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plus permis de voir,ceux même dont j'ay befoin pour trainer une vie miferable. Tandis qu'il réitere ces triftes plaintes, il ouvre les paupieres, & fe déchire impitoyablement les yeux. Ses jouës font enfanglantées. Les larmes mêlées avec les flots de fang noir ruiffellent de toutes parts. Tel eft le fort du Roy & de la Reine, fort affreux; calamité iffuë, non d'un feul, mais de l'un & de l'autre à la fois : leurs malheurs fe font confondus. Jufqu'ici leur felicité fut véritablement digne d'envie; mais en ce jour, (ô cruel changement!) il ne refte de cette felicité que les gemiffemens, le defefpoir, l'opprobre, la mort, & l'affemblage de tous les maux.

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En quel état eft à prefent ce malheureux Roy? fa fureur ne fe calme t'elle point?

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Il crie qu'on lui ouvre les portes du Palais, & qu'on expofe aux yeux des Thebains ce parricide, cet homme abominable, qui de fa mere.... épargnés-moy le recit des chofes qui échapent à fon defefpoir. Il dit enfin qu'il va s'éxiler pour toujours de cette terre, qu'il ne demeurera plus dans ce Palais témoin des imprécations dont il s'eft lui-même chargé. Helas, que deviendra-t'il en l'état où il s'eft mis, fes maux font infupportables. Il a besoin de secours & de guides ... mais il va fe montrer à vous. On ouvre. a Le fpectacle qui s'offre à vos yeux attendriroit un ennemi.

Le grand Corneille & fes fucceffeurs Tragiques ont cru que ce feroit une chofe horrible d'expofer Oedipe aveugle

& fanglant aux yeux des fpectateurs.
Mr Dacier leur répond très-bien par
ces vers de Dépreaux art. poet. chant. z.

Il n'eft point de ferpent, ni de monftre odieux,
Qui par l'art imité ne puiffe plaire aux yeux;
D'un pinceau délicat l'artifice agréable
Du plus affreux objet fait un objet aimable:
Ainfi pour nous charmer la Tragedie en pleurs
D'Oedipe tout fanglant fit parler les douleurs.

SCENE II.

OEDIPE, les mêmes.

LE CHOEUR.

O calamité terrible! ô spectacle le plus trifte qui fe foit ja mais presenté à mes regards! ah Prince infortuné, quelle fureur vous a tranfporté ! quelle divinité ennemie a fait tomber fur vous ce poids énorme de maux plus affreux les uns que les autres ! ah malheureux Roy... mais je ne puis jetter les yeux fur vous. Malgré le defir de vous voir, de vous par-ler, & de vous entendre, l'effroy qui me faifit à votre af pect me fait fremir d'horreur.

OE DIPE..

Helas, helas, où fuis-je malheureux ! où vais-je ! en quet lieu iray-je perdre mes plaintes, & traîner mes malheurs? fortune, helas qu'es-tu devenuë?

LE CHOEUR.

Elle s'eft changée en des infortunes inoüies..

QEDIPE..

Epaisses tenebres, nuit éternellè où je fuis plongé fans rea tour, état cruel que je ne puis exprimer, helas, vous êtes le fupplice de mes crimes; mais les pointes dont ma fureur s'eft Servie pour me percer les yeux me font moins fenfibles que les remords qui me déchirent..

LE CHOEUR:

Accablé de ce double malheur, vos plaintes ne font que· trop juftes.

OEDIPE.

Quoy, fidelles amis, après tant d'horreurs vous daignés encore me plaindre, & me fecourir. Vous n'abandonnés pas ce coupable privé de la lumiere du jour. Ne me trompai-je point non, c'est-vous, chers amis, j'entends votre voix, & je vous reconnois, quoy qu'enfeveli dans de profondes tenebres.

LE CHOEUR..

Quelle barbarie avés-vous exercé fur vous! comment avés vous pû vous refoudre à vous défigurer d'une maniere si inhumaine? quel Dieu vous a infpiré cet attentat ?

OEDIPE..

Apollon, chers amis, oüí Apollon cft la caufe de mes maux. Mais ma main seule m'a puni. Devois-je conferver la Jumiere du jour, moy qui ne pouvois rien voir que de trifte & d'affligeant?

LE CHOEUR.

Ce que vous dites n'eft que trop vray, Seigneur.

OEDIPE.

Que me refte-t'il en effet que je puiffe voir, que je puissé aimer ou entendre? tout m'eft interdit. O mes amis, que ne chaffés-vous au plutôt de votre patrie ce monftre, ce parricide execrable chargé de la haine des hommes & des› Dieux..

LE CHOEUR..

