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peu d'hommes, à ce titre, ont le droit d'être malheureux; que le plus grand nombre de ceux que la fortune, à les entendre, a méconnus et déplacés, trouveraient des consolations dans la connaissance d'eux-mêmes, et, dans les objets qu'ils dédaignent, des occupations mesurées à l'étendue de leurs talents; que la fortune est, à leur égard, assez, et bien plus qu'ils ne pensent, de concert avec la nature; qu'ils ne sont pas aussi dépaysés qu'ils ont le malheur de le croire; et que si leur ambition, plus modérée, devient plus juste, tout sera pour eux de niveau.

Quant à ceux qui, sans se flatter, peuvent souffrir de n'être pas mis à leur place, ils doivent plaindre la société d'être privée de leurs travaux, faire sentir leur influence au cercle étroit qui les entoure, imprimer en petit le caractère de leur ame aux actions communes de la vie, voir de la dignité dans l'exercice obscur d'une activité bienfaisante, ennoblir à leurs yeux les devoirs de l'homme privé, se souvenir que Sully, Catinat, d'Aguesseau, ont su s'accommoder du bonheur domestique; que des hommes d'une supériorité non moins inconstestable, après avoir été, dans le sénat de Rome, les lumièrès de la patrie, et à la tête des armées les instruments de sa grandeur, al'aient, en quittant les faisceaux, et en déposant au Capitole les monuments de leurs victoires, goûter, dans une humble retraite, les plus grands biens qui soient donnés à l'homme, la véné

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104 PHILOS. MORALE. -ESSAI SUR LE BONHEUR.

ration publique, le respect et l'amour d'une famille vertueuse, et la familiarité intime d'un petit nombre de vrais amis.

Mais s'il leur faut encore d'autres consolations, qu'ils pensent que, dans les grandes places, ceux même qui en sont les plus dignes, peuvent trouver la gloire, mais non pas le bonheur; que c'est bien là qu'on le mérite, mais que ce n'est jamais que loin de là qu'on en jouit : Sudandum est his pro communibus commodis, adeunda inimicitiæ subeunda sæpe pro republica tempestates, cum multis audacibus, improbis, nonnunquam etiam po→ tentibus dimicandum. (Cic. pro Cœlio.)

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ESSAI

SUR LES ROMANS

CONSIDÉRÉS DU COTÉ MORAL.

Le plus digne objet de la littérature, le seul même qui l'ennoblisse et qui l'honore, c'est son utilité morale; et tous les talents de l'esprit ont si bien senti que c'était là leur gloire, qu'il n'en est aucun qui du moins ne veuille paraître y aspirer.

Demandez à l'orateur pourquoi il s'exerce avec tant de soin dans l'art de plaire et d'émouvoir : il vous dira que c'est pour mieux persuader l'utile, l'honnête et le juste ; et sans cela le plus habile ne serait guère qu'un parleur oiseux ou qu'un dangereux charlatan.

Demandez à l'historien pourquoi il se consume à découvrir les traces du passé, et dans le naufrage des nations les débris de leur existence : il vous dira que ce sont des exemples, des leçons, des avis salutaires qu'il veut transmettre à l'avenir; et sans cela le plus laborieux ferait son tourment d'amuser une curiosité vaine, métier stérile

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et méprisable, ou de montrer indifféremment les jeux divers de la fortune, et de rendre problématiques, entre le crime et la vertu, l'avantage du choix et les calculs de la prudence, métier perfide et odieux.

Demandez au poète à quoi bon tous ces rêves d'une imagination mobile et vagabonde; à quoi bon ces métamorphoses d'une ame versatile et variable à volonté, cette magie de son style, ce charme répandu dans ses récits, cet intérêt dont il anime ses peintures: si c'est Horace, il vous dira que c'est pour enseigner aux hommes à être

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Quid verum atque decens curo et rogo, et omnis in hoc sum.

Si c'est Homère, il répondra qu'il fait sentir aux rois les conséquences de leurs folies, et aux peuples qu'ils sont punis des imprudences de leurs rois :

Quidquid delirant reges, plectuntur Achivi.

Sophocle, à son tour, vous dira qu'il exerce les esclaves de la destinée à traîner patiemment leur chaîne, et qu'il les charge de la douleur d'autrui, pour les habituer à supporter la leur.

Tous répondront avec Lucrèce qu'ils enduisent de miel le bord du vase où est la liqueur amère et bienfaisante qu'ils veulent faire boire à des enfants malades:

Ut puerorum ætas improvida ludificetur.

Et sans cela le plus fidèle imitateur des faiblesses du cœur humain, de ses passions, de ses vices, occupé sans cesse, au milieu d'une société frivole, à la bercer d'illusions, à lui causer d'agréables songes, à la flatter dans tous ses goûts, à colorer ses vices même, ne serait qu'un vil complaisant et qu'un servile adulateur.

Que l'intention d'être utile aux hommes ait toujours été bien sincère, ou qu'elle soit toujours fidèlement remplie du côté des talents; que la poésie n'ait jamais peint les mœurs que pour les corriger; que l'éloquence n'ait jamais loué, recommandé, voulu persuader que ce qu'elle croyait louable, honnête, ou légitime; que l'histoire n'ait jamais honoré le crime heureux, et mis la fortune à la place de la vertu, ce n'est pas ce que je veux dire : il s'agit de leur profession, et de l'aveu qu'elles ont fait, qu'il n'y avait pour elles de dignité, de gloire, de vrai mérite qu'à ce prix.

Or, du mélange de ces trois genres, s'est formé celui du roman, qui, susceptible de leurs vices comme de leur bonté morale, s'est rendu plus ou moins digne de mépris ou d'estime, de blâme ou de louange, selon son caractère et l'usage de ses moyens.

La fiction romanesque et la fiction poétique ont tant d'affinité, qu'il est aisé de voir que, que, réciproquement, ou la poésie n'a été que le roman perfectionné, ou le roman qu'une poésie déréglée et dégénérée.

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