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DISCOURS

DE

MARMONTEL

m

L'ACADÉMIE FRANÇAISE,

LORSQU'IL
IL Y FUT REÇU A LA PLACE DE M. DE BOUGAINVILLE.
Le jeudi 22 décembre 1763.

MESSIEURS,

Lorsque des hommes qui ont éclairé leur siècle, illustré leur patrie, enrichi et consacré la langue par des ouvrages immortels, obtiennent l'honneur d'être assis parmi vous, ils vous apportent leur gloire en échange de vos suffrages ; et le nouveau lustre qu'ils donnent à l'académie, se joint à l'éclat qu'elle répand sur eux.

Mais le talent faible et timide qui vient se jeter dans vos bras, que vous daignez y recevoir, et à qui vous rendez l'espoir et le courage, vous doit tout avant d'avoir rien mérité; et moins vous avez exigé de lui, plus vous avez droit d'en attendre. Ma reconnaissance envers vous, messieurs, n'est donc

pas le tribut d'un moment; c'est le devoir de toute ma vie je l'emploierai à justifier mon ambition et vos espérances. Heureux, si je pouvais adoucir vos regrets sur la perte de l'homme de lettres dont je viens occuper la place!

Dans ses écrits, comme dans ses mœurs, tout fut louable, et rien n'annonçait le vain désir d'être loué. Avec les talents qui rendent célèbre, il n'aspira qu'à l'honneur d'être utile.

Sans lui le poème de l'Anti-Lucrèce serait peutêtre encore étranger parmi nous. Ce poème, écrit en latin, étoit une espèce d'injure faite à notre langue par l'un des hommes qui la parlait avec le plus de grâce et de facilité. M. le cardinal de Polignac regardoit la pompe et l'harmonie des vers latins, comme un avantage qu'il était dangereux de laisser à son ennemi; et pour l'attaquer, il prit les mêmes armes.

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M. de Bougainville osa croire que la vérité, dans tout son éclat, pouvait se passer de l'illusion; que les deux objets les plus sublimes où l'intelligence humaine pût s'élever, la religion et la nature, n'avaient pas besoin, pour nous attacher, du faible artifice des vers. A ce prestige il substitua le charme d'une prose nombreuse, et il eût soin d'y réunir la précision, la clarté, la justesse, l'élégance et le coloris qualités qu'il eût été peutêtre impossible de concilier avec la gêne de traduire en vers un poème qui demandait l'exactitude la plus fidèle.

Il fit plus encore; et, dans la crainte d'avoir affaibli les grâces de l'original, il voulut du moins y suppléer par un nouveau degré de force et de lumière. Il donna donc à l'Anti-Lucrèce un frontispice aussi éclatant que solide, le parallèle raisonné de la doctrine d'Epicure et des anciens matérialistes, avec celle de son auteur: exposé fidèle et frappant, où l'on voit l'erreur se détruire ellemême, et tomber confondue aux pieds de la religion pour en assurer le triomphe.

Ce service rendu aux lettres lui obtint les suf. frages d'une académie qui doit, messieurs, sa naissance à la vôtre, et qui soutient avec tant d'éclat la gloire de son origine; société savante et laborieuse que l'on croit voir, le flambeau à la main, errant sur les débris du monde, lutter sans cesse contre le temps, pour lui arracher la vérité qu'il s'efforce d'ensevelir.

Après avoir partagé ces travaux avec autant de succès que de zèle, M. de Bougainville fut chargé du soin d'en rédiger l'Histoire. Les volumes qu'il en a donnés attestent la variété et l'étendue de ses connaissances, l'exactitude, la netteté, la facilite de son esprit, la précision et la pureté de son style.

que

Mais un soin plus touchant pour lui fut d'honorer, par des éloges, la mémoire des hommes recommandables la mort enlevait à sa compagnie. Et qui mieux que lui pouvait s'acquitter d'un emploi qui demande un cœur droit, un discernement juste, une plume éloquente, une ame égale

ment au-dessus des bassesses de l'envie et de celles de l'adulation?

Dans ces Eloges il s'est peint lui-même : on y voit

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partout le goût du vrai, l'amour du bien, une sensibilité délicate pour le mérite et la vertu, quelquefois même la franchise d'un bon citoyen, qui, dans les grandes choses, dédaigne les petits égards; espèce de courage qu'on doit regarder comme l'héroïsme des gens de lettres.

Avec le même zèle qu'il loua les talents, il loua ceux qui les avaient aimés. Dans l'éloge qu'il a fait de M. le cardinal de Rohan, c'est la vérité qui peint la vertu, mais la vertu avec tous ses attraits, parée des grâces de l'esprit, unie à tous les dons de plaire, décorée de tout l'éclat des dignités et de la naissance, telle enfin qu'elle se montre aux hommes, quand elle veut rentrer dans tous ses droits. Je vous rappelle, messieurs, une perte sensible; mais vous en êtes dédommagés : le plus doux de vos vœux est rempli, le même nom revit dans vos fastes; les muses reposent sous le même ombrage.

Tant qu'il y aura des grands dignes de l'être, jamais les muses ne manqueront d'appui. L'amour des lettres est, de tous les goûts, le plus naturel aux belles ames : il tient à l'amour de la gloire et à l'amour de l'humanité. Qu'on ne s'étonne donc pas de voir dans les siècles éclairés, et singulièrement dans le nôtre, les rois, les peuples se disputer la possession des hommes de génie. Cet honneur, que plusieurs d'entre vous, messieurs, ont si mo

destement reçu, est comme un droit acquis aux hommes éloquents et aux sages. La nature leur a donné l'empire de l'opinion, leur voix est celle de la renommée ; et de tout le bruit qu'auront fait dans leur temps les plus belles actions des mortels, la postérité n'entendra que le témoignage des gens de lettres, placés d'âge en âge comme autant d'échos qui retentissent dans l'avenir. Ce n'est pas en passant de bouche en bouche, que les faits, que les noms dignes de mémoire peuvent échapper aux outrages de la barbarie et du temps. Il faut, pour les en garantir, qu'un historien vrai les écrive, qu'un digne orateur les célèbre, qu'un poète inspiré les chante, qu'un philosophe les apprécie. Eux seuls. se soutiennent par eux-mêmes au-dessus du vaste abîme de l'oubli, et rien n'y surnage qu'avec eux et par eux.

Cette vérité, messieurs, si flatteuse pour les lettres, semble avoir frappé votre illustre fondateur.. Tandis que, occupé des plus grandes vues, il repoussait la guerre au-dehors, enchaînait la discorde au-dedans, affermissait le trône de son roi, et consommait, à force de courage, de constance et d'habileté, le grand dessein de ramener l'Etat à l'unité de pouvoir et d'obéissance; ce ministre, à qui la flatterie compare tous ceux qu'elle veut louer, comptait au nombre de ses projets celui de fonder cette académie. Il était bien juste qu'après le soin de mériter sa gloire, il n'en cût pas de plus prescelui de l'éterniser.

sant que

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