Hélas, toutes vos lumieres redoublent le fentiment de vos maux & ma compaffion! plût aux Dieux que jamais vous ne les euffiés connus !

OE DIPE.

Periffe celui qui dans les forêts délia les cordons funeftes

dont mes pieds furent percés. Il m'arracha des bras de la mort. Barbare pitié pour prix de ce cruel fervice puiffe-t'il perir ! qu'en mourant alors j'aurois épargné de maux à moy & à mes amis!

LE CHOEUR.

Maux déplorables, qui m'obligent de foufcrire à vos

vœux!

OEDIPE.

Je n'aurois pas été parricide & inceftueux à la face de l'univers, & maintenant me voilà malheureux & coupable, iffu, d'une race fouillée, Pere de mes freres, & mari de ma mere. Enfin si jamais il y eut des fleaux épouventables, ils font tombés fur Oedipe.

LE CHOEUR.

Quelque foient vos malheurs, je ne puis approuver le châtiment que vous avés tiré de vous même. Ce fupplice eft plus affreux que la mort.

OEDIPE.

Je n'écoute fur cela ni raifons ni confeils. Hé de quels yeux, dites-moy, defcendu dans les enfers, regarderois-je un pere & une mere dont la mort eft l'effet de mes crimes? je m'en fuis puni: & mon fort eft plus dur que celui de Jocafte. Il m'eût été bien doux de voir croître fous mes yeux. des enfans cheris: le plaifir de les voir auroit crû avec eux. Je l'avoue: mais depuis mes fatales imprécations il n'étoit plus pour moy ni d'enfans ni de patrie que je pûffe voir. Thebes même, & ce Palais où je fuis né, ces murs, ces tours, ces temples, ces fimulacres des Dieux, tout cela étoit interdit à mes regards. J'ay renoncé à la douceur de les voir en prononçant l'arrêt d'exil contre a l'ennemi déclaré des

Mr Dacier met, ce fcelerat..... ait lû yées au lieu de rus. Ce fils de Laius. Il faut pour cela qu'il

Dieux & de la race de Laïus. Je fuis ce coupable. Mon opprobre eft découvert. Comment pourrois-je jouir d'une fi chere vûë; de quel front oferois-je foutenir leur afpect? ah que ne puis-je encore me priver de l'ufage des oreilles, auffi bien que des yeux! que bientôt également fourd & aveugle je fermerois cette entrée à de nouvelles douleurs ! il eft doux dans les maux de s'en épargner ou d'en adoucir au moins le fentiment. O Citheron pourquoy me reçûtes-vous dès le berceau, ou pourquoy ne me donnâtes-vous pas la mort après m'avoir reçû dans votre fein ! que ne dérobiés-vous. mon fort à la connoiffance des hommes !ô Polybe, ô Corinthe, ô Palais, que je crus la maifon de mon pere, quel monftre, quel affemblage de maux avés-vous nourri fous l'apparence d'un fils de Roy ! de cette ancienne fplendeur que refte-t'il le plus méchant des hommes, iffu de la plus abominable race qui fut jamais. O chemin de Daulie, ô fo-rêts, ô buiffon, ô fentier étroit, vous qui avés bû le fang d'un pere qui couloit par mes mains, avés-vous marqué par des traits ineffaçables le fouvenir des forfaits que je commis alors,& que je devois commetre en allant àThebestaô hymen

a. C'eft-là le beau morceau cité par Longin, pour montrer que les pluriels Qut je ne fçay quoy de magnifique par la

multiplicité d'objets qu'ils offrent à l'ef-prit. Mr Dépreaux la traduit ainfi.

Hymen', funefte hymen, tu m'as donné la vie,
Mais dans ces mêmes flancs ou je fus renfermé
Tu fais rentrer ce fang dont tu m'avois formé,
Et par-là tu produis & des fils & des peres,
Des freres, des maris, des femmes, & des meres;
Et tout ce que du fort la maligne furcur
Fit jamais voir au jour & de honte & d'horreur.

Je n'ay fait que rompre la mesure des
vers; & j'ofe dire que Mr Dacier eût bien
fait d'en ufer de même. Il eft pourtant
bon de remarquer que ni l'un ni l'autre
m'a fait fentir le aîμ' iμpóru fanguinem
cognatum, qui fépare les perès, les fils
& les freres, pour marquer Oedipe, d'a-
vec les époufes & les meres, pour indi

quer Jocafte. Voilà ce que n'ont pas ob fervé Mrs Boileau, Dacier & Boivin, qui ont confondu ces mots, fils, peres, freres, maris, femmes, meres, chofes qui font le fruit de tous les mariages. je dois mon interpretation au R. P. Tournemine.

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