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pour l'unité d'action, & même pour l'unité de tems, quoique cette derniere foit, comme on voit, bien différente dans la Tragédie, & dans le Poëme Epique. Mais il n'y a que la nature, qu'Efchyle étudioit fur les vûës d'Homere, qui ait pû lui faire appercevoir que les spectateurs étant fixés dans un parterre ou dans un cirque, il falloit que l'action, pour être vrai-femblable, fe paffat fous leurs yeux, & par conféquent dans un même lieu. Homere n'étant que narrateur, pouvoit faire voïager l'imagination avec fes héros, & changer la Scene fans dépaïfer les lecteurs. Rien n'eût été plus facile aux Poëtes Tragiques & à Efchyle, leur modéle que de fuivre un héros, tantôt dans le cabinet où il médite le plan de fes entreprises, tantôt dans une plaine où il combat. Mais cela étoit-il dans la nature? non fans doute. Le fpectateur peut aider à se tromper fur la durée, plus ou moins grande d'une action, pourvû qu'elle ne paffe pas certaines bornes, & que les intervalles foient adroitement ménagés : mais il ne fçauroit s'abuser affés groffiérement fur le lieu de la Scene, pour s'imaginer qu'il paffe d'un palais à une plaine, & d'une ville dans une autre, tandis qu'il fe voit enfermé dans un lieu déterminé. Le changement de décorations au coup de fifflet eft une puerilité que le bon fens défavouë, & qui ne rend supportable que la représentation d'une magie des Fées, qu'on fuppofe pouvoir changer au même endroit les cabanes en palais, & les villes en déferts. L'art même ne va point jufqu'à féduire le spectateur fur le plus ou le moins

'd'étendûë de la Scene; il faut que la Scene se voïe, & par conféquent qu'elle foit bornée, non-pas en général dans l'enceinte d'une ville, d'un camp, d'un palais; mais dans un endroit limité d'un palais, d'une ville, ou d'un camp. La chose est si naturelle, qu'on auroit dû, ce semble, la trouver tout d'un coup de nos jours, ou fe fouvenir du moins qu'elle étoit déja inventée par les Grecs. Cependant nous voïons qu'au fiecle-paffé il a fallu une infinité de fçavans & de longs discours pour montrer le befoin de cette exacte unité, dont toutefois Corneille n'a jamais voulu entierement convenir. Regardera-t'on pour cela comme une bagatelle cette heureuse découverte d'Eschyle? on auroit tort. C'eft l'Oeuf de Chriftophe Colomb. Rien n'étoit plus facile, lui difoit-on, que de découvrir l'Amerique. » Et quoi de plus aifé que de faire tenir un cuffur fa pointe, dit-il en le caffant : mais » vous ne l'avés point fait, & je m'en fuis avifé le premier. « Tout ce qui eft naturel paroît aisé quand il eft une fois trouvé. La difficulté eft d'être l'inventeur.

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XI. Eschyle l'a été quant aux chofes dont je Divifion de la Tragédie. viens de parler, & l'on voit avec qu'elle habileté il les a fait éclore d'Homere. Il en a tiré de même la maniere naturelle de divifer l'oeuvre Théatrale. En effet une action ne sçauroit être racontée ni jouée fans avoir ce qu'on appelle exposition, intrigue & dénoument. Ariftote nomme ces trois parties, Prologue, Epifode, Exode, & les Grecs de profef fion, Protafe, Epitafe, & Catastrophe. Mais il n'eft

ici question ni d'Ariftote ni des termes. Je prens les plus intelligibles fans affecter un air Grec. Cela revient au même; & à l'égard d'Ariftote, il ne s'agit point de voir ce qu'il a remarqué d'après Eschyle, Sophocle, & Euripide. Je ne veux qu'examiner comment ces Poëtes ont imaginé tout cela d'après Homere. Les trois parties dont je parle fe trouvent nettement dans l'Iliade. Le Sujet le développe d'abord par les priéres de Chryfès qu'on rebute, & qu'on écoute enfin, & par la querelle d'Agamemnon avec Achille qui en naît tout naturellement. Cette querelle donne lieu à de grands évenemens qui font le nœud; & tout fe dénoue par la mort de Patrocle,qui porte Achille à fe venger des Troïens, & à fe réconcilier en quelque forte avec les Grecs. Mais l'artifice de ces trois parties eft une chose qui a dû occuper extrêmement les inventeurs de la Expofition. Tragédie. En effet l'expofition du Sujet qui eft la premiere, exige de grandes conditions pour plaire, ne fût-ce que la brieveté & la netteté.

