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ses juges beaucoup de disposition à le croire sincère. On ne tarda guère à l'interroger. Quatre des plus graves sénateurs de Stockholm lui reprochèrent son crime, et le pressèrent de confesser les intelligences qu'il entretenoit avec la Moscovie. Il ne leur répondit que par une courte relation qu'il leur fit, les larmes aux yeux, de la manière dont il s'étoit accoutumé à mâcher de vieux parchemins. Quelque foiblesse qu'il y eût dans cette défense, l'air dont il la prononçoit fit impression sur l'un des vieux sénateurs, qui avoit assez d'expérience pour démêler les caractères de la droiture et de l'innocence. S'attachant de plus en plus à l'examiner, il remarqua que, tandis qu'il écrivoit sa déposition, et livré, comme il étoit, tout entier aux demandes qu'il recevoit, et au soin d'y répondre, il ne laissoit point d'avancer la main par intervalle vers l'écritoire qui étoit sur la table, d'où il tiroit de petits lambeaux de vieux parchemin dont elle étoit doublée, et que, par un mouvement tout naturel, il les portoit à la bouche. Cette observation fit trouver au sénateur plus de vraisemblance dans son récit. Il lui fit plusieurs questions sur la naissance et la force de son habitude; il demanda des circonstances et des preuves. Heureusement l'accusé en avoit de présentes dans un grand nombre de petits rouleaux de parchemin qu'il tira de ses poches. Leur forme, leur odeur, tout s'accordoit avec l'idée qu'il en avoit fait prendre. Le sénateur devint son défenseur autant que son juge.D'autres informations qu'on fit sur sa conduite et ses liaisons, ayant achevé d'établir son caractère, le baron de Goërtz fut le premier à solliciter sa liberté et sa grace.

Cependant, soit qu'il craignît que sa foiblesse ne l'exposât à quelque nouvel embarras, soit que l'éclat d'une telle aventure l'eût dégoûté de ses services, il le congédia, après l'avoir honnêtement récompensé. Il y avoit peu d'apparence qu'un homme rejeté par le ministre, pût trouver d'autres occasions de s'établir dans la Suède. Le malheureux secrétaire prit le parti de la quitter; et passant en Courlande, où son aventure n'étoit pas connue,il s'attacha au premier homme d'affaire qui voulut l'employer. Le fortune, qui le conduisoit par la main,

l'adressa au receveur-général de Mittau, homme livré aux plaisirs, qui cherchoit depuis long-temps un écrivain habile, sur lequel il pûtse reposer de la fatigue et des soins de son emploi. Avec beaucoup d'esprit et d'assiduité, le nouveau secrétaire fit bientôt reconnoître en lui tous les talens qu'on désiroit. Il se fit aimer de son maître ; mais il n'étoit pas guéri de la funeste habitude qui avoit ruiné sa fortune en Suède. Le receveur, ayant un jour fini ses comptes, revint muni d'une quittance signée de la main du duc de Courlande; et, la regardant comme une pièce d'autant plus importante, que ses ennemis s'étoient déjà prévalus de ses inclinations voluptueuses, pour l'accuserde dissipation et de mauvaise foi, il la remit à son secrétaire, en lui recommandant de la conserver avec soin.

Ce papier n'avoit point les qualités qui pouvoient piquer son ancien goût pour le parchemin : ce ne fut que par distraction et par la force de l'habitude, qu'il le mit entre ses lèvres: d'ailleurs, quelques années d'intervalle avoient affoibli l'impression de sa première disgrace. Quoi qu'il en soit, il exposa malheureusementce papier à l'avidité de ses dents; et, dans un espace fort court, elles s'y imprimèrent assez, pour corrompre le nom du duc, qui faisoit tout le prix de cette pièce. Ils'en apercut aussitôt; mais le mal étoit déjà irréparable. It le crut même beaucoup plus grand qu'il n'étoit; et, se rappelant l'aventure de Stockholm, il ne douta point qu'il ne fût à la veille du même danger. Cependant un peu de réflexion lui fit tirer avantage du passé. Le soupçon d'infidélité étant ce qu'il avait de plus fàcheux à redouter, il se détermina à prévenir son maître par l'aveu volontaire de cet accident; et, pour s'attirer plus d'indulgence, en excitant sa compassion, il commenca par le récit du malheureux événement qui lui avait fait abandonner la Suède. Il ne vint qu'en tremblant à ce qu'il vouloit confesser.

Lereceveur comprit le sujet de sa peine; et, n'y trou vant que la matière d'une plaisanterie, parce qu'il étoit sûr de réparer aisément le désordre, il prit plaisirà faire durer une scène qui lui parut divertissante. Enfin,l'ayant consolé par de nouveaux témoignages de confiance, ilne

songea qu'à prendre du côté de la cour, les mesures qu'il crut nécessaires à sa sureté; et, dans la relation qu'il fit au duc de toutes les circonstances de l'aventure,ilrendit assez de justice au mérite de son secrétaire, pour lui faire souhaiter de le voir. Sa figure, et quelques momens d'entretien, achevèrent de lui gagner l'estime de ce prince. Sa faveur ne fit qu'augmenter de jour en jour, jusqu'au moment où la fortune le fit succéder au duc de Courlande, par la faveur de l'impératrice Anne Ivanowna,épouse de ce prince,à laquelle il s'étoit rendu cher par son esprit, par son habileté, par ses talens en tous genres.

1.

HEROISM E.

UN citoyen romain, nommé Rubrius Flavius

ayant été condamné injustement à être décapité l'exécuteur lui dit de tendre le cou avec courage: « Frappe de même » lui répondit-il.

