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réjouissant, que la divifion entre les Chefs eft tou jours nuifible à l'Etat. Ce ne fera pas la feule leçon qu'on y trouvera pour les mœurs. Comme il faut toujours attacher ceux qui lifent, par les chofes qui ont le plus de liaison avec leurs idées, je femerai tout l'ouvrage de traits de Morale, de Philofophie, & de Vertu, qui font les idées les plus reçûës parmi les hommes, même vicieux.

Mais pour tracer le deffein de tout l'Ouvrage, j'obferverai d'abord que l'action foit vrai-semblable dans la conduite, comme elle eft vraïe pour le fonds. La vrai-semblance de la fable qui féduit, jointe à la réalité de l'histoire qui perfuade, fait une double impreffion; & les menfonges ingénieux ont alors tout le poids de la vérité avec tous les agrémens de l'erreur, pour tromper les hommes à leur profit. A cette vrai-femblance, qui doit regner par tout, je joindrai l'unité qui en fait partie. Car fi je mêlois ensemble plufieurs actions indépendantes, ce ne feroit plus un tableau : ce feroient plufieurs peintures qui ne feroient pas un beau tout. Ainfi je m'en tiendrai à une action unique & dominante, de forte que celles qui s'y joindront par néceffité y paroîtront tellement liées qu'on ne pourra les en féparer fans défigurer l'ouvrage, comme on ne peut rien ôter du corps humain fans en gâter l'œconomie & les proportions. Par-là mon action principale fera une, entiere, & parfaite. Sa durée dépendra non-feulement du nombre de fes évenemens, conformément à la vrai-semblance, mais encore de la portée des lecteurs, qui doivent être

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en fituation de voir d'un coup d'œil & fans fatigue les bornes & le fonds de l'action. Telle eft la regle du tems que prescrit la raison au Poëte, bien différent en ceci de l'Hiftorien ou de l'Annaliste, dont le devoir eft de parcourir tout l'espace des années que fa matiere lui fournit, tandis que le Poëte maître de la fienne & de fon étendue, eft obligé de mefurer l'une par rapport à l'autre, & de fe renfermer dans des limites qui ne foient ni trop étroites, ni trop reculées. C'eft au goût feul à en décider. L'Hiftoire eft un païs immenfe, & l'Epopée un païfage. L'Historien fait voïager fes lecteurs; le Poëteles promene.

Je ne peindrai donc pas mon héros dans toute fon étendue, pour en décrire fimplement les exploits. Ce feroit être historien ou verfificateur. Je me bornerai à fon courroux contre Agamemnon à l'occafion de Brifeïde enlevée. Je me garderai même de reprendre cet événement de trop haut. Mais je commencerai, pour ainfi dire, au pied du mur, & j'exposerai tout d'un coup la difpute de ces deux Princes dans le camp, fans m'arrêter à décrire la guerre de Troye, qui trouvera fa place dans la fuite pour paroître avec plus d'éclat. Cette querelle fera la prémiere partie du Poëme, & l'ouverture des évenemens qui doivent fuivre. La feconde confiftera dans les combats des Grecs & des Troyens en l'absence d'Achille irrité. Ce fera l'intrigue. Jupiter dans fa balance péfera les forts des deux nations. Il entretiendra ou rompra l'équilibre fuivant les décrets du Deftin, & le manége

Tome I.

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des Dieux, ou propices ou contraires. Les Grecs quelquefois vainqueurs, mais plus fouvent vaincus, fentiront enfin le besoin extrême qu'ils auront d'Achille. Il fera inexorable, & leur refufera fon fecours jusqu'à ce que fon ami Patrocle, tué par Hector, l'anime à la vengeance, & lui fasse donner au reffentiment ce qu'il ne vouloit pas accorder à l'équité. Il se déterminera à combattre contre Hector, & il le tuera. Voilà le dénoument & la fin de l'action.

