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Minucius s'étoit séparé du dictateur, il jeta la nuit, de l'infanterie et quelque cavalerie dans ces creux et dans ces ravines; et le lendemain, au lever du soleil, il envoya, à la vue de l'armée ennemie, un petit détachement s'emparer de ce poste, afin d'engager les Romains à le disputer. Cette ruse eut le succès qu'il s'en étoit promis. Minucius détacha d'abord son infanterie légère; il la fit soutenir ensuite par la cavalerie: enfin, voyant qu'Annibal même marchoit au secours de ceux qui étoient sur le côteau, il s'avança contre lui avec toutes ses forces. Le combat fut très-opiniâtre, jusqu'à ce qu'Annibal donna le signal aux troupes qu'il avoit mises en embuscade dans les ravines de la plaine; elles se levèrent brusquement, et vinrent charger les Romains par derrière avec tant de furie, qu'elles taillèrent en pièces les derniers rangs, et mirent les autres en désordre. Fabius ayant prévu ce qui devoit arriver, tenoit toujours ses légions sous les armes, et regardoit luimême le combat de dessus une hauteur qui étoit près de son camp. Quand il vit les Romains rompus et enveloppés de tous côtés, il frappa sur sa cuisse; et poussant un grand soupir: « Minucius, s'écria-t-il, s'est perdu << plutôt que je ne pensois, et plus tard qu'il ne vouloit. << Allons, soldats, courons à son secours si sa trop <«< grande ardeur lui a fait commettre une faute, nous l'en << reprendrons une autre fois. » Il dit: les enseignes s'avancent: il se met à leur tête; toute l'armée s'empresse de le suivre ; il charge les Numides qui combattoient dans la plaine; il les enfonce, il les dissipe; il fond ensuite sur ceux qui poursuivoient les Romains, et les taille en pièces. Annibal, voyant la fortune changée, et Fabius qui, l'épée à la main, avec une vigueur au-dessus de son âge, se faisoit jour au travers des combattans, percoit jusqu'au sommet de la colline où s'étoit retranché Minucius, fit sonner la retraite, et s'éloigna, en disant à ceux qui se trouvoient près de lui : « Eh bien! << ne vous avois-je pas prédit que ce nuage, qui s'étoit << reposé sur cette hauteur, se romproit tout-à-coup, «et produiroit un grand orage?» Fabius ayantramassé les dépouilles des ennemis, qui étoient restées sur le champ de bataille, rentra dans son camp, sans laisse

échapper une seule parole injurieuse contre son collégue. Cet imprudent capitaine, instruit par son propre malheur,vint aussitôt déposer à ses pieds l'autorité que le peuple lui avoit donnée, et répara son aveugle ambition par une obéissance sans bornes. L'héroïsme de la vertu Ja plus pure brille dans cette action de Fabius, plus admirable que tous les exploits d'Alexandre ou de César.

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14. Après un repas que Cyrus venoit de donner au roi d'Arménie, qu'il avoit vaincu et fait prisonnier, ce prince demanda à Tigrane son ami, fils du monarque captif, ce qu'étoit devenu un gouverneur qu'il avoit vu plusieurs fois avec lui à la chasse, et dont il faisoit un cas particulier « Hélas! dit-il, il n'est plus, et je « n'ose vous avouer par quel accident je l'ai perdu. » Cyrus le pressant de le lui apprendre : «Mon père, reprit «Tigrane, voyant que j'aimois tendrement ce gouver« neur, et que je lui étois fort attaché, en conçut quel<< que jalousie, et le fit mourir. Mais c'étoit un si hon<< nête homme, qu'étant près d'expirer, il me fit venir, <<< et me dit ces propres paroles : Que ma mort, Tigrane, ne vous indispose point contre le roi votre père. Il n'a point agi à mon égard par méchanceté, mais sur une << fausse prévention qui l'a malheureusement aveuglé. «<- Ah! l'excellent personnage, s'écria Cyrus; mais « n'oubliez jamais le dernier avis qu'il vous a donné!»

