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le peu qui lui restoit de forces, il se lève, et se met à marcher, sans savoir où il alloit. Après avoir traversé des marais profonds, des fossés pleins d'eau et de bourbe, il arrive enfin à la cabane d'un pauvre vieillard qui travailloit à ses marais. Il se jette à ses pieds: il le supplie de sauver un malheureux qui, s'il échappe audanger dont il est menacé, peut le récompenser au delà de ses espérances. « Si vous n'avez besoin que de repos, lui << dit cet homme, ma cabane peut vous suffire; mais « si vous avez des ennemis qui vous poursuivent, je « vous cacherai dans un lieu plus sûr et plus tran<< quille. » Marius l'avant prié de lui rendre ce service, il le conduisit au fond du marais, le fit coucher dans un lieu creux, le couvrit de roseaux et d'antres matières légères, qui pouvoient le cacher sans l'incommoder de leur poids. Un instant après, arrive une troupe de cavaliers qui cherchoient le général fugitif. Ils commencent par effrayer le vieillard, en criant qu'il avoit reçu chez lui, et qu'il recéloit un ennemi du peuple romain. Marius, qui les entendoit, et qui ne se croyoit pas en sureté, se lève aussitôt du lieu où il étoit caché; et s'étant dépouillé, il se précipite dans l'endroit du marais où l'eau étoit la plus épaisse et la plus bourbeuse. On l'aperçoit : on court à lui; on le retire tout nu et couvert de fange; et dans cet état affreux, on le conduit à Minturnes pour lui faire son procès. Après avoir long-temps délibéré, les magistrats résolurent enfin d'obéir au décret fatal. Marius est condamné à mort; mais il ne se trouva pas un seul des citoyens qui voulût terminer les jours d'un homme si célèbre. Enfin, un cavalier cimbre accepta cette triste commission. Il entre, l'épée à la main, dans la chambre où Marius étoit enfermé. Il étoit alors couché, et se préparoit à prendre quelque repos. Comme le lieu étoit fort obscur on dit qu'il parut au cavalier que les yeux du proscrit jetoient une flamme très-vive, et qu'il crut entendre une voix terrible qui lui cria : « Malheureux! oses-tu « tuer Caïus Marius? » Le Barbare épouvanté prit la fuite; et jetant son épée loin de lui, il se mit à crier au milieu de la rue « Je ne puis tuer Marius ! »

Ce prodige étonne les magistrats: à la surprise succède la compassion. Ils se reprochent d'avoir voulu faire mourir un homme qui avoit sauvé l'Italie. Ils le font sortir de la maison où il étoit : ils l'accompagnent jusqu'au rivage de la mer; ils lui fournissent un vaisseau et des vivres; et, lorsqu'ils le voient embarqué, ils s'écrient : « Qu'il aille par-tout où il voudra, errant <«<et fugitif, épuiser ailleurs les maux dont sa destinée «<le menace : nous prions seulement les dieux de ne << pas nous punir, si nous jetons hors de notre ville << Marius nu, et dénué de tous secours. >>

Marius, poussé par un vent favorable, aborde à l'île d'Enaria, où il trouve Granius, son beau-fils et ses autres amis, avec lesquels il continue sa route vers l'Afrique. Mais l'eau leur ayant manqué, ils furent obligés de relâcher en Sicile, vis-à-vis la ville d'Erix. Là, un questeur des Romains, qui gardoit cette côte, pensa prendre Marius, et tua seize de ceux qui étoient descendus avec lui pour faire de l'eau. Marius se rembarque aussitôt; et doublant de rames, il aborde à Carthage. Sextilius commandoit alors en Afrique. Marius, qui ne lui avoit fait ni bien ni mal, espéroit que la compassion seule le porteroit à le secourir. Mais à peine eutil pris terre avec un petit nombre de ses gens, qu'un des officiers du gouverneur vint à sa rencontre, s'arrêta devant lui, et lui adressant la parole: « Ennemi « des Romains, lui dit-il, je viens de la part de Sexti«lius qui te défend de mettre le pied en Afrique, et << qui te déclare que, si tu n'obéis, il obéira lui-même << au décret du sénat. » A ces mots, l'illustre proscrit jeta des regards terribles sur l'officier qui lui portoit cet ordre, et garda le silence. L'envoyé fatigué d'attendre, lui demanda enfin quelle réponse il vouloit faire à Sextilius. Alors poussant un grand soupir: « Mon ami, « lui répondit-il, rapportes à ton général que tu as vu << Marius fugitif assis sur les ruines de Carthage. »

