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de rompre sa chaîne pour se donner un nouveau maître; comme si la chaîne d'un européen étoit la même que celle d'un esclave de nos colonies: on voit bien que cet auteur n'a jamais été mis en esclavage.

Cependant n'y-a-t-il point de cas ni de lieux où l'esclavage dérive de la nature des choses? Je réponds à cette question qu'il n'y en a point, et je dis avec M. de Montesquieu, que

s'il y a des pays où l'esclavage paroisse fondé sur une raison

naturelle, ce sont ceux où la chaleur énerve le corps, et affoiblit si fort le courage, que les hommes ne sont portés à un devoir pénible que par la crainte du châtiment; dans ces pays-là, le maître étant aussi lâche à l'égard de son prince que l'esclave l'est à son égard, l'esclavage civil y est encore accompagné de l'esclavage politique.

Dans les gouvernemens arbitraires on a une grande facilité à se vendre, parce que l'esclavage politique y anéantit en quelque facon la liberté civile. A Achim, dit Dampierre, tout le monde cherche à se vendre : quelques-uns des principaux seigneurs n'ont pas moins de mille esclaves, qui sont des principaux marchands, lesquels ont aussi beaucoup d'esclaves sous ex, et ceux-ci beaucoup d'auires; on en hérite, et on les fait trafiquer. Là, les hommes libres, trop foibles contre le gouvernement, cherchent à devenir les esclaves de ceux qui tyrannisent le gouvernement.

Remarquez que dans les états despotiques, où l'on est déjà. sous l'esclavage politique, l'esclavage civil est plus tolérable qu'ailleurs : chacun est assez content d'y avoir la subsistance et la vie : ainsi la condition de l'esclave n'y est guère plus à charge que la condition du sujet ; ce sont deux conditions qui se touchent; mais, quoique dans ce pays-là l'esclavage soit, pour ainsi dire, fondé sur une raison naturelle, il n'en est pas moins vrai que toute espèce d'esclavage est contre la nature.

Dans tous les états mahométans, la servitude est récompensée par la paresse dont on fait jouir les esclaves qui servent à la volupté. C'est cette paresse qui rend les sérails d'Orient des lieux de délices pour ceux-mêmes contre qui ils sont faits. Des gens qui ne craignent que le travail, peuvent trouver leur bonheur dans ces lieux tranquilles; mais on voit que par là on choque même le but de l'établissement

de l'esclavage. Ces dernières réflexions sont de l'Esprit des lois.

Concluons que l'esclavage fondé par la force, par la violence, et dans certains climats par l'excès de la servitude, ne peut se perpétuer dans l'univers que par les mêmes (M. DE JAUCOURT.)

moyens.

EXPRESSION (Belles-lettres.)

Ex général, l'expression est la représentation de la

pensée.

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On peut exprimer ses pensées de trois manières; par le ton de la voix, comme quand on gémit ; par le geste, comme quand on fait un signe à quelqu'un d'avancer ou de se retirer; et par la parole, soit prononcée, soit écrite. (Voyez Elocution.)

Les expressions suivent la nature des pensées; il y en a de simples, de vives, fortes, hardies, riches, sublimes, qui sont autant de représentations d'idées semblables par exemple, la beauté s'envole avec le temps, s'envole est une expression vive et qui fait image; si l'on y substituoit s'en va, on affoibliroit l'idée; et ainsi des autres.

L'expression est donc la manière de peindre ses idées, et de les faire passer dans l'esprit des autres. Dans l'éloquence et la poésie, l'expression est ce qu'on nomme autrement diction, élocution, choix des mots qu'ou fait entrer dans un discours ou dans un poème.

Il ne suffit pas à un poète ou à un orateur d'avoir de belles pensées ; il faut encore qu'il ait une heureuse expression. Sa première qualité est d'être claire; l'équivoque on l'obscurité des expressions marque nécessairement de l'obscurité dans la pensée.

Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L'expression la suit ou moins nette ou plus pure:

Ce

que l'on conçoit bien s'énonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément.

(BOILEAU, Art poétique.)

Un grand nombre de beautés des anciens auteurs, dit M. de

la Motte, sont attachées à des expressions qui sont particulières à leur langue, ou à des rapports qui, ne nous étant pas aussi familiers qu'à eux-mêmes, ne nous font pas le même (M. l'abbé MALLET.)

plaisir.

F.

FÉLICITÉ.

