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je vous retire ma confiance. Vous vous arrangerez ensuite comme vous pourrez

Mais, madame Paturot...

Oui, Simon, reprit ma femme avec majesté, je vous retire ma confiance et je vous livre à vos remords.

Cette menace solennelle ne changea rien aux déterminations du meunier. Il s'était dit qu'il goûterait des sauces du gouvernement, et rien au monde n'aurait pu le détourner de ce dessein. Il tenait à s'élever dans l'échelle des cuisines et à s'assurer par lui-même des jouissances que la fortune réserve à ses favoris. Le souvenir des pains de seigle qu'il avait dévorés ajoutait à ce désir un aiguillon de plus. Pourquoi fuir une revanche qui s'offrait à lui dans les plus belles conditions et le plus naturellement du monde?

Madame Paturot est une folle, pensait-il en lui-même; un bon dîner se refuse-t-il jamais?

Le dîner fut excellent, en effet, et le vin choisi. L'homme illustre du gouvernement en fit les honneurs avec une grâce et une aménité parfaites. Il se mit en frais pour le meunier, et ne craignit pas d'épuiser son arsenal de séductions. Ce fut pour Simon une date mémorable. Tant d'honneurs, tant de prévenances, et venues de si haut! Il rentra au logis enchanté, mais confus

et presque soucieux. Il évita ma rencontre et celle de Malvina; on eût dit que sa conscience lui adressait de secrets reproches. Il ne fit plus à l'hôtel que de rares apparitions, y rentra fort tard et en sortit de bonne heure. Ce manége ne pouvait tromper ma femme; elle était trop clairvoyante pour cela.

Jérôme, me dit-elle, Simon nous échappe.
J'en ai peur, répliquai-je.

Gâté en si peu de jours! Lui! Un enfant du moulin! Sur qui compter? bon Dieu! - C'est triste, repris-je..

Deux jours après, la bombe éclata. Dans le scrutin décisif, le meunier vota pour l'homme illustre et avec le gouvernement. Il en acceptait les erreurs; il en prenait la livrée. Malvina était furieuse; elle cria à la trahison. Moi, je rejoignis le coupable, et du plus loin que je l'aperçus :

---Simon, lui dis-je, tu es un nouvel Ésaü; tu nous as vendus pour un plat de lentilles !

XXI

Ministres à l'apprentissage.

Une justice à rendre à la révolution de février, c'est qu'aucun des ministres qu'elle porta aux affaires ne pouvait avoir de préjugés d'état. Elle s'appliqua, on serait tenté de le croire, à les choisir en dehors des fonctions spéciales auxquelles ils étaient destinés. Ainsi elle enrichit les divers ministères de marchands retirés et de vétérinaires dignes de l'être. Les avantages de pareils choix se révèlent sur-le-champ. Le tort le plus commun des hommes d'État, celui qui perd les empires, c'est d'avoir, en toute chose, des opinions faites et des plans arrêtés. Or, ici,

rien de pareil à craindre. Point de ministre qui ne fût neuf dans son département, et qui ne s'offrit à l'état de cire molle, susceptible de recevoir toutes les empreintes.

Aux premiers jours de ces investitures, que de scènes d'intérieur durent égayer les sanctuaires ministériels! Quelle haute et charmante comédie! Hélas! personne ne l'exhumera. L'imagination seule en peut rétablir les traits principaux et en retracer l'esquisse. Nous voici, par exemple, dans le cabinet du citoyen ministre des affaires étrangères, marchand retiré. Son regard surpris se promène sur un bureau à cylindre garni de quelques dossiers. L'attitude générale exprime une anxiété évidente. On serait inquiet à moins. La politique de l'Europe repose dans ces dossiers, la paix du monde dans ces cartons. C'est une redoutable perspective, même pour un marchand retiré. Aussi le citoyen ministre éprouve-t-il un peu d'hésitation; il avance et recule la main, en homme qui craint d'engager sa responsabilité. Ce mouvement alternatif se prolonge jusqu'au moment où l'on frappe à la porte.

Entrez, dit-il.

C'est un chef de division, chargé de dossiers. Un arriéré formidable pèse sur lui; il veut s'en exonérer et le rejeter sur le ministre. A l'aspect

de cet arsenal plein d'armes inconnues, celui-ci. ne peut contenir un frémissement. «Que ne demeurais-tu à l'état de marchand retiré? » lui disent des voix intérieures. Il se remet néanmoins, et indique un siége au chef de division. Un dialogue s'engage :

LE CHEF. M. le ministre a-t-il décidé quelque chose au sujet de l'affaire de Téhéran? J'ai là une dépêche qui n'attend que la signature.

LE MINISTRE. Téhéran?

Le chef. Téhéran. Voici quatre mois que l'enquête est ouverte. Il y a eu deux commissions de nommées, dont une mixte, et trois rapports dont deux sont joints au dossier. Des intérêts majeurs sont engagés dans la question, et je crois qu'il est temps de se décider pour ou contre.

LE MINISTRE. Au sujet de Téhéran?
LE CHEF. De Téhéran.

Dans l'échange de ces mots, le ministre a montré un aplomb digne d'une conscience plus tranquille. Devant un chef de division, il n'a point voulu paraître ignorer l'affaire de Téhéran, et il attend que le cours de l'entretien lui livre un fil conducteur. Un silence s'établit pendant quelques minutes; c'est le subordonné qui le rompt. LE CHEF. M. le ministre n'a rien à m'ordonner sur cette affaire?

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