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auditeurs, les attacher à la lecture de son ouvrage, et se gagner leur approbation par leurs louanges, autant que le pouvoient permettre les fautes où il doit (dans l'Iliade) nécessairement faire tomber ses personnages. Il s'est admirablement acquitté de ces devoirs, en faisant que ces princes braves, et ces peuples qui demeurent victorieux, fussent Grecs, et les pères de ceux qu'il vouloit flatter.

Je demanderois au P. Le Bossu pourquoi Homère devoit flatter les Grecs? Il le pouvoit sans doute; il étoit Grec luimême : mais pourquoi y étoit-il obligé? pourquoi falloit-il qu'il se conformât à leurs mœurs, à leurs coutumes, etc.? Ne pouvoit-il choisir un héros étranger? Non, répondra-t-il. il falloit qu'Homère, qui étoit dans l'obligation d'instruire les Grecs, prît un Grec pour son héros. Quiconque fait un poëme épique, entreprend d'enseigner une vérité, et ceux que l'on veut instruire doivent être nos compatriotes. Sans relever encore une fois la fausseté de ce principe, un poëte épique enseigne nécessairement et par devoir une vérité; voyons s'il est vrai que l'on soit obligé d'instruire ses concitoyens exclusivement, comme semble l'insinuer cet auteur. A-t-il eu raison de dire: L'école s'arrête aux vertus et aux vices en général : les instructions qu'elle donne sont pour tous les états, pour tous les peuples et pour tous les siècles? Le poëte a plus de soin de son pays, et des nécessités pressantes où il voit ses citoyens. C'est pour cela qu'il choisit quelque point de morale le plus propre et le plus juste qu'il puisse se l'imaginer; et, pour le persuader, il emploie moins la force du raisonnement que l'insinuation et le plaisir, s'accoutumant aux coutumes et aux inclinations particulières de ses auditeurs, et à celle que l'on a en général d'être loué. Voyons comment Homère a satisfait à toutes ces choses.

Ainsi tout poëte épique est indispensablement obligé d'instruire, et d'instruire ses concitoyens. Ne voilà-t-il pas de beaux principes? Et si quelque Italien s'avisoit, par

malheur, de chanter l'action de quelque Espagnol, par exemple, on ne pourroit le regarder comme un poëte épique? Voilà une étrange alternative ! Défions-nous toujours de ces règles hasardées, et de tout systême littéraire. Ne rayons pas du tableau des poëmes épiques le Paradis perdu, parce qu'il n'est point écrit exprès pour instruire, au moins à ce que j'imagine, et parce que les héros, savoir, Adam, Eve, les Anges, les Diables et le Serpent, n'étoient poiut Anglais.

Un excellent critique, qui prétendoit que le plaisir seul des lecteurs, et non pas leur instruction, étoit ce que tout poëte devoit se proposer, et qui conséquemment avoit une idée plus juste de la poésie et de la poésie épique que le P. Le Bossu, pensoit cependant comme ce dernier, que l'on devroit prendre dans l'Histoire de France un sujet, si l'on vouloit réussir dans un poëme épique écrit en français. Ce qu'il dit mérite d'être rapporté, et son raisonnement a un côté vrai; mais je ne suis pas tout à fait de son sentiment:

« Un sujet peut être intéressant en deux manières : en premier lieu, il est intéressant de lui-même, et parce que ses circonstances sont telles qu'elles doivent toucher les hommes en général; en second lieu, il est intéressant par rapport à certaines personnes seulement, c'est-à-dire, que tel sujet qui n'est capable que de s'attirer une attention médiocre de la part du commun des hommes, s'attire cependant une attention très-sérieuse de la part de certaines personnes. Par exemple, un portrait est un tableau assez indifférent pour ceux qui ne connoissent pas la personne qu'il représente; mais ce portrait est un tableau précieux pour ceux qui aiment la personne dont il est le portrait. Des vers remplis de sentimens pareils aux nôtres, et qui dépeignent une situation dans laquelle nous sommes, ou même une situation dans laquelle nous aurions été autrefois, ont pour nous un attrait particulier. Le sujet qui renferme les principaux événemens de l'histoire d'un certain peuple est

plus intéressant pour ce peuple-là que pour une autre nation. Le sujet de l'Enéïde étoit plus intéressant pour les Romains, qu'il ne l'est pour nous; le sujet du poëme de la Pucelle d'Orléans est plus intéressant pour nous que pour les Italiens. Je ne parlerai pas plus au long de cet intérêt de rapport, et particulier à certains hommes comme à certains temps, d'autant qu'il est facile aux peintres et aux poëtes de connoître si les sujets qu'ils entreprennent de traiter inté-ressent beaucoup les personnes devant lesquelles ils doivent produire leurs ouvrages.