Là félicité est l'état permanent, du moins pour quelque

temps, d'une âme contente; et cet état est bien rare. Le bonheur vient du dehors ; c'est originairement une bonne heure. Un bonheur vient, on a un bonheur; mais on ne peut dire, il m'est venu une félicité, j'ai eu une félicité: et quand on dit, cet homme jouit d'une félicité parfaite, une alors n'est pas pris numériquement, et signifie seulement qu'on croit que sa félicité est parfaite. On peut avoir un bonheur sans être heureux. Un homme a eu le bonheur d'échapper à un piége, et n'en est quelquefois que plus malheureux; on ne peut pas dire de lui qu'il a éprouvé la félicité. Il y a encore de la différence entre un. bonheur et le bonheur, différence que le mot félicité n'admet point. Un bonheur est un événement heureux; le bonheur, pris indéfinitivement, signifie une suite de ces événemens. Le plaisir est un sentiment agréable et passager; le bonheur, considéré comme sentiment, est une suite de plaisirs ; la prospérité, une suite d'heureux événemens; la félicité, une jouissance intime de sa prospérité. L'auteur.des synonymes dit que le bonheur est pour les riches, la félicité pour les sages, béatitude pour les pauvres d'esprit; mais le bonheur paroît plutôt le partage des riches, qu'il ne l'est en effet, et la félicité est un état dont on parle plus qu'on ne l'éprouve. Ce mot ne se dit guère en prose au pluriel, par la raison que c'est un état de l'âme, comme tranquillité, sagesse, repos; cependant la poésie, qui s'élève au dessus de la prose, permet qu'on dise dans Polyeucte:

Ou leurs félicités doivent être infinies.

Que vos félicités, s'il se peut, soient parfaites,

la

:

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Les mots en passant du substantif au verbe, ont rarement la même signification. Féliciter, qu'on emploie au lieu de congratuler, ne veut pas dire rendre heureux; il ne dit pas même se réjouir avec quelqu'un ; il veut dire simplement faire compliment sur un succès, sur un événement agréable. Il a pris la place de congratuler, parce qu'il est d'une prononciation plus douce et plus sonore.

(M. DE VOLTAIRE.)

FÊTE DES FOUS.

RÉJOUISSANCE pleine de désordres, de grossièretés et

d'impiétés, que les sous-diacres, les diacres et les prêtres même faisoient dans la plupart des églises, durant l'office divin, principalement depuis les fêtes de Noël jusqu'à l'Epiphanie.

Cette fête étoit réellement d'une telle extravagance, que le lecteur auroit peine à y ajouter foi, s'il n'étoit instruit de l'ignorance et de la barbarie des siècles qui ont précédé la renaissance des lettres en Europe.

Nos dévots ancêtres ne croyoient pas déshonorer Dieu par les cérémonies bouffonnes et grossières que je vais décrire, dérivées presque toutes du paganisme, introduites en des temps peu éclairés, et contre lesquelles l'Eglise a souvent lancé ses foudres sans aucun succès.

Par la connoissance des Saturnales 9 on peut se former une idée de la fête des fous; elle en étoit une imitation, et les puérilités qui règnent encore dans quelques-unes de nos églises le jour des Innocens, ne sont que des vestiges de la fête dont il s'agit ici.

Comme dans les Saturnales les valets faisoient les fonctions de leurs maîtres, de même dans la fête des fous les jeunes clercs et les autres ministres inférieurs officioient publiquement pendant certains jours consacrés aux mystères du christianisme.

Il est très-difficile de fixer l'époque de la fête des fous qui dégénéra si promptement en abus monstrueux. Il suffira

de remarquer, sur son ancienneté, que le concile de Tolède, tenu en 633, fit l'impossible pour l'abolir, et que SaintAugustin, long-temps auparavant, avoit recommandé qu'on châtiât ceux qui seroient convaincus de cette impiété. Cédrénus nous apprend que, dans le dixième siècle Théophylacte, patriarche de Constantinople, avoit introduit cette fête dans son diocèse; d'où l'on peut juger sans peine qu'elle s'étendit de tous côtés dans l'église grecque comme dans la latine.

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On élisoit dans les églises cathédrales un évêque ou un archevêque des fous, et son élection étoit confirmée par beaucoup de bouffonneries qui servoient de sacre. Cet évêque élu officioit pontificalement, et donnoit la bénédiction publique et solennelle au peuple, devant lequel il portoit la mitre, la crosse, et même la croix archiepiscopale. Dans les églises qui relevoient immédiatement du Saint-Siége, on élisoit un pape des fous, à qui l'on accordoit les ornemens de la papauté, afin qu'il pût agir et officier pontificalement comme le saint père.

Des pontifes de cette espèce étoient accompagnés d'un clergé aussi licencieux. Tous assistoient ces jours-là au service divin en habits de mascarade et de comédie ceux-ci prenoient des habits de pantoimmes; ceux-là se masquoient, se barbouilloient le visage, à dessein de faire peur ou de faire rire. Quand la messe étoit dite, ils couroient, sautoient et dansoient dans l'église avec tant d'impudence, que quelques-uns n'avoient pas honte de se mettre presque nus; ensuite ils se faisoient traîner par les rues dans des tombereaux pleins d'ordures, pour en jeter à la populace qui s'assembloit autour d'eux. Les plus libertins d'entre les séculiers se mêloient parmi le clergé, pour jouer aussi quelque personnage de fou en habit ecclésiastique. Ces abus vinrent à se glisser également dans les monastères de moines et de religieuses. En un mot, dit un savant auteur, c'étoit l'abomination de la désolation dans le lieu saint, et dans les personnes qui, par leur état, devoient avoir la conduite la plus

sainte.

Le portrait que nous venons de tracer des désordres de la féte des fous, loin d'être chargé, est extrêmement adouci; le lecteur pourra s'en convaincre en lisant la lettre circu

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