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Comment préfenter de fang froid à des hommes raisonnables, à plus forte raifon à des chrêtiens, une perfonne agitée malgré elle d'un amour non-feulement involontaire, mais qui n'eft qu'un pur effet de la colere des Dieux ? cela ne paroît-il pas choquer en même tems, & la Divinité devenuë autheur du crime, & la probité humaine qu'on force en quelque forte à devenir criminelle? A cela Racine, loin de répondre directement, fe contente de faire obferver que c'eft en ce tour que confifte la beauté de fon fujet, & fa conformité aux régles d'Ariftote. » Ce fujet a, dit-il, toutes les

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Préface de

» qualités qu'Ariftote demande dans le héros de la Tragé- Phedre. die, & qui font propres à exciter la compaffion & la ter

» reur. En effet Phedre n'eft, ni tout-à-fait coupable, ni tout-à-fait innocente. Elle eft engagée par fa deftinée & » par la colere des Dieux dans une paffion illégitime, dont elle a horreur toute la premiere. Elle fait tous fes efforts » pour la furmonter : elle aime mieux fe laiffer mourir que » de la déclarer à perfonne, & lorfqu'elle eft forcée de la découvrir, elle en parle avec une confufion qui fait bien voir » que fon crime eft plûtôt une punition des Dieux, qu'un » mouvement de fa volonté. «

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On voit par ces paroles de Racine, que la difficulté fubfifte toujours: car enfin cette punition convient-elle, & aux Dieux qui la procurent, & à la perfonne vertueuse qui en est l'innocente victime? on pourroit dire avec Stiblinus, que tout ceci chés les Anciens mêmes n'étoit qu'une fable allégorique, pour nous montrer que l'oifiveté & la molleffe figurées par Venus font la caufe des honteux égarémens des hommes; mais après tout, l'allégorie péche toujours en ellemême faute de vrai-femblance; & c'eft à cette enveloppe que les fpectateurs s'arrêtent, comme le lecteur dans les fables d'Efope s'arrête à l'image, auffi-bien qu'à la vérité qu'elle cache.

Je crois donc qu'il eft neceffaire de convenir que le fyftême fabuleux des Anciens admettoit dans leurs Dieux de véritables indécences, pour favorifer leurs propres penchans, & qu'il faifoit un accord monftrueux d'une forte de fatalité inconcevable, avec un ufage tel quel de la droite raison, Tome I.

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enforte que fuivant cette double idée, Phedre leur paroiffoit coupable & malheureuse; malheureufe de fe voir la proïe de Venus, coupable d'écouter, ou du moins d'avouer une paffion qu'elle ne devoit fonger qu'à éteindre, puifque la Divinité qui la forçoit d'aimer, ne la forçoit pas, quoi qu'en dife Racine, de céder à cet amour, ni de fe deshonorer par un aveu qui la rendoit plus criminelle.

Or dans les fujets fabuleux, tels que celui-ci, où les Dieux jouent leur rôle (ainfi que dans les fables d'Efope, où les bêtes parlent & agiffent comme animaux raifonnables) le lecteur, fans examiner fi les Anciens ont bien ou mal pensé, entre naturellement dans tout le fyftême de la fable qu'il fuppofe établi. Quelque défectueux, quelque ridicule qu'il lui paroiffe, il s'y prête plus aifément encore qu'aux mœurs étrangeres ; & le bon fens le veut ainsi, parce que la fable eft plus connuë que certains ufages étrangers. S'aviseroit-on en effet de trouver mauvais qu'un peintre répresentât Hippolyte traîné fur la pouffiere à la vûë du monftre qui a ef fraié fes courfiers ? non; ce monftre tout imaginaire qu'il eft, ne bleffe point les yeux, & la fable eft auffi indifférente à la peinture que l'hiftoire. L'hiftoire même, fi elle eft peu connuë, trouve moins de créance que la fable. Ainfi l'on feroit peut-être choqué qu'un peintre peignît Hippolyte au milieu des Philofophes de fon tems, plûtôt que parmi une troupe de chaffeurs, parce que ce jeune Prince eft moins connu en qualité de Philofophe, qu'en qualité de chaffeur.

