit pas d'ellemême ; il faut y disposer l'ame d'un jeune prince; et demain nous verrons ensemble les moyens de l'y préparer.

Il fait ce qu'il veut de mon ame, dit Tibère à Justinien; il l'élève, l'abat, la relève à son gré. Il déchire la mienne, dit l'empereur; et ces mots échappés avec un soupir, furent suivis d'un long silence. Sa cour essaya, mais en vain, de le retirer de sa tristesse il fut importuné des soins qu'on prenait pour le dissiper; et le lendemain ayant annoncé qu'il voulait se promener seul, il s'enfonça dans la forêt voisine. Tibère l'y at

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tendait ; ils partirent ensemble, et vinrent trouver le héros. Le jeune homme ne manqua point de lui rappeler sa promesse; et Bélisaire reprit

ainsi.

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CHAPITRE IX.

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ON demande s'il est possible d'aimer la vertu pour elle-même : c'est peut-être le sublime instinct de quelques ames privilégiées; mais toutes les fois que l'amour de la vertu est réfléchi, il est intéressé. Ne croyez pas que cet aveu soit humiliant la nature; vous allez voir l'intérêt pour que

de la vertu s'épure et s'ennoblit comme celui de l'amitié : l'un servira d'exemple à l'autre.

D'abord l'amitié n'est produite que par des vues de convenance, d'agrément et d'utilité. Insensiblement l'effet se dégage de la cause, les motifs s'évanouissent, le sentiment reste; on y attache trouve un charme inconnu; on y par habitude la douceur de son existence. Dès lors les peines ont beau prendre la place des plaisirs que l'on attendait : on sacrifie à l'amitié tous les biens qu'on espérait d'elle, et ce sentiment, conçu dans la joie, se nourrit et s'accroît au milieu des douleurs. Il en est de même de la vertu (1). Pour attirer les cœurs, il faut qu'elle présente l'attrait de l'agrément ou de l'utilité; car avant

(1) Si quid in vita humana invenis potius justitia, veritate, temperantia, fortitudine... ad ejus amplexum totis animi viribus, contendas suadeo. (MARC. ANTONIN. lib. 3.)

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