Le malheureux Romain, poursuivi sans cesse par la fortune ennemie, mais toujours supérieur à ses disgraces par son invincible constance, se vit obligé d'abandonner l'Afrique. Il se remit en mer, fit voile vers un

port de Toscane appelé Talamon, et de là fit publier qu'il donneroit la liberté aux esclaves qui voudroient s'enrôler sous ses auspices. Les laboureurs et les bergers de la contrée, tous gens libres, accoururent sur la côte au nom de Marius. En peu de jours, il rassemble des troupes si considérables, qu'ilen remplit quarante vaisseaux. Avec ces forces, il alla joindre le consul Cinna qui avoit été chassé de Rome par son collégue Octavius, et qui prétendoit y rentrer à main armée. Cinna reçut Marius à bras ouverts, le nomma proconsul, et lui envoya les faisceaux et les autres marques de cette dignité. Il les refusa : « Ces ornemens, dit-il, ne conviennent << pas à l'abaissement de ma fortune. » Il continua de porter une méchante robe il laissa toujours croître ses cheveux; il affecta de marcher d'un pas tardif et pesant, comme un homme accablé par les années et par les travaux. Par cet abattement simulé, il vouloit exciter la commisération; mais au travers de cette humiliation volontaire, on voyoit éclater cette fierté d'ame et ce caractère redoutable qui lui étoient naturels. On démêloit dans ses regards, que le changément de sa fortune avoit plus aigri son courage, qu'il ne l'avoit abattu. Cinna et Marius réunis, eurent bientôt triomphé des obstacles qui leur fermoient les portes de Rome. Avant qu'ils y entrassent, le sénat leur envoya des députés, pour les prier d'épargner les citoyens. Cinna, comme consul, leur donna audience, assis sur son tribunal, et leur fit une réponse pleine de douceur et d'humanité. Marius se tenoit debout derrière le souverain magistrat de la république, et gardoit un profond silence; mais la sévérité de son visage, mais les regards farouches qu'il lançoit sur les députés, annoncoient qu'il rempliroit bientôt la capitale de l'univers de meurtres et de carnage. Après l'audience, Cinna entra dans Rome, environné de ses gardes. Marius, s'arrêtant sur la porte, dit avec une ironie mêlée de colère, qu'il étoit banni, et que les lois lui défendoient l'entrée de Rome; que, si l'on avoit besoin de sa présence, il falloit casser par une loi nouvelle, celle qui l'avoit proscrit : comme s'il eût été fort

scrupuleux

scrupuleux sur les lois ! comme s'il fût entré dans une ville libre ! Le peuple s'assembla donc dans la place; mais avant que trois ou quatre tribuns eussent donné leurs suffrages, Marius ennuyé leva le masque; et, se moquant de ces vaines formalités, il entra dans la ville, environné de ses satellites, qui, sur le moindre signe, tuoient tous ceux qui se présentoient. Fatigué plutôt qu'assouvi de meurtres, il laissoit respirer les citoyens, et tâchoit de prendre quelque repos, après tant d'infortunes, lorsqu'il apprit que Sylla, ayant terminé la guerre contre Mithridate, revenoit à Rome avec une puissante armée. Cette nouvelle fit renaître ses alarmes. Affoibli par la vieillesse et par les malheurs, il ne se sentoit pas en état de résister à un rival jeune et victorieux. Pour se distraire de ces pensées désolantes, il se livra aux plaiširs de la table, et ne trouva plus de tranquillité que dans l'ivresse triste ressource de sa constance. Cependant Sylla approchoit, et le bruit couroit qu'il entreroit dans Rome dans peu de jours. Marius, étant un soir à table avec ses amis, s'étendit beaucoup sur les malheurs de sa vie, et sur l'inconstance de sa fortune. Ensuite il embrassa tous les convives, avec un sentiment de tendresse qui ne lui étoit pas ordinaire, et s'alla coucher. Le lendemain, on le trouva mort dans son lit.