2. Par son amour pour la vertu, par sa hardiesse à dévoiler les vices, Socrate avoit aliéné contre lui les esprits des citoyens corrompus, qui le regardoient comme leur ennemi le plus redoutable. Ils conjurèrent la perte de ce grand homme : un certain Mélitus se porta pour accusateur, et intenta dans les formes un procès au plus sage personnage de la Grèce. Il formoit contre lui deux chefs d'accusation; le premier, qu'il n'admettoit point les dieux qui étoient reconnus dans la république, et qu'il introduisoit de nouvelles divinités; le second, qu'il corrompoit la jeunesse d'Athènes; et il concluoit à la mort..

Jamais accusation n'eut moins de fondement que celle-là, ni même moins d'apparence et de prétexte. Il y avoit quarante ans que Socrate faisoit profession d'instruire la jeunesse : jamais il n'avoit dogmatisé dans les ténèbres. Ses leçons étoient publiques, et se faisoienten présence d'un grand nombre d'auditeurs. Il avoit toujours gardé la même conduite, toujours enseigné les mêmes principes. Dequois'avise donc Mélitus après tant d'années? Comment son zèle pour le bien public, après

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avoir été si long-temps endormi, se réveille-t-il toutà-coup?

Dès que le noir complot des ennemis du philosophe eut éclaté, ses partisans se préparèrent à sa défense. Lysias, le plus habile orateur de son temps, composa une harangue très-éloquente, dans laquelle il mettoit les raisons et les moyens de Socrate dans tout, leur jour. Le sage la lut avec plaisir, la trouva fort bien faite ; mais, comme elle étoit plus conforme aux règles de l'art qu'à la grandeur de son ame, il dit à cet ami zélé : « Je << suis très-sensible, cherLysias, à la part que vous pre<< nez à ma fortune: votre discours est beau, il est élo<«<quent; mais il ne me convient pas. Si vous le << trouvez bon, comment se peut-il faire qu'il ne vous <«< convienne pas?-Par la raison qu'un habit, quoique << très-beau et très-bien fait, ne va pas à toutes les << tailles ; et qu'un soulier, quelqu'élégant qu'il soit, «ne convient pas à tous les pieds. » Il demeura donc ferme dans la résolution qu'il avoit prise de ne point s'abaisser à mendier les suffrages par toutes les voies pleines de pusillanimité qui étoient alors en usage; il n'employa ni les artifices, ni les couleurs de l'éloquence;il n'eut recours ni aux sollicitations, ni aux prières; il ne fit point venir sa femme ni ses enfans, pour fléchir ses juges par leurs gémissemens et par leurs larmes : l'innocence, la vérité, une noble assurance, une sage liberté, voilà quels furent ses armes, ses cliens et ses patrons.

Aujour marqué, le procès fut instruit dans les formes, les parties comparurent devant les juges, et Mélitus exposa les griefs dont il accusoit Socrate. Plus la cause de cet imposteur étoit mauvaise et dépourvue de preuves, plus il eut besoin d'adresse et d'artifice pour en couvrir le foible. Il n'omit rien de ce qui pouvoit rendre sa partie adverse odieuse; et, à la place des raisons qui lui manquoient, il substitua l'éclat séduisant d'une éloquence vive et brillante.

Après qu'il eut parlé, Socrate se mit en devoir de lui répondre; et s'attachant aux deux crimes principaux qu'on lui reprochoit: «On m'accuse, dit-il, de corrom<< pre les jeunes gens, et de leur inspirer des maximes

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"dangereuses, soit par rapport au culte des dieux, soit "par rapport aux règles du gouvernement. Vous savez, « Athéniens, que je n'ai jamais fait profession d'en<< seigner ; et l'envie, quelque animée qu'elle soit << contre moi, ne me reproche point d'avoir jamais << vendu mes instructions. J'ai, pour attester ce que j'avance, un témoin qu'on ne peut démentir la pauvreté. Toujours également prêt à me livrer au "riche et au pauvre, et à leur donner tout le loisir de "m'interroger et de me répondre, je me prête à quiconque cherche à devenir vertueux; et si, parmi <mes auditeurs, il s'en trouve qui deviennent bons «ou méchans, il ne faut ni m'attribuer la vertu des « uns, dont je ne suis point la cause, ni m'imputer << les vices des autres, auxquels je n'ai point contribué. << Toute mon occupation est de vous persuader à tous, <«<jeunes et vieux, qu'il ne faut pas tant aimer son << corps, ni les richesses, ni toutes les autres choses, « de quelque nature qu'elles soient, qu'il faut aimer << son ame; car je ne cesse de vous dire que la vertu <«< ne vient point des richesses, mais au contraire, que «<les richesses viennent de la vertu, et que c'est de <«< cette source divine que naissent tous les autres biens <qui arrivent aux hommes, en public et en particulier. «Si parler de la sorte, c'est corrompre la jeunesse, « j'avoue, Athéniens, que je suis coupable et que je mé<< rite d'être puni comme un vil séducteur. Si ce que je dis n'est pas vrai, il est aisé de me convaincre de men<< songe: interrogez mes disciples;j'en vois ici un grand << nombre: qu'ils paroissent. Mais un sentiment de rete<< nue et de considération les empêche peut-être d'éle«ver leurs voix contre un maître qui les a instruits.Du << moins leurs pères, leurs frères, leurs oncles ne peu<< vent se dispenser, comme bons parens et bons ci«toyens, de venir demander vengeance contre le cor<< rupteur de leurs fils, de leurs neveux, ou de leurs <«< frères; mais ce sont ceux-là même qui prennent ici << ma défense, qui s'intéressent au succès de ma cause. << Jugez comme il vous plaira, Athéniens; mais je << ne puis ni me repentir de ma conduite, ni en changer. « Il ne m'est point libre de quitter oud'interrompre une

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