15. Lorsque Caton l'ancien demandoit la censure, il en agit, à l'égard de ses compétiteurs, avec cette noblesse, cette magnanimité que donne la vertu; il monta sur la tribune, et dit hautement : « Romains, vos mœurs ont << besoin d'un médécin sévère, et non d'un lâche flatteur. <<< Il en est parmi vous à qui la conscience fait de secrets << reproches : ils redoutent de m'avoir pour censeur; et, << pour être plus libres dans leurs désordres, ils se prépa << rent à donner leurs suffrages à mes compétiteurs ; << mais, s'il vous reste quelque amour pour la vertu, si << vous haïssez sincèrement le vice, si vous désirez voir re<< naître les temps heureux de nos ancêtres, choisissez « Valérius-Flaccus et moi, pour censeurs. » Ce discours toucha le peuple; Caton fut élu ; et, pendant sa magistrature, il se comporta avec tant d'intégrité, que

les Romains lui érigèrent une statue dans la place publique, avec cette inscription: « CATON le censeur «s'est rendu digne de ce monument, pour avoir réformé << les mœurs corrompues des Romains, et ramené dans la << république les vertus et l'austérité des premiers âges.>> 16. Un cavalier du régiment de Saint-Aignan venoit de recevoir un coup de sabre dans la nuque, dans les plaines de Stadeck, en 1735. Il aperçut en même temps le commandant du détachement, qui étoit démonté, et exposé à être pris. Il met pied à terre, et force cet officier de prendre son cheval : des hussards arrivent ; le soldat se défend de son mousqueton et de son sabre, jusqu'à ce que le commandant soit sauvé : « Il vaut «< mieux, dit-il, qu'un cavalier périsse ou soit fait << prisonnier, que celui qui peut rétablir le combat. » Il fut, en effet, prisonnier lui-même.

17. Un chevalier anglais proposa le duel à Castelmorant, chevalier francais. L'Anglais parut dans la lice, armé de toutes pièces, à la réserve des cuisses et des jambes qu'il avoit découvertes, sous prétexte d'une incommodité au genou. Il invita le Francais à l'imiter, lui jurant qu'il ne frapperoit point sur ces endroits. Castelmorant le crut; mais au troisième coup, il eut la cuisse percée. Le comte de Buckingham fit conduire l'Anglais en prison, et proposa au Français de le lui remettre, afin d'en tirer une forte rançon: «Je n'ai point combattu, << répondit Castelmorant, pour gagner de l'argent, mais «<< pour acquérir de l'honneur. Tout ce que je demande, <«< c'est la liberté du prisonnier. » A cette magnanime réponse, le prince, pénétré d'admiration, envoya au généreux chevalier une coupe d'or et une somme considérable; Castelmorant n'accepta que la coupe. 18.François Il'emportoit sur Charles-Quint du côté de l'intrépidité; mais Charles-Quint étoit plus heureux que lui. François ne faisoit pas de difficulté de l'avouer luimême. Un parti français s'étant déguisé sous des habits de paysans, pour passer plus aisement en Piémont, au commencement de la guerre de 1535, fut découvert et enlevé par les troupes de l'empereur; et, sous prétexte que ce partin'avoit point été pris en habit militaire, ceux

qui le composoient, au lieu d'être traités en prisonniers de guerre,furent condamnés à servir sur les galères d'Espagne. C'étoit donner au roi un exemple dangereux; et la loi du talion pouvoit paroître raisonnable à un prince moins généreux que lui. Trois cents Allemands furent surpris presque en même temps aux îles d'Hières, où la tempête avoit jeté leur vaisseau. Ils avoient fait voile de Gênes,pour rejoindre l'armée de Catalogne,que l'empereur assembloit pour le secours de Perpignan,assiégé par le dauphin. Ces soldats furent traités en prisonniers de guerre; et le roi, à qui l'on remontroit qu'il ne tenoit qu'à lui de s'en venger, répondit : « Je n'ai garde de le << faire ; je perdrois une occasion de vaincre en vertu « Charles, à qui je suis obligé de céder en fortune. »>

