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l'illustre accusé pût préparer ses défenses. On rejeta sa requête; et le sauveur de Rome alloit être condamné par défaut, lorsque Tibérius Sempronius Gracchus, l'un des tribuns, ennemi particulier de Scipion, se leva, et dit : « Puisque L. Scipion apporte la maladie « de son frère pour excuse de son absence, cela doit «suffire. Je ne souffrirai pas que l'on procède contrelui << avant son retour; et alors même, s'il a recours à << moi, je le soutiendrai de mon autorité pour le dis<< penser de répondre. Scipion, par la grandeur de ses « exploits, et par les honneurs où vous l'avez tant de << fois élevé, est parvenu, de l'aveu des hommes et des « dieux, à un si haut degré de gloire, qu'il est plus « honteux pour le peuple romain que pour lui, qu'on « le voie au bas de la tribune aux harangues en butte << aux accusations et aux invectives d'une jeunesse <«< indiscrète. Quoi ! continua-t-il, en s'adressant aux << tribuns avec indignation; quoi! vous verrez sous vos << pieds ce Scipion vainqueur de l'Afrique? N'a-t-il donc << défait et mis en fuite en Espagne quatre des plus cé<< lèbres généraux carthaginois, et leurs quatre armées, << n'a-t-il fait Syphax prisonnier, n'a-t-il vaincu An<< nibal, n'a-t-il rendu Carthage tributaire de Rome, « n'a-t-il enfin forcé Antiochus, par une victoire dont << L. Scipion, son frère, consent de partager la gloire << avec lui, à se retirer au delà du mont Taurus, que << pour succomber à l'animosité des Pétilius, et les voir << remporter sur lui un triomphe qui déshonoreroit << Rome? Helas! la vertu des grands hommes ne trou« vera-t-elle jamais ni dans son propre mérite, ni dans <<< les honneurs où vous l'élevez, un asile, et comme un << sanctuaire, où leur vieillesse, si elle ne recoit pas les << honneurs et les hommages qui lui sont dûs, soit du <<< moins à couvert de l'outrage et de l'injustice? » Ce discours fit impression sur la multitude; les accusateurs, confondus par la générosité de Sempronius, se désistèrent de leurs poursuites, et respectèrent en silence le mérite d'un homme pour qui ses ennemis même avoient une vénération profonde.

18. Emilie, aïeule de Scipion Emilien, constitua

pour son héritier cet illustre Romain. Outre les diaz mans, les pierreries et les autres bijoux qui composoient la parure d'Emilie, cette dame avoit une grande, quantité de vases d'or et d'argent, destinés pour les sacrifices; un train magnifique, des chars, des équipages, un nombre considérable d'esclaves de l'un et de l'autre sexe. Quand elle fut morte, Scipion abandonna tout ce riche appareil à sa mère Papiria, qui, répudiée depuis quelque temps par Paul-Emile, et n'ayant pas de quoi soutenir la splendeur de sa naissance, menoit une vie obscure, et ne se montroit plus dans les assem blées ni dans les cérémonies publiques. Quand on l'y vit reparoître avec cet éclat, une si magnifique libéralité fit beaucoup d'honneur à Scipion, dans une ville sur-tout où l'on ne se dépouilloit pas volontiers de son bien. Il ne se fit pas moins admirer dans un autre occasion. Il étoit obligé, en conséquence de la succession qu'il venoit de recueillir, de payer, en trois termes différens, aux deux filles de Scipion, son grand-père adoptif, la moitié de leur dot, qui montoit à cinquante mille écus. A l'échéance du premier terme, Scipion fit remettre entre les mains du banquier la somme entière. Tibérius Gracchus et Scipion Nasica, qui avoient épousé ces deux sœurs, croyant que Scipion s'étoit trompé, allèrent le trouver, et lui représentèrent que les lois lui laissoient l'espace de trois ans pour fournir cette somme. « Je n'ignore pas la disposition des lois, << répondit-il on en peut suivre la rigueur avec des « étrangers; mais avec des amis, avec des proches, «< on doit en agir avec plus de simplicité, plus de no« blesse. » Ce fut par le même esprit que, deux ans après, Paul-Emile, son père, étant mort, il céda à son frère Fabius, moins riche que lui, la part qu'il avoit dans la succession de leur père, laquelle montoit à plus de soixante mille écus. Les présens que Scipion avoit faits à sa mère Papiria, lui revenoient de plein droit après sa mort; et ses soeurs, selon l'usage de ce temps, n'y pouvoient rien prétendre. Mais il auroit cru se déshonorer, et rétracter ses dons, s'il les avoit repris. Il laissa donc à ses sœurs tout ce qu'il avoit donné à leur

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mère, et s'attira de nouveaux applaudissemens par cette nouvelle preuve qu'il donna de sa grandeur d'ame, et de sa tendre amitié pour sa famille. Ce qui relève surtout cette rare générosité, c'est qu'il étoit jeune encore, et qu'il exerçoit cette vertu bienfaisante avec les manières les plus gracieuses et les plus polies.

