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I.

Tragiques
Grecs peu

connus, &

E ne croi pas faire injure à un fiécle auffi Les Poëtes Poli & aufi éclairé d'ailleurs que le nôtre, de en difant que dans le tems même où le goût pourquoi. des Spectacles s'eft extrémement épuré par les grands Genies qui y ont travaillé, on a peu connu, & que l'on ne connoît presque plus le Théatre des Grecs. A la verité, le peu qui nous en refte fait encore les délices de quelques Curieux que l'étude de la Langue Grecque n'a pas rebutés: mais outre que le nombre en eft très-borné, & que dans leur sphere on ne voit pas toûjours regner un goût égal à leur érudition, comme fi ces deux chofes étoient rarement alliées; le tour qu'on a donné au Théatre François, & le haut dégré de perfection où on l'a porté dans fon genre, ont fait juger infenfiblement qu'il étoit inutile de recourir à celui des Anciens; car il n'en eft pas des Spectacles & des Ouvrages de goût, comme du refte des chofes faites pour le plaifir, dont tout ce qui fent l'antique ou l'étranger nous charme, au préjudice de ce que nous avons. L'idée avantageuse du préfent, dont on joüit & qui peint nos mœurs, a fait négliger la connoiffance du paffé, qui coute trop & qui intereffe moins. On ne foupçonne pas même qu'il

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puiffe y avoir rien de beau, en comparaison de Corneille & de Racine.

Il n'en a pas été ainfi de la Morale, de l'Eloquence, de l'Hiftoire & de la Poëfie. Les Anciens qui nous en ont laiffé des modeles, ont picqué beaucoup plus la curiofité des François. Xénophon, Cefar, Tite-Live & Tacite en fait d'Hiftoire; Demofthenes & Ciceron pour l'Eloquence; Homere quoiqu'attaqué, Virgile & Horace pour la Morale & la Poëfie, ont encore le droit de citoïens parmi nous. Mais Eschyle, Sophocle & Euripide n'ont pas eu le même fort pour la Tragédie. Ces Fondateurs du Théatre ont le plus fouffert de la guerre qui dure encore entre les Anciens & les Modernes. Le mérite: des Historiens, des Orateurs & des Poëtes s'eft fait jour à travers les nuages; & celui des Tragiques n'a pû entierement diffiper les tenebres qui les enveloppent.

De plus, le genie Philofophique de Descartes> répandu aujourd'hui dans tout ce qui eft de l'appanage de l'esprit nous a fait croire peu à peu que nous avions chés nous des thréfors affés eftimables pour nous paffer des richeffes étrangeres, fur-tout quand il les faut acheter par de pénibles voïages. Cet efprit, ami de l'indépendance, en renverfant d'abord la Philofophie ancienne, puis en nous faisant les arbitres fuprêmes de tout art & de toute fcience, fans égard au poids de l'authorité, nous inspire je ne fçai quel dédain pour tout ce qui fe refufe à l'examen de nos lumieres,

Il eft plus court & plus aisé d'estimer peu, ou même de mépriser ce qui coute trop à connoître : & les débris du Théatre ancien paroiffent scabreux pour achetter un fimple plaifir de goût par une peine qu'on ne croit pas devoir être affés dédommagée.

trop

Veritablement la Comédie Latine s'eft refervé encore une place confiderable dans l'eftime publique. Les excellentes Pieces de Moliere n'ont point fait oublier Plaute & Terence. On a cu pour ces Anciens l'indulgence de les confiderer comme les autheurs d'une efpece de fpectacle qui a fon mérite particulier, quoiqu'elle ne roule que fur des caracteres fort communs, & prefque toûjours les mêmes. Comme ces Poëtes font à la portée du plus grand nombre, leur réputation s'eft foutenue, & a été moins attaquée que celle des Poëtes Tragiques de la Grece. Quant à paffé ceux-ci, on a passe fans prefque y faire attention, d'un préjugé trop favorable à une espece d'indifférence plus dangereufe encore que le mépris ; de maniere qu'il s'eft formé une autre forte de préjugé, fi non dominant, au moins fort étendu, qui les a relégués comme par grace dans les Bibliothéques, ou dans les mains de ceux qu'on appelle adorateurs aveugles de l'Antiquité. Ces prétendus idolâtres font devenus eux-mêmes plus timides & plus réfervés à prodiguer leur encens ; & je ne doute point qu'ils n'aïent été plus d'une fois tentés de penfer tout-bas le contraire de ce qu'ils difoient tout-haut, & de dé.

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Le but de cet Ouvrage.

mentir leur culte par de fecrettes impietés, tant l'exemple eft féducteur & contagieux!

II. Cette indifférence a produit un oubli prefque général, qui fans contredit fait plus de tort aux Poëtes Grecs, que tous les traits qu'on a lancés contre eux en divers tems. Mon deffein eft de les tirer, du moins en partie, des ténebres où nous paroiffons les avoir condamnés, & de les citer de nouveau au tribunal, non du petit nombre, mais du Public; non pour arracher l'approbation en leur faveur, ou les livrer à la cenfure; mais afin qu'ils foient jugés avec quelque connoiffance de cause, fans égard aux authorités favorables ou contraires, & avec l'efprit Cartéfien, autant qu'il peut s'appliquer aux chofes de pur goût..

Si les authorités avoient lieu, je ferois une Préface fort étendue des louanges qu'on leur a prodiguées de fiécle en fiécle jufqu'à nos jours; & je n'aurois gueres moins de matiere, fi j'alléguois ce que leurs ennemis ont écrit contre Homere leur modele, & contre eux. Mais en fait de goût, il n'eft plus queftion d'authorités pour ou contre: on veut juger par foi-même, & cela eft jufte. Toutefois pour porter fon jugement, il ne s'agit pas de comparer l'ancien avec le moderne, comme on le veut prefque toûjours. Entre deux genres différens la comparaifon ne fçauroit être entiere, ni la préférence bien décidée: il fuffit de s'inftruire & de prononcer fans partialité en bien ou en mal; chofes au refte qui font fufceptibles de bien des dégrés: car quoiqu'il foit vrai que dans la Poëfie

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