Despreaux

Art Poët.

chant 3.

Que dès les premiers vers l'action préparée,
Sans peine du Sujet applaniffe l'entrée.
Je me ris d'un Acteur qui lent à s'exprimer,
De ce qu'il veut d'abord ne fçait pas m'informer
Et qui débrouillant mal une pénible intrigue
D'un divertissement me fait une fatigue...
Le fujet n'eft jamais affés tôt expliqué,

Quantité de nos meilleures Tragédies pechent ex-
trêmement en ce point. Les entrées en font quel-
quefois fi embarraffécs, & les chemins fi rabo-
teux, qu'on femble grimper fur des rochers escar-

pés pour arriver à une maison de plaisance. Il y faut des allées d'arbres avec une pente douce, & nonpas des montagnes & des ravines.

Outre la brieveté & la netteté que la nature inf pira d'elle-même aux Grecs pour exposer leurs fu jets, elle leur apprit que cette ouverture doit montrer en gros toute l'action déja commencée à un tel dégré, qu'elle femble devoir finir bientôt, tandis qu'au contraire un incident, qui en apparence la conduit à fa fin, ne fait que la reculer, & tromper l'attente du spectateur surpris. Il en eft de cela comme d'un vaste Temple dont l'architecture eft bien proportionnée. La proportion fait qu'il paroît moins grand, & qu'on voit l'efpace d'un bout à l'autre, comme affés court, quoique fort long. Mais plus on avance, plus on apperçoit l'immenfe intervalle que la proportion avoit accourci à l'œil. C'est comme la fauffe Ithaque qui fuïoit toujours devant Ulysse lorsqu'il se croïoit sur le point d'y aborder. Le bon fens apprit encore aux Grecs, du moins à quelques-uns, que l'ouverture de la Scene ne devoit pas découvrir tout le fonds de l'action; mais en laiffer feulement entrevoir une partie,pour rendre le plaifir de l'évolution plus piquant & plus

nouveau.

Il est des faits qui ont précédé l'action, & qui ne fçauroient être ignorés du fpectateur fans qu'elle en fouffre. Ils font du reffort de l'expofition. Il en est aussi qui appartiennent au corps de l'action même, & qu'il eft néceffaire de préparer. C'est l'expofition qui les indique. C'eft elle qui découvre

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habilement au spectateur le lieu où fe paffe la Sce-
ne, le tems où elle commence, les Acteurs qui
jouent & qui doivent jouer ; chofes dont il feroit in-
ftruit fi l'action fe paffoit véritablement fous fes
yeux; mais qu'il ne fçauroit fçavoir, fi dans la re-
préfentation on n'a foin de les lui dire, fans qu'il
paroiffe qu'on les lui dife de la part du Poëte. Le
Poëte ne parle point, il doit être oublié : autrement
il feroit un Poëme Epique. Les Acteurs feuls ont
droit de parler & d'agir. Mais quel art n'est-ce pas
que celui de faire dire vrai-femblablement par des
Acteurs des chofes qui doivent sembler n'être dites
que pour eux, & qui le font pourtant en faveur des
fpectateurs! Des trois Poëtes Grecs, Sophocle est le
feul qui l'ait bien connu. Efchyle l'a ébauché; &
Euripide l'a fouvent négligé dans ses expositions. Il
a crû qu'un Acteur ne pouvoit trop tôt faire con-
noître qui il eft, & de quoi il s'agit. Ilaimoit mieux

Qu'il déclinât fon nom
Et dît, je fuis Orefte, ou bien Agamemnon,
Que d'aller par un tas de confuses merveilles,

Sans rien dire à l'efprit, étourdir les oreilles.

Pour fauver ce défaut nous avons imaginé les Confidens. Ils font d'un grand usage pour aider à l'expofition du Sujet, & pour inftruire le spectateur de ce qu'il ne peut voir. Mais ces personnages n'aïant d'ordinaire d'autre part à l'action que d'être les dépofitaires des fecrets de leurs Souverains, il faut convenir qu'ils font froids. Le Chœur des Anciens, qui a quelque air de nos Confidens, intereffe

bien

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