19. Fabius-Maximus, surnommé le Temporiseur, avoit fait avec Annibal un traité pour le rachat des prisonniers, par lequel il étoit convenu qu'on rendroit homme pour homme; et que celui qui, après l'échange, se trouveroit encore avoir des prisonniers, les rendroit tous pour cent vingt-cinq livres chacun. L'échange fait, il se trouva qu'Annibal avoit encore deux cent quarante-sept Romains. Le sénat refusa d'envoyer leur rancon, et fit de grandes plaintes de Fabius lui reprochant que, contre la dignité et la majesté de Rome, et au grand préjudice de la république, il rachetoit des hommes qui, ayant les armes à la main, avoient été assez lâches pour se laisser prendre par l'ennemi. Fabius, informé de tous ces emportemens du sénat, les souffrit sans se plaindre; mais, se trouvant sans argent, et ne pouvant se résoudre ni à manquer de parole ni à abandonner ses concitoyens, il envoya son fils Quintus-Fabius à Rome, avec ordre de vendre ses terres, et de lui en apporter l'argent. Le jeune patricien exécuta promptement les ordres de son père, et revint à l'armée avec une somme considérable. Fabius envoya sur-le-champ au général carthaginois le prix dont il étoit convenu, et retira les prisonniers. La plupart offrirent de le rembourser dans la suite; mais jamais ce généreux Romain ne voulut rien recevoir pour toute reconnoissance, il les pria de bien aimer et de mieux servir la patrie.

20. Les soldats de Scipion l'Africain lui amenèrent une jeune personne d'une beauté si rare, qu'elle attiroit sur elle les regards de tout le monde. Le général romain voulut savoir à qui elle appartenoit, et quelle 'étoit sa naissance. Ayant appris, entre autres choses, qu'elle étoit sur le point d'être mariée à Allucius, prince des Celtibériens, il le manda avec les parens de la jeune

prisonnière; et comme on lui dit qu'Allucius l'aimoit éperdument, ce seigneur espagnol ne parut pas plutôt en sa présence, qu'avant même de parler au père et à la mère, il le prit en particulier. Alors, pour calmer les inquiétudes qu'il pouvoit avoir au sujet de la jeune Espagnole, il lui parla en ces termes : « Nous sommes << jeunes vous et moi, ce qui fait que je puis m'expli« quer avec plus de liberté. Ceux des miens qui m'ont « amené votre épouse future, m'ont en même temps << assuré que vous l'aimiez avec une extrême tendresse; << et sa beauté ne m'a laissé aucun lieu d'en douter. Là<< dessus, faisant réflexion que si je songeois comme << vous à prendre un engagement, et que je ne fusse << pas uniquement occupé des affaires de ma patrie, je

souhaiterois qu'on favorisât une passion si honnête « et si légitime : je me trouve heureux de pouvoir, dans << la conjoncture présente, vous rendre un pareil ser<< vice. Celle que vous devez épouser a été parmi nous, << comme elle auroit été dans la maison de son père et <«< de sa mère. Je vous l'ai réservée pour vous en faire << un présent digne de vous et de moi. La seule recon<< noissance que j'exige de vous pour ce don, c'est que << vous soyez ami du peuple romain. Si vous me jugez « homme de bien; si j'ai paru tel aux peuples de cette << province, sachez qu'il y en a dans Rome beaucoup « qui valent mieux que moi; et qu'il n'est point de peuple. << dans l'univers que vous deviez plus craindre d'avoir << pour ennemi, ni souhaiter davantage d'avoir pour <«<ami. » Allucius, pénétré de joie et de reconnoissance, baisoit les mains de Scipion, et prioit les dieux de le récompenser d'un si grand bienfait, puisque luimême il n'étoit pas en état d'en faire autant qu'il l'auroit souhaité, et que le méritoit son bienfaiteur.

ils

Scipion fit venir ensuite le père, la mère et les autres parens de la jeune princesse. Ils avoient apporté une grande somme d'argent pour la racheter. Mais quand ils vinrent qu'il la leur rendoit sans rançon, le conjurèrent, avec de grandes instances, de recevoir d'eux cette somme comme un présent, et témoignèrent que, par cette complaisance et cette nouvelle grace,

il

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mettroit le comble à leur joie et à leur reconnoissance. Scipion ne put résister à des prières si vives et si pressantes: il leur dit qu'il acceptoit ce don, et le fit mettre à ses pieds. Alors, s'adressant à Allucius : « J'ajoute, << dit-il, à la dot que vous devez recevoir de votre « beau-père, cette somme que je vous prie d'accepter <«< comme un présent de noces. » Ce jeune prince charmé de la libéralité et de la politesse de Scipion, alla publier dans son pays les louanges d'un si généreux vainqueur. Il s'écrioit, dans les transports de sa reconnoissance, qu'il étoit venu dans l'Espagne un jeune héros semblable aux dieux, qui se soumettoit tout, moins encore par la force de ses armes, que par les charmes de ses vertus et la grandeur de ses bienfaits. C'est pourquoi, ayant fait des levées dans tout le pays qui lui étoit soumis, il revint, quelques jours après trouver Scipion avec un corps de quatorze cents cavaliers. Allucius, pour rendre plus durables les marques de sa reconnoissance, fit graver dans la suite l'action que nous venons de rapporter, sur un bouclier d'argent dont il fit présent au général romain; présent infiniment estimable et plus glorieux que tous les triomphes.

Ce bouclier, que Scipion emporta avec lui en retournant à Rome, périt au passage du Rhône avec une partie du bagage. Il étoit demeuré dans ce fleuve jusqu'à l'an 1665, que quelques pêcheurs le trouvèrent ; et c'est aujourd'hui l'une de ces pièces précieuses qui embetlissent le cabinet du roi.

21. M. Thomson, l'auteur du poëme des Saisons, ne jouit pas tout de suite d'une fortune égale à son mérite et à sa réputation. Dans le temps même que ses ouvrages avoient la plus grande vogue, il étoit réduit aux extrémités les plus désagréables. Il avoit été forcé de faire beaucoup de dettes: un de ses créanciers, immédiatement après la publication de son poëme des Saisons, le fit arrêter dans l'espérance d'être bientôt payé par l'imprimeur. M. Quin, comédien, apprit le malheur de Thomson: il ne le connoissoit que par son poëme; et ne bornant pas à le plaindre, comme une infinite de gens riches et en état de le sécourir, il se

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