7. Le prince Menzikoff, d'abord garçon pâtissier ensuite favori du czar Pierre-le-Grand, et le principal instrument des victoires et des réformes de ce prince, confident et ami de la czarine, veuve et héritière de ce monarque fameux; tuteur absolu du czar Pierre II son petit-fils, près d'en être le beau-père, ayant déjà ane de ses filles fiancée avec son maître, jouissant d'un pouvoir sans bornes, d'une opulence excessive, est tout d'un coup écarté de la cour par une cabale adroite qui s'est emparée de l'esprit du jeune empereur, etrelégué d'abord dans une de ses terres, à deux cent cinquante lieues de la capitale. Bientôt cet éloignement paroît à ses ennemis une proximité redoutable: il vient un ordre de le conduire en Sibérie, à quinze cents lieues de Pétersbourg. On le dépouilla de ses habits, pour lui Tome II C

en donner un semblable à ceux que portent les paysans russes. Sa femme et ses enfans essuyèrent le même sort: on les couvrit de robes de bure et de bonnets de peaux de mouton. La princesse Menzikoff, née avec un tempérament délicat, et accoutumée aux commodités de l'opulence, ne tarda point à succomber aux fatigues et à la peine elle mourut dans la route aux environs de Casan. Son mari eut le courage et la force de l'exhorter à la mort elle expira entre ses bras. Cette séparation causa à Menzikoff la plus vive douleur ; il perdoit dans sa femme sa plus douce consolation. Il fut obligé de lui rendre lui-même les derniers devoirs, et l'enterra dans le lieu où elle étoit morte. A peine lui laissa-t-on le temps de verser des larmes sur son tombeau, on le forca de hater sa route jusqu'à Tobolsk, capitale de la Sibérie. La nouvelle de sa disgrace et de son arrivée l'avoit dévancé. On se repaissoit d'avance du plaisir de voir dans les fers un homme qui, peu de temps auparavant, avoit fait trembler la Russie sous ses volontés. Les premiers objets qui s'offrirent à ses regards, lorsqu'il arriva dans cette ville, furent deux seigneurs russes qui avoient été exilés sous son ministère. Ils vinrent à sa rencontre, et l'accablèrent d'injures pendant qu'il traversa la ville. Loin de marquer de l'impatience, il dit à l'un d'eux : « Tes reproches sont justes, « je les ai mérités : satisfais-toi, puisque tu ne peux tirer

d'autre vengeance dans l'état où je suis. Je t'ai sacrifié « à ma politique, parce que ta vertu et la roideur de <«<ton caractère me faisoient ombrage. » Se tournant ensuite vers l'autre : «J'ignorois entiérement, lui dit-il, <«< que tu fusses en ces lieux. Ne m'impute point ton mal<< heur. Tu avois sans doute quelques ennemis auprès « de moi, qui m'ont surpris pour obtenir l'ordre de << ton exil. J'ai souvent demandé pour quelles raisons << je ne te voyois pas; on me faisoit des réponses va<< gues, et j'étois trop occupé pour penser aux affaires <«< des particuliers. Si tu crois cependant que les injures << puissent adoucir ton chagrin, tu peux te satisfaire.» Un troisième exilé perça la foule, et, par un raffinement de vengeance, il couvrit de boue le visage du fils

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