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indépendant en face du pouvoir naturel et légitime qui le gouverne, et qu'il reconnaît au moment même où, à cette loi supérieure, il oppose sa volonté.

Tel qu'est l'enfant, tel est l'homme. De même qu'il naît libre, ainsi l'homme vit libre, et de même qu'il naît soumis, ainsi il vit soumis. La liberté existe à côté de l'autorité et lui résiste sans l'abolir. L'autorité préexiste à la liberté, et ne lui cède pas plus qu'elle ne la supprime. L'homme rend hommage à l'autorité en lui désobéissant, car il sait qu'il désobéit. L'autorité rend hommage à la liberté de l'homme en le condamnant pour en avoir mal usé, car il ne serait pas responsable de ses actes s'il n'était pas libre. La coexistence de ces deux puissances, l'autorité et la liberté, et tantôt leur accord, tantôt leur lutte, c'est là le grand fait de la nature et de la destinée humaine, le fond de l'homme et du monde.

Bien entendu que je parle ici du monde moral, du monde de la pensée et de la volonté. Dans le monde matériel, il n'y a ni autorité ni liberté; il n'y a que des forces, des forces fatales et inégales. S'il s'agissait du monde matériel, je ne pourrais que redire ce qu'a dit excellemment Pascal :

L'homme n'est qu'un roseau, le plus foible de la nature, mais c'est un roseau pensant. Il ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser; une vapeur, une goutte d'eau suffit pour le tuer. Mais quand l'univers l'écraseroit, l'homme seroit encore plus noble que ce qui le tue, parce qu'il sait qu'il meurt; et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien. » Quand l'homme obéit ou désobéit, il sait que l'autorité est devant lui, comme la liberté est en lui. Il sait ce qu'il fait, et il en répond. L'ordre moral est là tout entier.

En tout temps donc et en tout lieu, pour tous les hommes comme pour le premier, la désobéis

sance à l'autorité légitime est le principe et le fond du mal moral, ou, pour l'appeler par son nom religieux, du péché.

La désobéissance a des sources diverses et compliquées : elle peut provenir de la soif de l'indépendance, de l'ambition ou de la curiosité orgueilleuse, du laisser-aller à telle ou telle des inclinations et des tentations humaines; mais, en tout cas, elle est et reste le caractère essentiel de l'acte libre qui constitue le péché, et la source de la responsabilité qui l'accompagne.

Des hommes éminents et éminemment pieux ont contesté la liberté humaine ne sachant comment la concilier avec ce qu'ils appellent la prescience divine, ils ont renié le fait fondamental de la nature de l'homme plutôt que de confesser pleinement le mystère de la nature de Dieu. D'autres esprits, éminents aussi et sincères, se sont bornés à élever des doutes sur la liberté humaine, et à lui contester la valeur d'un fait absolu et péremp

toire. Ils ont, je crois, confondu des faits essentiellement divers quoique intimement liés entre eux; ils ont méconnu le caractère spécial et simple du fait même de la volonté libre. Appelé, il y a trente-cinq ans, dans mon cours à la Sorbonne sur l'histoire de la civilisation en France, à exposer la controverse de saint Augustin avec Pélage sur le libre arbitre, la prédestination et la grâce, je m'en suis expliqué dans des termes que je reproduis ici, n'en trouvant point d'autres qui me paraissent plus exacts et plus complets : « Le fait qui fait le fond de toute la querelle, disais-je en 1829, c'est la liberté, le libre arbitre, la volonté humaine. Pour connaître exactement ce fait, il faut le dégager de tout élément étranger, le réduire strictement à lui-même. C'est faute de ce soin qu'on l'a si souvent mal compris; on ne s'est pas placé en face du fait de la liberté, et de celui-là seul; on l'a vu et décrit, pour ainsi dire, pêle-mêle avec d'autres faits qui lui tiennent de

très-près dans la vie morale, mais qui n'en diffèrent pas moins essentiellement. Par exemple, on a fait consister la liberté humaine dans l'acte de délibérer et de choisir entre les motifs de résolution; la délibération et le jugement qui la suit ont été considérés comme l'essence du libre arbitre. Il n'en est rien. Ce sont là des actes d'intelligence, non de liberté : c'est devant l'intelligence que comparaissent les différents motifs de résolution et d'action, intérêts, passions, opinions ou autres; elle les considère, les compare, les évalue, les pèse et les juge. C'est là un travail préparatoire, qui précède l'acte de volonté, mais ne le constitue en aucune façon. Quand la délibération a eu lieu, quand l'homme a pris pleine connaissance des motifs qui se présentent à lui et de leur valeur, alors survient un fait tout nouveau, tout différent, le fait de la volonté libre; l'homme prend une résolution, c'est-à-dire commence une série de faits qui ont en lui-même leur source,

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