Sur ce principe, qui me femble vrai, je ne fuis plus furpris de l'impreffion étonnante que Phedre a faite fur les efprits de tous les tems, auffi-bien qu'Oedipe, & je ne vois pas que cela puiffe tirer à conféquence pour la morale & la vertu, puifqu'après tout Oedipe & Phedre font punis, & de leurs fautes véritables, & de leurs crimes involontaires; outre que le spectateur qui s'accommode à la fable pour le spectacle, n'est pas affés peu fenfé pour en faire la régle de fes pensées & de fa conduite. Il faut même que les critiques de Phedre & d'Oedipe aïent fait un effort d'efprit pour trouver à redire qu'on adoptât un systême, qui tout faux qu'il eft,a été reçû dans l'antiquité, & d'où refultent de fi grandes beautés.

On fçait bien que ces deux perfonnages devroient parler & agir autrement, s'ils étoient chrêtiens : mais ce n'est pas la queftion. Il eft naturel d'aimer à les voir tels qu'ils ont été ; & pour n'y pas prendre plaifir, il faut recourir à fes réflexions, & vouloir rapprocher les mœurs antiques des nôtres; chofe qui fait le malheur des Tragiques Grecs, que l'on condamne fouvent avec auffi peu de raifon,qu'ils en auroient à nous condamner fur le même pied s'ils revenoient au monde. Voilà, fije ne me trompe, le dénouement de la difficulté proposée dénouement conforme au principe fi fimple que j'ai taché d'établir, à fçavoir qu'il faut, pour juger fainement des ouvrages anciens & modernes, envifager la nature telle que les autheurs l'ont peinte, c'est-à-dire, avec les appanages acceffoires des idées & des manieres de leur fiecle,bonnes ou mauvaises, il n'importe.

tue;

Scene IV.

On a dû trouver encore dans Euripide une difficulté indépendante des mœurs, & que M. Racine a prévenue avec Toin; c'eft qu'on ne fçait ce que devient la Confidente de Phedre après qu'elle a été chaffée honteusement de la préfence de la Souveraine. Il eft croïable qu'elle s'exile ou fe mais le Poëte n'en dit mot, & il ne vient pas même à l'efprit de Thefée, quoique très inquiet fur la caufe qui a porté fon épouse à fe donner la mort, d'interroger cette Confidente, ou de demander du moins ce qu'elle eft devenuë. Il se contente d'une interrogation vague; & fur le filence glaçant de fa maison réunie autour de lui, il dit, quoi, perfonne ne répond? c'est donc en vain que je raffemble dans mon Palais Alte IV. tant de perfonnes dévouées à mon fervice! puis il en revient aux regrets, fans fonger à la Confidente, qui devoit être au fait plus qu'aucun autre. Cela a bien l'air d'un défaut,à moins qu'on ne dife, qu'en effet on voit affés que cette femme éperduë & frappée de fa difgrace, comme d'un coup de foudre, s'eft éclipfée ou s'eft tuée, fur tout après ces effraïantes paroles de Phedre, tais-toi, j'ai trop écouté tes perfides confeils; j'en fuis la victime, garde-toi de reparoître à mes yeux, fonge Atte 111. à ta destinée, j'aurai foin de la mienne. La chofe eft d'autant plus naturelle, que c'eft fur un pareil adieu, que M. Racine fuppofe qu'Oenone défeperée s'eft précipitée dans la mer,

Scene IV:

Scen. dern.
Att. IV.

Je ne t'écoute plus, va-t'en monftre exécrable;
Va, laiffe-moi le foin de mon fort déplorable.
Puiffe le jufte Ciel dignement te païer, &c.

Après tout un petit mot dans la piéce d'Euripide n'auroit
rien gâté pour lever ce fcrupule qui paroît fondé.

On ne doit pas être plus content du prologue de Venus, Aristophane qui prévient la plupart des principaux évenemens. C'est le défaut perpetuel d'Euripide, que Sophocle a foigneufement

l'a

a fait fentir

dans les gre

nouilles.

évité.

