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Voilà, messieurs, les héros que les muses doivent se plaire à célébrer : malheur à elles, si elles flattaient l'ambition et la violence! C'est aux furies à s'abreuver de sang et à se baigner dans les larmes. Les muses sont filles de la paix; elles doivent aimer leur mère. Leur règne est donc celui d'un bon roi. C'est une ame sensible, équitable et modeste qu'elles aiment à contempler sur le plus beau trône de l'univers : la reconnaissance et les vœux de la terre sont le tribut qu'elles lui présentent, seul hommage digne d'un roi, qui, absolu dans sa puissance, n'a pour volonté que l'amour de l'ordre, du bien public et de la paix. Avec la force, un roi se fait craindre, et c'est un avantage que les tyrans peuvent disputer aux héros : mais l'inébranlable empire de l'amour n'est réservé qu'à la vertu même; et si Louis en partage la gloire, ce n'est qu'avec le petit nombre de rois modérés, sages et bienfaisants, qui ont fait les délices du monde.

RÉPONSE

DE

MARMONTEL,

CHANCELIER DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE,

AU DISCOURS DE LA HARPE,

LORSQU'IL Y FUT REÇU A LA PLACE DE M. LE DUC DE SAINT-AIGNAN ET DE M. COLARDeau.

Le jeudi 20 juin 1776.

MONSIEUR,

Vous avez à consoler l'académie de deux pertes qui lui ont été sensibles. Mais la première lui était annoncée par le temps qui ne flatte point: elle a dû l'affliger, elle n'a pas dû la surprendre. La dernière, aussi prématurée qu'elle a été funeste, a dû la frapper à la fois d'étonnement et de douleur.

Lorsque M. le duc de Saint-Aignan, dans son dix-neuvième lustre, a terminé sa carrière, l'académie, qui, depuis cinquante ans, s'honorait de le posséder, lui a donné de justes regrets; mais,

pour les adoucir, elle s'est souvenue de cette longue prospérité qui l'a suivi jusqu'au tombeau. Naissance, dignités, richesses, emplois glorieux à remplir, tous ces biens que l'ambition recherche avec tant de fatigue, accumulés sans peine sur un siècle de vie, et cette vie honorablement couronnée par une saine et tranquille vieillesse, tel a été le partage de M. le duc de Saint-Aignan; et, soit qu'on pense à l'inaltérable sérénité de son ame, soit que l'on considère la pureté, le calme, la douce égalité du cours de ses longues années, c'est bien de lui que l'on peut dire ce que La Fontaine a dit du sage: Sa fin est le soir d'un beau jour.

En jetant les yeux sur sa vie et sur la vie de son père, on voit d'abord qu'elles ont embrassé tout l'espace de trois longs règnes, les plus célèbres de la monarchie, les plus remplis de grands événements, et les plus féconds en grands hommes. Quelle ample moisson de sagesse, entre un père né sous Henri IV, et un fils mort sous Louis XVI, si l'un avait enrichi l'autre des fruits de son expérience! Mais, âgé de soixante-seize ans lorsqu'il lui donna le jour, à peine eut-il le temps de le voir naître. L'héritage de ses lumières fut donc perdu pour cet enfant. Non, messieurs ; il lui fut transmis par un sage dépositaire. Ce sage, destiné à servir de guide. ou plutôt de père au duc de Saint-Aignan, étoit le duc de Beauvilliers son frère, né trente-deux ans avant lui, le même que Louis XIV, le plus éclairé des monarques, ou le plus heureux dans le choix

des hommes, donna pour gouverneur aux enfants de son fils; ce Beauvilliers enfin, l'ami de Fénélon, son émule en vertu, et son digne collègue dans cette éducation fameuse, dont le duc de Bourgogne fut le prodige, et qui sera long-temps le plus parfait modèle dans l'art de former de bons rois.

L'heureuse destinée du duc de Saint-Aignan voulut encore que son enfance répondît à celle du duc de Bourgogne. Souvent admis à ses études (bonheur que tous les rois du monde auraient souhaité à leurs enfants), il allait prendre avec lui les leçons de ce génie bienfaisant, que vous avez, monsieur, dignement célébré, de ce génie à qui le ciel avait si éminemment accordé le don de rendre la vérité intéressante, la sagesse aimable, et la vertu facile.

Est-ce dans cette source que le duc de Saint-Aignan avait puisé ses lumières et ses principes? Estce de l'ame de Fénélon qu'avait découlé dans son ame cette piété tendre, cette égalité douce, cette aimable sérénité, cette modestie indulgente, qui composaient son caractère? Est-ce à Fénélon que l'on devait enfin un politique sans artifice, un grand sans faste et sans orgueil, un homme de cour sans intrigue, un homme du monde si doux et d'un commerce si facile, que sa bonté faisait presque oublier l'austérité de sa vertu? Quoi qu'il en soit, M. le duc de Saint-Aignan a mérité qu'on l'ait pu croire le disciple de Fénélon; et cette opinion fait son plus grand éloge.

Mais l'inestimable avantage qu'il eut sur Fénélon lui-même, fut de n'avoir point d'ennemis. Soit à la cour, où il s'était fait un port à l'abri des orages, auprès de cette reine auguste, dont l'estime lui tenait lieu de la plus brillante faveur; soit dans le monde, que ses mœurs accusaient, mais que sa modestie et sa candeur aimable consolaient de cette censure, jamais il n'a connu de la prospérité ni les dégoûts, ni l'amertume'; et dans son rang, il est peut-être le seul homme de tout un siècle, qui constamment heureux sans trouble, et impunément vertueux, n'ait pas même irrité l'envie. Ce n'est donc pas lui qu'il faut plaindre, monsieur : il a rempli sa destinée ; et la nature a été pour lui aussi indulgente que pouvait le permettre l'inévitable nécessité de ses lois.

Mais qu'un jeune homme, à qui le ciel n'avait donné qué des talents; que dis-je? à qui le ciel avait vendu si cher ces talents de l'esprit, ces facultés de l'ame, cette organisation délicate, à laquelle il devait peut-être et la vivacité brillante de son imagination, et la finesse exquise de son goût, et cette sensibilité qui, de son cœur facile et tendre', se répandait avec tant de charmes dans ses écrits; que ce jeune homme, à qui les lettres tenaient lieu de tous les biens, même de la santé ; qui suspendait ses douleurs comme Orphée, digne d'en rappeler l'exemple par la douceur de ses accents ; qui n'avait d'autre consolation dans ses maux, d'autre ambition, d'autre espérance, vous le savez, messieurs, Mélanges.

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