des

Je dis que dans l'intrigue & le fonds de mon Poëme j'emploïerai des peuples, des chefs, & des Dieux oppofés. C'eft qu'on remue les hommes par l'image des paffions, & qu'on les réveille par objets merveilleux. Le cœur humain qui n'a d'autre guide que l'amour propre, aime à fe trouver en tout, & par conféquent à voir agir dans autrui la douleur, la joïe, la crainte, la haine ou l'amour dont il fe fent agité lui-même. Naturellement vain, inquiet, curieux de l'avenir, & amateur de l'extraordinaire,il cherche à fe repaître d'idées conformes à ses défirs. Il lui faut donc des prodiges feints & des paffions feintes, mais qui aïent l'air de la vérité. Ce qui lui paroît incroïable ou monftrueux le choque. Je fatisferai ces deux goûts en animant toute la nature, en donnant du mouvement & de la vie. aux choses même inanimées, & en paffionnant les hommes & les Dieux. Mes Divinités, mes Rois, & leurs peuples agiront & parleront fuivant les idées reçûës. Car il n'eft pas queftion d'examiner fi le systême de la fable & de la morale eft bon ou

mauvais en foi. Il eft reçû, cela fuffit, & fi l'on veut être goûté, on doit peindre les objets tels que la nature & l'éducation nous les offrent. Grand Principe qui doit me juftifier aux yeux de la posterité la plus reculée, fi elle daigne fe rappeller que les mœurs du fiecle où j'écris auront été bien différentes des fiennes. Quant aux caracteres, je les diverfifierai felon mes Acteurs; mais je fçaurai les marquer si bien dans chacun, & les foutenir jufqu'au bout avec tant de force, malgré les diverses situations, qu'on ne m'accufera pas d'avoir manqué la nature, ou de m'en être écarté.

C'eft fur ce plan fans doute qu'Homere conçût & forma cette Iliade,qui fait l'entretien de tous les fiécles; ou fi la méchanique de l'art qu'il inventa ne lui vint pas tout à coup à l'efprit, telle à peu près que je l'ai expofée, elle y entra du moins fucceffivement & en détail à mefure qu'il méditoit ce grand ouvrage, d'où l'on a enfuite puisé toutes les régles de l'art Epique. Ce n'en est là que le méchanisme, ainsi que je l'ai dit.Car je ne parle point des réflexions ou développées, ou prefque imperceptibles qu'Homere a dû faire fur la maniere d'executer fon plan, quand il a été question de le mettre en œuvre, fur la rapidité, par exemple, la continuité & l'ordre de fa narration; fur la différence & le mêlange heureux des récits avec les difcours; fur le feu que ceux-ci répandent dans un Poëme, & le charme qui fe trouve dans les liaisons infenfibles de ceux-là, fur la pompe ou la naïveté des descriptions; fur le plaifir attachant des images

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Poëme d'Ho

mere, où il

peignoit Mar

gites comme un homme

tantôt nobles & magnifiques, tantôt riantes & légeres, quelquefois fombres & terribles; fur le paffage du grave au doux, du fublime au délicat du tendre à l'héroïque, du gracieux à je ne sçai quoi de fort, d'auftere & de fier; fur la richeffe, la varieté, & la proprieté des comparaifons; fur l'application sensée des beaux traits de morale & des Tentences placées à propos; enfin fur l'harmonie des vers, l'enchantement des tours, & le génie de l'expreflion convenable à la dignité du Poëme, & fufceptible de toutes fortes de formes fans fe dégrader.

Il ne s'agit point ici de critiquer ou de juftifier Homere contre les critiques, & il me fuffit d'avoir tracé rapidement ses principales démarches, pour en faire la comparaifon avec celles des Poëtes Tragiques, & pour développer la pensée d'Aristote, qui fait entendre que la Tragédie doit fa naiffance à l'Iliade & à l'Odyffée, comme la Comédie doit la fienne au Margites. Car de penfer que les Anciens aïent travaillé à l'avanture & réuffi par hazard, c'est se persuader qu'un tableau dont on adqui ne çavoit mire le deffein, l'ordonnance, & le coloris s'eft n'étoit bon à fait à l'aveugle & fans réflexion. Le feul doute raifonnable eft de fe demander fi Homere luimême n'a point eu de modéles, puisqu'il eft auffi ridicule de croire avec fes adorateurs, qu'il eft inventeur de tout art litteraire, & inimitable fans avoir imité personne, que de s'imaginer avec d'autres qu'il n'a rien fait de fort extraordinaire, & que le caprice feul lui a fervi de guide. La fuc

rien faire, &

rien.

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