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adopter, en quelques lieux, une prison pénitentiaire, la première qui ait été bâtie dans le monde chrétien. Cette prison tant vantée, comme l'appelle le Père Mabillon, était construite d'après le système cellulaire des chartreux. Deux pénitents pouvaient, selon que le jugeaient les supérieurs, être enfermés dans une même cellule. Les cellules étaient saines et claires. Les reclus y étaient occupés à divers travaux manuels et recevaient de fréquentes visites du supérieur spécial préposé à leur garde et à leur instruction. Du reste, on y était condamné pour toujours, et on n'y recevait, pour toute nourriture, que du pain et des légumes crus, avec de l'eau simple pour boisson'.

A défaut de la prison pénitentiaire de saint Jean Climaque, tous les abbés de l'ordre de saint Benoît, réunis à Aix-la-Chapelle, en 817, avaient ordonné l'érection, dans chaque monastère, d'un quartier séparé, Domus semota, pour y enfermer les coupables, chacun dans une chambre à feu avec une antichambre pour le travail '.

Mais bientôt, et sous le prétexte du salut des âmes, dit Loysel, on inventa une prison nouvelle où l'on ne voyait point le jour, et dont un capitulaire fait la description en ces termes Horribilem rigorem monachi exercebant adversùs monachos graviter peccantes, eos conjiciendo in carcerem perpetuum, tenebrosum et obscurum quem VADE IN PACE vocitant 2.

Malgré les ordonnances de plusieurs de nos rois et un arrêt du parlement de 1350, le Vade in pace continua à dévorer silencieusement ses victimes, dans tous les

Voy. OEuvres posthumes du P. Mabillon, t. II, p. 323.

2 Voy. Institutes de Loysel, t. II, p. 361.

monastères du moyen âge, sans qu'aucune voix, assez forte pour être entendue, s'élevât pour faire crouler les voûtes de ses cachots.

§ VII.

Croisades.

Avantages des croisades pour le commerce, l'industrie, l'extinction de la mendicité et le bien-être des populations.

Peut-être paraîtra-t-il étrange de nous voir classer, parmi les divers moyens que le moyen âge organisa pour remédier à la misère, les croisades, ces excentriques et aventureuses expéditions qui, pour conquérir un tombeau, creusèrent tant de milliers de tombes et valurent aux croisés la lèpre, la peste et l'indigence.

Cependant, ce n'est pas sans raison que, malgré tout ce qu'elles ont entraîné de désastres après elles, nous mentionnons ici la guerre sainte des croisades comme une guerre féconde en éléments de civilisation, de soulagement et de prospérité pour les classes souffrantes.

Le premier avantage que le peuple retira de cette fièvre de guerre étrangère qui s'empara tout à coup des seigneurs féodaux, à la fin du onzième siècle ', ce fut d'être délivré, pour des années entières, pour toujours souvent, du joug tyrannique de ses oppresseurs. Pendant tout le temps que les tyrans des châ

1 La première croisade eut lieu de 1096 à 1100; la seconde, de 1147 à 1149; la troisième de 1189 à 1193; la quatrième, de 1202 à 1204; la cinquième, de 1217 à 1221; la sixième, de 1228 à 1229; la septième, de 1248 à 1254; la huitième et dernière, en 1270.

teaux guerroyaient en terre sainte, la paix régnait dans les campagnes. C'était alors seulement que s'accomplissait en réalité la Trève de Dieu.

Le second avantage que le peuple retira des guerres saintes fut de se trouver affranchi d'une autre tyrannie, non moins harcelante pour lui que celle du donjon, la tyrannie du haillon, des mendiants, des pillards, des vagabonds, des oisifs, des gens sans aveu, de la racaille enfin, pour me servir de l'expression de Loyseau, dont les manants des villes et les paysans des campagnes, paisibles et laborieux, étaient obsédés, cernés, écrasés; -car, tout ce monde-là, hommes, femmes, enfants, s'enrôla dans les croisades', et ce fut une haute pensée politique des rois et de l'Église de les y encourager par l'appât de l'or et des indulgences3, auquel vint s'ajouter l'attrait de la banqueroute et des exemptions d'impôts*.

2

Il est vrai que cette tourbe compromit, plus d'une

↑ Voy. Michaud, Hist. des Croisades, t. VI, p. 43.