« Je me contenterai donc de faire deux réflexions à ce sujet. La première est qu'il est bien difficile qu'un poëme de quelque étendue, et qui ne doit pas être soutenu par le pathétique de la déclamation, ni par l'appareil du théâtre, réussisse, s'il n'est pas composé sur un sujet qui réunisse les deux intérêts; je veux dire sur un sujet capable de toucher tous les hommes, et qui plaise encore particulièrement aux compatriotes de l'auteur, parce qu'il parle des choses auxquelles ils s'intéressent le plus ; on ne lit pas un poëme pour s'instruire, mais pour son plaisir, et on le quitte quand il n'a point un attrait capable de nous attacher. Or il est presque impossible que le génie du poëte soit assez fertile en beautés, et que le poëte puisse les diversifier encore avec assez de variété pour nous tenir attentifs, pour ainsi dire, à force d'esprit, durant la lecture d'un poëme épique. C'est trop oser que d'entreprendre à la fois d'exciter et de satisfaire notre curiosité; c'est trop hasarder que de vouloir nous faire aimer des personnages qui nous sont pleinement indifférens, avec assez d'affection, pour être émus de tous leurs succès et de toutes leurs traverses. Il est bon que le poëte se prévaille de toutes les inclinations et de toutes les passions qui sont déjà en nous, principalement de celles qui nous sont propres comme citoyens d'un certain pays, ou par quelque autre endroit. Le poëte qui introduiroit Henri IV dans un poëme épique, nous trouveroit déjà affectionnés à son héros

et à son sujet : son art s'épuiseroit peut-être en vain, avant qu'il nous eût intéressés pour un héros ancien, ou pour un prince étranger, autant que nous le sommes déjà pour le meilleur de nos rois.

« L'intérêt de rapport, ou l'intérêt qui nous est particulier, excite autant notre curiosité, il nous dispose du moins autant que l'intérêt général à nous attendrir comme à nous attacher. L'imitation des choses auxquelles nous nous intéressons, comme citoyens d'un certain pays, ou comme sectateurs d'un certain parti, a des droits tout puissans sur nous. Combien de livres de parti doivent leur première vogue à l'intérêt particulier que prennent à ces livres les personnes attachées à la cause pour laquelle ils parlent! Il est vrai que le public oublie bientôt les livres qui n'ont d'autre mérite que celui de prendre l'essor en certaines conjonctures : il faut que le livre soit bon dans le fond pour se soutenir; mais s'il est tel, s'il mérite de plaire à tous les hommes, l'intérêt particulier le fait connoître beaucoup plus tôt. Un bon livre fait, à la faveur de cet intérêt, une fortune et plus prompte et plus grande d'ailleurs il est des intérêts de rapport qui subsistent long-temps, et qui peuvent concilier à un ouvrage, durant plusieurs siècles, l'attention particulière d'un grand nombre de personnes. Tel est l'intérêt que prend une nation au poëme qui décrit les principaux événemens de son histoire, et qui parle des villes, des fleuves et des édifices, sans cesse présens à ses yeux. Cet intérêt particulier auroit fait réussir la Pucelle de Chapelain, si le poëme n'eût été que médiocre.

«Il est vrai que toutes les nations de l'Europe lisent encore l'Éneïde de Virgile avec un plaisir infini, quoique les objets que ce poëme décrit ne soient plus sous leurs yeux, et quoiqu'elles ne prennent pas le même intérêt à la fondation de l'empire romain que les contemporains de Virgile, dont les plus considérables se disoient encore descendus des héros qu'il chante. Les fêtes, les combats et les lieux dont il parle,

lui

ne sont connus à plusieurs de ses lecteurs que par ce que même en raconte. Mais l'Éneïde, l'ouvrage du poëte le plus, accompli qui jamais ait écrit, a, pour ainsi dire, des moyens de reste de faire fortune; quoique ce poëme ne nous touche plus que parce que nous sommes des hommes, il nous touche encore assez pour nous attacher. Mais un poëte ne sauroit promettre à ses ouvrages une fortune pareille à celle de l'Eneide, qui est celle de toucher, sans cet intérêt qui a un rapport particulier au lecteur, à moins d'une grande présomption, principalement s'il compose en français. »

Le même auteur dit dans un autre endroit : « Un poëme épique étant l'ouvrage le plus difficile que la poésie française puisse entreprendre, à cause du génie de notre langue et de la mesure de nos vers, il importeroit beaucoup au poële qui oseroit en composer un, de choisir un sujet où l'intérêt général se trouvât réuni avec l'intérêt particulier. Qu'il n'espère pas de réussir, s'il n'entretient point les Français des lieux fameux dans leur histoire, et s'il ne leur parle point des personnages et des événemens auxquels ils prennent déjà un intérêt, s'il est permis de parler ainsi, national; tous les endroits de l'Histoire de France qui sont mémorables ne nous intéressent pas même également : nous ne prenons un grand intérêt qu'à ceux dont la mémoire est encore assez, récente. Les autres sont presque devenus pour nous les événemens d'une histoire étrangère, d'autant plus que nous n'avons pas le soin de perpétuer le souvenir des jours heureux à la nation par des fêtes et par des jeux anniversaires, ni celui d'éterniser la mémoire de nos héros, ainsi que le pratiquoient les Grecs et les Romains. Combien peu y en a-t-il parmi nous qui s'affectionnent aux événemens arrivés sous, Clovis et sous la première race de nos rois ! Pour rencontrer dans notre histoire un sujet qui nous intéresse vivement, je ne crois pas qu'il fallût remonter plus haut que Charles VII. « Il est vrai que les raisons que nous avons alléguées pour montrer qu'on ne devoit point prendre une action trop ré

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