19. Les ames les plus stériles par l'ignorance sont quelquefois capables de nobles sentimens. Les galé

riens sont enchaînés deux à deux. Un de ces misérables, fort et vigoureux, reçut un coup de canne d'un officier, pour quelque faute considérable qu'il avoit commise. « Ah! s'écria le galérien furieux, je << ne survivrai pas à cet affront sanglant, puisque je ne << puis m'en venger. » Aussitôt il s'élance dans la mer, entraîne son camarade, et se noye avec lui dans les flots.

20. Des huit généraux athéniens qui avoient gagné la bataille d'Arginuses sur les Lacédémoniens, six furent arrêtés sur des accusations injustes,et condamnés àmort. Comme on les conduisoit au supplice, l'un deux appelé Diomédon, personnage d'une grande réputation pour son courage et sa probité, demanda qu'on lui permit de parler. Quand on eut fait silence: «< Athéniens, dit-il, je « souhaite que le jugement que vous venez de prononcer <«< contre nous, ne tourne point à la perte de la ré<< publique. Mais j'ai une grace à vous demander pour << mes collégues et pour moi, c'est de nous acquitter en<< vers les dieux des vœux que nous leur avons faits pour << vous et pour nous, et que nous sommes hors d'état << d'accomplir; car c'est à leur protection invoquée << avant le combat, que nous reconnoissons être rede« vables de la victoire remportée sur les ennemis. Il n'y eut point de bon citoyen qui ne fût attendri jusqu'aux

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larmes par un discours si plein de douceur et de religion, et qui n'admirât avec surprise la modération magnanime de ces infortunées victimes de la calomnie.

21. Les Spartiates, commandés par Alcibiade, ayant vaincu les Athéniens, ce général fut maudit par tous les prêtres et toutes les prêtresses d'Athènes, à l'exception de la seule Théano, qui, méprisant les menaces de ses collégues, refusa constamment de le faire, en disant qu'elle étoit obligée par état de prier les dieux pour tout le monde, et non pas de donner des malédictions à qui que ce fût.

22. Un officier du régiment de Champagne demandoit, pour un coup de main, douze hommes de bonne volonté. Tout le corps reste immobile, et personne ne répond. Trois fois la même demande, et trois fois le même silence. «Eh quoi! dit l'officier, l'on ne m'entend << poiut? - L'on vous entend, s'écrie une voix ; mais << qu'appelez-vous douze hommes de bonne volonté ? « Nous le sommes tous , vous n'avez qu'à choisir. » 23. Le maréchal de Luxembourg, n'étant encore que comte de Boutteville, servoit dans l'armée de Flandres en 1675, sous le commandement du prince de Condé. Il apercut, dans une marche, quelques soldats qui s'étoient écartés du gros de l'armée. Il envoya un de ses aides-de-camp pour les ramener au drapeau. Tous obéirent, excepté un seul, qui continua son chemin. Le comte, vivement offensé d'une telle désobéissance, court à lui la canne à la main, et menace de l'en frapper. Le soldat lui répond avec sang froid, que, s'il exécutoit sa menace, il sauroit bien l'en faire repentir. Outré de la réponse, Boutteville lui décharge quelques coups, et le force de rejoindre son corps. Quinze jours après, l'armée assiéga Furnes. Boutteville chargea le colonel de tranchée de lui trouver dans le régiment un homme ferme et intrépide, pour un coup de main dont il avoit besoin, avec cent pistoles 'de récompense. Le soldat en question, qui passoit pour le plus brave du régiment, se présente; et menant avec lui trente de ses camarades, dont on lui avoit laissé le choix, il s'acquitte de sa commission, qui étoit

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