2 A tous les gueux, à tous les affamés, à tous les sans le sou, on représentait l'Orient comme un Eldorado, comme une Californie, où il n'y avait qu'à se baisser pour ramasser l'or en barre. Du moins, ce fut moins l'amour du saint sépulcre que l'amour de l'or et de l'argent, amor auri et argenti qui, au dire des chroniqueurs du temps, arma le bras de plus d'un croisé; et non-seulement l'amour de l'or, mais l'espoir de posséder les plus belles femmes du monde, et pulcherrimarum fœminarum voluptas (Voy. Ibid.).

• Indulgence plénière, c'est-à-dire rémission générale de toutes les peines canoniques, était accordée à quiconque ferait le voyage et le service de Dieu, ainsi se nommait cette guerre. C'est de là que date le relâchement de la pénitence. (Fleury, Mœurs des chrét., LXIV).

Les premiers croisés étaient exempts de la taille, et furent dispensés dé payer leurs dettes. La troisième croisade donna lieu à la dîme saladine, c'est-à-dire à la dime de tous les biens meubles et de tous les revenus dont les non croisés furent exclusivement chargés (Voy. Ibid., et Blanqui, Hist. de l'écon. polit., I, p. 162 et 164, et notes).

fois, le salut de l'armée par ses désordres et par la misère qu'elle semait sur ses pas. Mais, du point de vue exclusif de l'exonération de la mère patrie auquel nous nous plaçons, le résultat était le même, que ce fût la famine ou le fer qui la déchargeât de son fardeau.

Un autre avantage des croisades fut celui-ci : les barons et les seigneurs étant forcés de se débarrasser de leurs domaines, la bourgeoisie sédentaire s'enrichit peu à peu des domaines vendus à bas prix par la noblesse vagabonde, et le pouvoir passa ainsi avec les terres aux mains de nouveaux possesseurs 1.

D'autres avantages encore, et de plus grands, furent le résultat des croisades. Nous n'en rappellerons plus qu'un celui-ci concerne l'industrie. On sait que les croisés enrôlaient de préférence les hommes qui avaient un métier ou qui exerçaient une profession mécanique. Or, ces industrieux pèlerins ne faisaient pas toujours un voyage inutile pour leur pays : ils apprenaient, dans Damas, à travailler avec succès les métaux et les tissus; ils trouvaient en Orient des manufactures de camelot, dont les échantillons excitèrent l'admiration de la reine Marguerite; beaucoup de villes

1 Blanqui, ub. sup., p. 163.

* L'agriculture reçut des croisés le mûrier, le maïs, la canne à sucre et diverses espèces de fruits et de légumes précieux. Le commerce s'enrichit de perfectionnements apportés dans la navigation, de l'usage plus méthodique et plus étendu de la boussole, des relations plus multipliées des peuples chrétiens entre eux, sous les auspices de la religion, du droit des gens et des intérêts réciproques; la servitude y trouva de nouveaux éléments de liberté, la commune de nouvelles franchises, la royauté des coudées plus franches, la France l'espoir prochain de l'unité centrale dans son gouvernement, etc., etc. (Voy. sur tout cela Hist. des Croisades de M. Michaud.)

grecques entretenaient des métiers de soie qui donnèrent naissance à la culture du mûrier en Italie et en France, et, par la suite, une extension immense à ses gracieux produits; les verreries de Tyr aidèrent au perfectionnement des belles fabriques de Venise, si justement renommées au moyen âge; il n'est pas jusqu'aux moulins à vent dont l'introduction en Europe ne soit due aux voyages des croisés '.

Ainsi, tandis que leurs compagnons marchaient à la conquête des lieux saints, les gens de métier et de profession marchaient à la croisade de l'industrie, et dérobaient aux Sarrasins et aux Grecs des procédés et des secrets plus précieux que des victoires 2.

§ VIII.

Résultats obtenus.

Chaos économique du moyen âge. — Population. Inventions et découvertes, - Monuments.- Vices de la féodalité enfantent ses vertus. Résultat final du christianisme. Le mysticisme envahit la charité. — Infidélité de ses ministres. Beghards et Franciscains. · Pauvreté absolue, misère absolue. – Solution du problème de la misère reste cachée dans le mystère de la croix.

Dans les diverses phases, politiques et économiques, qu'eut à traverser le moyen âge, les divers principes constitutifs des États et des sociétés, faisant effort de tous côtés pour se développer librement, rencontrèrent nécessairement de vives résistances, et ne purent se faire jour qu'au travers des décombres et des ruines. Les rois, les grands et les peuples d'alors

1 Blanqui, ub. sup., p. 169.
2 Michaud, ub. sup., p. 346.

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