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3. Le savant M. Varignon, dont la constitution étoit robuste, au moins dans sa jeunesse, passoit les journées entières au travail; nul divertissement, nulle récréation, tout au plus quelque promenade à laquelle sa raison le forçoit dans les plus beaux jours. Il racontoit luimême que, travaillant après souper selon sa coutume, il étoit souvent surpris par des cloches qui lui annonçoient deux heures après minuit, et qu'il étoit ravi de se pouvoir dire que ce n'étoit pas la peine de se coucher pour se relever à quatre heures. Il ne quittoit ses méditations ni avec la tristesse que les matières pouvoient naturellement inspirer, ni même avec la lassitude que devoit causer la longueur de l'application: il en sortoit gai et vif, encore plein des plaisirs qu'il avoit éprouvés, impatient de recommencer. Il rioit volontiers en parlant de géométrie; et, à le voir, on eût cru qu'il la falloit étudier pour se bien divertir. Nulle condition n'étoit tant à envier que la sienne sa vie étoit une possession perpétuelle et parfaitement paisible de ce qu'il aimoit uniquement.

4. L'esprit d'Eustachio Manfredi, savant Italien, fut toujours au-dessus de son âge. Il composa des vers dès qu'il put savoir ce que c'étoit que des vers : il n'en eut pas moins d'ardeur ou d'intelligence pour la philo sophie. Il formoit même, dans la maison paternelle, de petites assemblées de jeunes philosophes ses camarades; ils repassoient ce qu'on leur avoit enseigné dans leurs colléges, s'y affermissoient, et quelquefois l'approfondissoient davantage. Il avoit pris naturellement assez d'empire sur eux pour leur persuader de prolonger ainsi leurs études volontairement. . Il acquit dans ces petits exercices l'habitude de bien mettre au jour ses pensées, et de les tourner selon le besoin de ceux à qui l'on parle. Cette académie d'enfans, animée par le chef et par le succès, devint en peu de temps une académie d'hommes, qui, des premières connoissances générales, s'élevèrent jusqu'à l'anatomie, jusqu'à l'optique, et enfin reconnurent d'eux-mêmes l'indispensable et agréable nécessité de la physique expérimentale. C'est de cette origine qu'est venue l'académie des sciences de Tome II.

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Bologne, qui se tient présentement dans le palais de l'Institut elle a pris naissance dans le même lieu que M. Manfredi, et elle la lui doit.

5. Toutes les journées du savant M. de la Hire étoient d'un bout à l'autre occupées à l'étude, et ses nuits très-souvent interrompues par les observations astronomiques. Nul divertissement, que celui de changer de travail. Nul autre exercice corporel que d'aller à l'observatoire, à l'académie des sciences, à celle d'architecture, au collége royal, dont il étoit aussi professeur. Peu de gens peuvent comprendre la félicité d'un solitaire qui l'est par un choix tous les jours renouvelé. Il a eu le bonheur que l'âge et le travail ne l'ont point miné lentement, et ne lui ont point fait une longue et languissante vieillesse. Quoique fort chargé d'années, il n'a été vieux qu'environ un mois, du moins assez pour ne pouvoir plus aller aux académies : quant à son esprit, il n'a jamais vieilli.

6. Jamais peut-être on ne se livra à l'étude avec plus d'application que Démosthène.Pour être plus éloigné du bruit, et moins sujet aux distractions, ce grand orateur se fit faire un cabinet souterrain, dans lequel il s'enfermoit quelquefois des mois entiers, se faisant raser exprès la moitié de la tête pour se mettre hors d'état de sortir. C'est-là qu'à la lueur d'une petite lampe il composa ces admirables harangues, dont ses envieux disoient qu'elles sentoient l'huile, pour marquer qu'elles étoient travaillées avec trop de soin. « On voit bien, répli<< quoit-il, que les vôtres ne vous ont pas coûté tant de << peine. » Il se levoit extrêmement matin; et il avoit coutume de dire qu'il étoit au désespoir, quand un ouvrier l'avoit devancé dans le travail. On peut juger des efforts qu'il fit pour se perfectionner en tout genre, par la peine qu'il prit de copier de sa propre main jusqu'à huit fois l'histoire de Thucydide, afin de se rendre plus familier le style vifet concis de cet écrivain célèbre.

7. C'est par l'étude que Périclès parvint à ce haut degré de mérite, qui le rendit, pour ainsi dire, le souverain d'Athènes; et l'application de ce grand homme à tout ce qui pouvoit former le cœur et

l'esprit, fat, en quelque sorte, le degré qui l'éleva à la puissance suprême. Il eut pour maîtres les plus savans hommes de son temps, et sur-tout Anaxagore de Clazomène, surnommé l'Intelligence, parce qu'il prouva le premier l'existence d'un Etre souverainement sage, dont la providence gouverne l'univers. Il instruisit à fond son disciple de cette partie de la philosophie qui regarde les choses naturelles, qui enseigne le mécanisme du monde, et qui, chez les anciens, en démontroit encore la cause intelligente. Cette étude lui donna une force et une grandeur d'ame qui l'éleva au-dessus d'une infinité de préjugés populaires, et des vaines observances généralement établies de son temps, qui, dans les affaires de l'Etat et dans les entreprises de la guerre, rompoient souvent les mesures les plus sages et les plus indispensables, ou les faisoient échouer par de scrupuleux délais autorisés et couverts du voile de la religion. Tantôt c'étoient des songes et des augures; tantôt d'effrayans phénomènes, comme des éclipses de soleil ou de lune; d'autrefois, des présages et des pressentimens, mille extravagances enfin, imaginées par l'ignorance timide, ou par la superstition crédule. La connoissance de lanature inspira à Périclès une piété solide à l'égard des dieux, accompagnée d'une fermeté d'ame inébranlable, et d'une tranquille espérance des biens qu'on doit attendre de la bonté du Créateur de l'univers. Cependant quelque attrait qu'eût pour lui cette étude, il ne s'y livra pas en philosophe, mais il s'y appliqua en politique ; et il sut, chose fort difficile ! se prescrire des bornes dans la carrière des sciences.

