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CHAPITRE XI.

JUSTINIEN, plus impatient que jamais de revoir Bélisaire, vint le presser, le jour suivant, de déchirer le voile qui depuis si long-temps lui cachait les maux de l'empire. Bélisaire ne remonta qu'à l'époque de Constantin. Quel dommage, ditil, qu'avec tant de résolution, de courage et d'activité, ce génie vaste et puissant se soit trompé dans ses vues, et qu'il ait employé à ruiner l'empire plus d'efforts qu'il n'en eût fallu pour en rétablir la splendeur! Sa nouvelle constitution est un chef-d'œuvre d'intelligence: la milice prétorienne abolie, les enfants des pauvres adoptés par l'État (1), l'autorité du préfet divisée et réduite (2), les vétérans établis possesseurs et gardiens des frontières; tout cela était sage et grand. Que ne s'en tenait-il à des moyens si simples? Il ne vit pas, ou ne voulut pas voir que transporter le siége de l'empire, c'était en ébranler,

(1) Dès qu'un père déclarait ne pouvoir nourrir son enfant, l'État en était chargé; l'enfant devait être nourri, élevé aux dépens de la république. Constantin voulut que cette loi fût gravée sur le marbre, afin qu'elle fût éternelle. (2) Voyez ZOSIME, liv. 3, ch. 33.

et au physique et au moral, les plus solides fondements. Il eut beau vouloir que sa ville fût une seconde Rome : il eut beau dépouiller l'ancienne de ses plus riches ornements, pour en décorer la nouvelle; ce n'était là qu'un jeu de theatre, qu'un spectacle fragile et vain.

Vous m'étonnez, interrompit Tibère ; et la ca pitale du monde me semblait bien plus dignement, bien plus avantageusement placée sur le Bosphore, au milieu de deux mers, et entre l'Europe et l'Asie, qu'au fond de l'Italie, au bord de ce ruisseau, qui soutient à peine une barque.

Constantin a pense comme vous, dit Bélisaire : et il s'est trompé. Un État obligé de répandre ses forces au-dehors, doit être au-dedans facile à gou verner, à contenir et à défendre. Tel est l'avantage de l'Italie. La nature elle-même semblait en avoir fait le siége des maîtres du monde. Les monts et les mers qui l'entourent, la garantissent, à peu de frais, des insultes de ses voisins; et Rome, pour sa sûreté, n'avait à garder que les Alpes. Si un ennemi puissant et hardi franchissait ces barrières, l'Apennin servait de refuge aux Romains, et de rempart à la moitié de l'Italie : ce fut là que Camille défit les Gaulois; et c'est dans ce même lieu que Narsès a remporté sur Totila une si belle victoire.

Ici nous n'avons plus de centre fixe et immuable. Le ressort du gouvernement est exposé au choc de tous les revers. Demandez aux Scythes,

aux Sarmates, aux Esclavons, si l'Hèbre, le Danube, le Tanaïs, sont des barrières qui leur en imposent. Byzance est contre eux notre unique refuge; et la faiblesse de ses murs n'est pas ce qui m'afflige le plus.

A Rome, les lois qui régnaient au-dedans pouvaient étendre de proche en proche leur vigilance et leur action, du centre de l'État jusqu'aux extrémités; l'Italie était sous leurs yeux et sous leurs mains modératrices; elles y formaient les mœurs publiques, et les mœurs, à leur tour, leur donnaient de fidèles dispensateurs. Ici nous avons les mêmes lois; mais comme tout est transplanté, rien n'est d'accord, rien n'est ensemble. L'esprit national n'a point de caractère; la patrie n'a pas même un nom. L'Italie produisait des hommes qui respiraient en naissant l'amour de la patrie, et qui croissaient dans le champ de Mars. Ici quel est le berceau, quelle est l'école des guerriers? Les Dalmates, les Illyriens, les Thraces, sont aussi étrangers pour nous les Numides et les Maures. Nul intérêt commun qui les lie, nul esprit d'état et de corps qui les anime et les fasse agir. Souvenez-vous que vous étes Romains, disait à ses soldats un capitaine de l'ancienne Rome, et cette harangue les rendait infatigables dans les travaux, et intrépides dans les combats. A présent, que dironsnous à nos troupes pour les encourager? Souvenez-vous que vous êtes Arméniens, Numides ou

que

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Dalmates? L'État n'est plus un corps, c'est le principe de sa faiblesse ; et l'on n'a pas vu qu'il· fallait des siècles pour y rétablir cette unité qu'on appelle patrie, et qui est l'ouvrage insensible et lent de l'habitude et de l'opinion. Constantin a décoré sa ville des statues des héros de Rome: vain stratagème, hélas! ces images sacrées étaient vivantes au Capitole, mais le génie qui les animait n'est pas monté sur nos vaisseaux : ils n'ont transporté que des marbres. Les Paul-Émile, les Scipion, les Caton sont muets pour nous : Bysance leur est étrangère; mais dans Rome ils parlaient au peuple, et ils en étaient entendus.

Je ne vois pas, dit Justinien, qu'à Rome l'empire ait été plus tranquille, ni plus heureux depuis long-temps. Le peuple y était avili, et le sénat plus avili encore.

Un empire est faible et malheureux partout, dit Bélisaire, quand il est en de mauvaises mains ; mais à Rome il ne fallait qu'un bon règne pour changer la face des choses. Voyez de quel abaissement l'Etat sortit sous Adrien ; et à quel point de gloire et de majesté il arriva sous Marc-Aurèle. La vertu romaine s'éclipŝait sans s'éteindre; le prince digne de la ranimer en retrouvait le germe dans les coeurs. Ce germe a péri dans Byzance il faut le semer de nouveau; et ce doit être le grand ouvrage d'un règne juste et modéré. Sans ce prodige tout est perdu. Les succès même de nos armes sont ruineux pour l'État.

L'empire a sur les bras cent ennemis qui n'en ont qu'un. On croit les détruire; ils renaissent, ils se succèdent l'un à l'autre, et, par des diversions rapides, ils se donnent mutuellement le temps de se relever. Cependant leur ennemi commun s'affaiblit en se divisant ; ses courses le ruinent, ses travaux le consument, ses victoires même sont pour lui des plaies qui n'ont pas le temps de se fermer; et après des efforts inouis pour affermir sa puissance, un seul jour ébranle et renverse vingt ans des plus heureux travaux. Combien de fois, sous ce règne, nos drapeaux n'ont-ils pas volé du Tibre à l'Euphrate, de l'Euphrate au Danube? Et tous les efforts de nos armes, sous Mundus, Germain, Salomon, Narsès et moi, si j'ose me nommer, tout cela s'est réduit à subir la loi de la paix.

Il le faut bien, dit l'empereur, puisque la guerre

nous accable.

Le moyen d'éviter la guerre, dit le vieillard, ce n'est pas d'acheter la paix. Les Barbares du Nord ne cherchent qu'une proie; et plus elle se montre faible, plus ils sont sûrs de la ravir. Les Perses n'ont rien de plus intéressant que de venir, les armes à la main, piller tous les ans nos provinces d'Asie. On les renvoie avec de l'or! Quel moyen de les éloigner, que de leur présenter l'appât qui les attire! La rançon même de la paix devient l'aliment de la guerre, et nos empereurs, en épuisant leurs peuples, n'ont fait

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