Il y a peut-être outre cela quelque chofe à redire au Chœur, qui promet à Phedre un fecret coupable, & qui laiffe mourir Hippolyte faute de révéler la vérité. Il eft vrai que ce Chœur eft compofé de femmes attachées aux interêts de la Reine, & engagées au filence par un ferment. Auffi cela ne peut-il s'excufer que fur la délicateffe fcrupuleufe des Grecs à l'égard des fermens même témeraires ; & Hippolyte en eft une gran de preuve, lui qui aime mieux mourir que de violer un ferment forti de fa bouche par surprise,& prononcé fans raison. Euripide lui-même, au fujet de cette Tragédie, n'éprouva que trop cette délicateffe de fes fpectateurs, puifqu'on vouArift. lut, dit a Ariftote, & après lui b Ciceron, lui fufciter une b Cicer. affaire très férieufe fur ce vers de fon Hippolyte,

Reth. 1.3.c.15.

de off. L. 3.

§. 29.

Ma langue a prononcé le ferment: mais mon cœur l'a défavoué.
A&t. III. Sc. II.

Quoique ce même Hippolyte meure plûtôt que de manquer
à ce ferment. Ce n'eft pas que dans la pratique les Grecs en
fuffent plus religieux obfervateurs de leur parole. On fçait
que la foi Grecque a paffé en proverbe ; mais leur morale
étoit fevere, fi leurs mœurs ne l'étoient pas, & c'est affés le
train des hommes dans tous les lieux & dans tous les tems.

Autre défaut apparent ou réel du Chœur, ou plûtôt de Phedre par rapport au Chœur. Comment cette Princeffe, qui marque tant de répugnance à faire l'aveu de fa flamme à une Confidente qui l'a élevée, peut-elle se déterminer à rendre dépofitaire d'un fecret fi délicat, une troupe de femmes qui devoient lui être plus étrangeres que fa Confidente, &

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devant qui elle avoit rougi elle-même de laiffer entrevoir quelques fignes obfcurs de fa paffion ? vaincue par les importunités de fa nourrice, & prête à mettre en plein jour l'affreuse vérité, comme parle Racine, ne pouvoit-elle pas, ne devoitelle pas même écarter des témoins incommodes, peut-être malveillans & indifcrets, (c'étoient des femmes, & elles ne s'épargnent gueres,) des témoins en un mot qui pouvoient plus lui nuire que lui fervir, & tout au moins inutiles à fes deffeins?

On peut répondre qu'il n'eft pas furprenant à ceux qui étudient le cœur humain, qu'une telle paffion, qui ne connoît ni prudence ni bornes, faffe une action imprudente fans en confiderer les dangereufes fuites : que Phedre, qui a lutté fi long-tems contre elle-même, doit affés naturellement ceder à la curiofité peu fufpecte des femmes de fa Cour qui plaignent ses maux, auffi-bien qu'aux priéres importunes de fa Confidente: que fon fecret femblable à un pesant fardeau lui échape plûtôt qu'elle ne le dit: qu'enfin le trouble où elle eft l'empêche de voir qu'elle peut fe perdre en parlant, même à des perfonnes engagées au fecret par leur devoir. Bien plus, elle a épuifé, comme elle le dit expreffément, tous les moïens d'étouffer fon amour: fa longue réfiftance, & fon filence obstiné lui ont, dit-elle, peu réuffi. Elle ne voit de reffouree pour fauver fon honneur & fa vertu, que le trépas auquel elle s'eft déja condamnée. Il s'agit de juftifier cet at tentat fur fes jours dont on lui demande compte par tendresse pour elle. Le parti qu'elle a pris de fe laiffer mourir lui paroît fi glorieux, qu'elle ne fait point difficulté d'en avouer le motif, & de publier à ce prix un involontaire amour, qu'el le veut punir par une mort volontaire. Son fecret déclaré dans ces circonftances, la rend dès-lors plus estimable aux yeux de celles qui l'écoutent, comme fa Confidente le lui avoit prédit. Enfin elle fe met, en le déclarant, dans la néceffité de mourir, & de mourir vertueufe: raifons plus fpécieufes que folides, j'en conviens; mais ce font juftement celles que la paffion long-tems combattuë adopte d'autant plus aifé. ment, qu'elle cherche à tromper la vertu, & que la vertu elle-même fe laffe d'être feule témoin de fes combats.

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