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tout oser; ils lui crient, Votre peuple est heureux, au moment même qu'ils expriment les dernières gouttes de sa sueur et de son sang; et si quelquefois ils consultent ses forces, il semble que ce soit pour calculer, en l'opprimant, combien d'instants encore il peut souffrir sans expirer.

Malheureusement pour les États où de pareils monstres gouvernent, les lois n'y ont point de tribunaux, la faiblesse n'y a point de refuge : le prince s'y réserve à lui seul le droit de la vindicte publique; et tant que l'oppression lui est inconnue, les oppresseurs sont impunis.

Telle est la constitution de ce gouvernement déplorable, que non-seulement le souverain, mais chacun des grands, dans la partie qui lui est confiée, tient la place de la loi. Il faut donc, pour que la justice y règne, que non-seulement un homme, mais une multitude d'hommes soient infaillibles, exempts d'erreur et de passion, détachés d'euxmêmes, accessibles à tous, égaux pour tous comme la loi; c'est-à-dire, qu'il faut que les grands d'un Etat despotique soient des dieux. Aussi n'y a-t-il que la théocratie qui ait le droit d'être despotique; et c'est le comble de l'aveuglement dans les hommes, que d'y prétendre, ou d'y consentir.

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GOUTER la vie, la passer doucement, tant qu'elle est exempte de douleur et de péril, c'est le bienêtre que la nature semble avoir accordé à tous les animaux, mais inégalement, selon les facultés dont elle a doué chaque espèce. Apprécier son existence, s'y complaire, en jouir, et s'en rendre compte à soi-même, paraît n'avoir été donné qu'à l'homme; et c'est proprement le bonheur. Ainsi le bien-être appartient à la sensibilité simple; et le bonheur est réservé à la sensibilité réfléchie.

L'animal qui jouit, tranquillement et en liberté, de l'exercice de ses organes et de toutes les facultés de son instinct, est appelé communément heureux; et il le serait d'autant plus, s'il était suffisamment doué de réflexion sur le présent, qu'en lui le souvenir et la prévoyance s'étendent moins dans le passé et dans l'avenir, et qu'il est presque absolument exempt de regrets et d'inquiétude. Mais que ses sensations soient accompagnées de cette réflexion éclairée et suivie, qui, dans l'homme, est la con

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science de son état heureux ou malheureux, c'est
ce qui nous est inconnu, et ce qui ne nous importe
guère. Qu'il nous suffise de savoir que les animaux
ne sont pas insensibles : c'en est assez pour les lais-
ser en paix, au moins autant qu'ils ne nous nuisent
pas, ou que leur mal nous serait inutile.

La question sur la réalité, sur la possibilité du
bonheur se réduit donc à l'espèce humaine. Or, de
toutes les opinions morales, la plus salutaire, la
plus essentiellement nécessaire à établir, c'est que
l'homme est né pour être heureux; comme la plus
pernicieuse et la plus détestable est de penser que
la condition de l'homme soit de naître pour le mal-
heur car dans toute société (et sans société, l'on
ne peut concevoir l'espèce humaine subsistante),
dans toute société, dis-je, l'homme influe en bien
ou en mal sur la condition de l'homme. Si donc le
malheur est nécessaire et si l'homme est né pour
souffrir, l'auteur, l'instrument de ses peines peut
se croire exempt de reproche; celui qui peut l'en
garantir, ou y apporter remède, s'en trouve dis-
pensé. Le premier n'a fait que remplir l'inten-
tion de la nature; le second n'a fait que livrer ce
malheureux à sa destinée; tous deux sont exempts
de remords.

Et
que sera-ce, si l'homme imbu de cette opi-
nion se trouve avoir une grande influence sur le
destin de ses semblables, et si en rendant malheu-
reux tout un peuple, il se dit à lui-même : Il est
fait pour cela?

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L'instituteur d'un roi qui l'éleverait dans ce principe, les complaisants qui, avec ce fatalisme, rassureraient son indolence et sa paresse, et qui par là tacitement applaudiraient à son indifférence, à son insensibilité, et l'absoudraient du malheur public, mériteraient d'être lapidés.

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C'est ôter à l'homme toute sa dignité, que de le supposer destiné au malheur. Voyez l'abjection des peuples qui, à la naissance de leur semblable, ne savent que lui dire: Enfant, je te salue. Tu viens au monde pour souffrir et pour mourir. Il faut avoir droit de lui dire : « Enfant, tu viens au » monde pour être bon et pour être heureux », Rien de plus commode, sans doute, que de regarder comme inévitable le mal qu'on fait soimême, et comme impraticable le bien qu'on ne fait pas; mais aussi rien de plus atroce que de présenter ce calmant à la conscience de celui dans les mains de qui la nature ou la fortune a mis beaucoup de bien, et encore plus de mal à faire. Il faut qu'un père de famille pense de ses enfants, un grand de ses vassaux, un roi de ses sujets, et tout homme de ses semblables, que non-seulement la nature ne les condamne pas à être malheureux, mais que, dans son plan, le malheur est l'exception de ses lois, et que le bonheur en est la règle.

Le mal existe, le mal est quelquefois nécessaire, irrémédiable; mais ce sont là les accidents, non la teneur de la vie humaine. La condition commune, habituelle, universelle de notre espèce

Mélanges.

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est que l'alternative de la veille et du sommeil, du travail et du repos, de la dissipation des forces et de leur restauration, des appétits causés par le besoin et du plaisir d'y satisfaire, entretienne dans l'homme l'équilibre de la santé ; que l'exercice modéré de ses facultés naturelles, pour l'action et pour la pensée, le sauvent de l'ennui; que l'usage libre de tous ses sens, que les affections de son ame les plus familières et les plus innocentes lui procurent des jouissances qui le consolent de ses peines, et le paient de ses travaux.

Je parle de travaux, à propos du bonheur: car il en est inséparable. Ut ad cursum equus, ad arandum bos, ad indagandum canis; sic homo ad intelligendum, ad agendum, ad laborandum, natus est. (CIC.)

Je parle aussi des peines, car il en est, pour l'homme, de cruelles, d'inévitables; et il ne dépend ni de lui, ni de ses semblables, de l'exempter du tribut de douleur que la nature lui impose. Mais je tiens que pour le plus grand nombre le fardeau en serait léger, s'ils ne l'aggravaient par euxmêmes, ou réciproquement, en se faisant des maux que ne leur fait pas la nature.

que

Ce sont ces maux que l'homme fait à l'homme, l'homme se fait à lui-même; ce sont, dis-je, ces maux qu'une éducation saine, qu'une bonne législation, qu'une police vigilante, un gouvernement sage, actif, modérément sévère, détruiraient presque absolument, si on le voulait bien, si on le

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