8. M. Ravingthon, célèbre Anglais, avoit vécu cinquante-deux ans, dont il avoit employé plus de vingtcinq à l'étude. Son assiduité au travail étoit si constante, qu'elle sembloit promettre des fruits considérables. Sa délicatesse étoit si extordinaire, qu'il ne laissoit rien passer sans critique; et plus sévère encore pour luimême que pour autrui, il se ménageoit si peu, qu'on ne devoit rien attendre de médiocre et de négligé de sa plume. A la vérité, cette rigueur de goût lui faisoit déchirer fort souvent le soir ce qu'il avoit composé

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pendant le jour. Mais les années d'un homme d'étude étant plus longues que celles du commun des hommes, parce qu'il en met à profit tous les momens, on ne doutoit pas que tôt ou tard le public ne recueillît les fruits d'une si longue application. Ses amis lui marquoient quelquefois cette espérance: il répondoit modestement. Enfin, sentant défaillir ses forces, peu de jours avant sa mort il fit appeler ceux qui devoient être les dépositaires de ses dernières volontés, et leur déclara l'ordre qu'il vouloit mettre dans son héritage. Comme il ne parloit point de ses papiers ni de ses livres, on lui demanda s'il en avoit déjà disposé: «Non, dit-il; << mais chaque chose aura son tour.» Deux jours se passèrent encore. Le troisième, qui fut celui de sa mort, il se fit apporter, en présence des mêmes amis, trois manuscrits fort épais qu'il prit entre ses mains, et qu'il regarda quelque temps avec tendresse. A la fin, rompant le silence par un profond soupir: « Voilà, leur «dit-il, les meilleurs amis que j'aie eus au monde, du << moins si le nom d'ami convient à ce qui nous a causé <«<le plus de plaisir, à ce qui nous a tenu la compagnie la << plus fidelle. J'ai trouvé de la douceur à les faire, de la << douceur à les perfectionner, de la douceur à les lire; << j'en trouve encore à les voir. Ils ne s'est point passé un « jour, depuis plus de vingt ans, que je n'y aie changé «< ou ajouté quelque chose. Je ne veux point que ce << qui m'a coûté si cher passe en d'autres mains que les << miennes : qu'on m'apporte du feu. » Ses amis, surpris de son dessein, balançoient à le satisfaire. Il leur témoigna fort amèrement que ce refus l'offensoit. « Quoi !

reprit-il, vous m'ôterez le droit de disposer de mon « ouvrage? Vous me refusez la seule consolation que « je demande en mourant? Apprenez que si la justice « m'oblige de laisser mon héritage à ceux qui me sur« vivent, parce que je l'ai reçu de ceux qui m'ont pré« cédé, elle me permet d'emporter, ou de faire périr << avec moi ce qui n'a de lien ni de relation avec per<«<sonne, enfin ce qui ne doit son être et sa naissance <«< qu'à moi. J'en suis le maître absolu, comme le roi «l'est de ma fortune, et le Ciel de ma vie. Ma volonté

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s'exécutera, ou je me plaindrai jusqu'au dernier sou<< pir de la violence qu'on me fait. » En prononcant ces paroles avec beaucoup d'agitation, il serroit ses livres entre ses bras, sans vouloir permettre qu'on en lût même les titres, et il protesta que rien n'étoit capable de lui faire changer de résolution. La crainte d'avancer sa mort, qui ne paroissoit pourtant guère éloignée l'emporta sur le regret qu'on avoit de lui obéir. Les trois manuscrits furent dévorés par les flammes, et M. Ravingthon mourut content quelques heures après. 9. Bien des gens s'imaginent que les travaux de l'étude sont incompatibles avec la foiblesse de l'âge tendre; et si quelque enfant se rend célèbre par des talens acquis dans ses premières années, on le regarde comme un de ces phénomènes que la nature se plaît quelquefois à produire pour manifester ses richesses. Cependant ces prodiges ne sont pas si rares qu'on le pense; et pour détruire le préjugé, il suffit de présenter aux lecteurs un précis de l'histoire de ceux qui se sont fait un nom par les productions de leur esprit, avant l'âge de vingt ans ; ce sont, pour ainsi dire, des exemples domestiques que nous offrons à la jeunesse : puissentils piquer son émulation !

Eupolis, poète de l'ancienne comédie, vivoit à Athènes, du temps d'Artaxerxès-Longuemain. Avant l'âge de dix-sept ans, il avoit déjà composé dix-sept comédies, qui furent toutes représentées sur le théâtre avec l'applaudissement des Athénieus, ses compatriotes. Suidas ajoute qu'il y en eut sept qui remportèrent le prix destiné aux meilleurs ouvrages.

Le célèbre Hortensius, gendre de Catulus, n'avoit pas encore dix-huit ans, lorsqu'il acquit la réputation d'excellent orateur. Cicéron fait dire à Crassus qu'il le jugeoit tel dès-lors; et qu'il en avoit déjà fait le même jugement, lorsqu'étant consul il lui entendit plaider la cause de la province d'Afrique contre les préteurs, depuis encore celle du roi de Bithynie. Que ce n'étoit ni flatter Catulus, ni favoriser Hortensius, que de reconnoître qu'il avoit perfectionné les dons de la nature par l'étude la plus variée et l'exercice le plus assidu.

et

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