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XXIV

Une séance grasse.

Quoique nous eussions rompu avec Simon, il tranchait du chevalier à notre égard. Tous les billets de tribune dont il pouvait disposer, il nous les envoyait. Ce procédé ressemblait à un aveu de ses torts, et ma femme s'y montrait sensible. Elle aimait les spectacles; l'Assemblée lui en offrait un des plus curieux. Aussi ne manquaitelle pas une occasion d'y montrer son chapeau grenat et sa robe la mieux assortie. Assise sur le premier banc, elle y recevait de loin le salut de notre ancien ami, et le lui rendait dans un geste empreint à la fois de bienveillance et de dignité.

Ce qui frappait surtout, en pénétrant dans cette salle, c'étaient l'étendue et la longueur du vaisseau. Le nombre des représentants n'avait pas permis d'employer la forme circulaire, et il avait fallu disposer les banquettes dans un fer à cheval irrégulier. L'enceinte d'ailleurs avait un aspect riant et gai. Sur toute la longueur de la frise, régnait de chaque côté une suite de fenêtres contiguës assez semblables à celles qui éclairaient, à Versailles, la salle du Jeu de paume. Était-ce, de la part de l'architecte, une imitation systématique ou une réminiscence involontaire? Je l'ignore. Toujours est-il que ces croisées, avec leurs rideaux agités par le vent, rappelaient Bailly, debout sur sa table, et les cinq cents bras du tiers état ou du clergé, confondus dans le même serment.

L'un des grands défauts de cette construction consistait dans son étendue même. Les sons s'y perdaient, et, au delà d'une certaine zone, mouraient sans répercussion. De là deux sortes de siéges dans la salle: les siéges d'où l'on entendait, et ceux d'où l'on n'entendait pas. A la limite où commençait l'évasement des murs, se déclarait pour les membres assis une surdité artificielle qui s'accroissait avec la distance. A diverses fois on avait essayé d'y porter remède, et ce fut

ainsi que s'éleva un baldaquin gigantesque, à l'ombre duquel la tribune et le bureau prirent l'aspect d'un théâtre forain. On espérait que la voix, frappant sur ces parois ligneuses, s'y briserait avec éclat et se répandrait ensuite vers les parties les plus éloignées de la salle. Vain espoir la sonorité ne s'en accrut qu'imparfaitement, et quelques organes favorisés, comme celui de Simon, eurent seuls le privilége de remplir en entier ce vaste et malencontreux espace.

J'ai appuyé sur cette circonstance, car elle exerça sur les mœurs et le maintien de l'Assemblée une influence plus décisive qu'on ne le croit. Les membres égarés, pour ainsi dire, sur des bancs lointains, prirent l'habitude de se regarder comme un monde à part, un monde de déshérités. Volontiers ils se vengeaient de leur disgrâce par la turbulence. Quand ils voyaient qu'au prix de la plus scrupuleuse attention ils ne pouvaient saisir au vol que des mots sans signification et des phrases incomplètes, ils se livraient à la revanche des entretiens particuliers et à la justice des couteaux de bois. Ils associaient ainsi l'Assemblée entière aux désavantages de leur position. A peine se résignaient-ils au silence quand un timbre plus net ou mieux

nourri portait à leurs oreilles quelques éléments confus d'un débat inintelligible.

Nous assistâmes, un jour, au spectacle de ce schisme issu de l'éloignement. Un intérêt assez vif s'attachait aux paroles prononcées à la tribune ces paroles demeuraient à mi-chemin. « Plus haut ! plus haut !» s'écriait-on des bancs disgraciés. L'orateur essaya d'élever la voix; sa force le trahit. Il ne resta plus dès lors aux membres assis vers les confins de l'enceinte qu'à suivre la pensée de l'orateur sur le jeu des lèvres. Tous ne s'y résignèrent pas, et il s'ensuivit un orage égal en violence à ceux qui agitent l'océan Indien. De notre tribune, nous pouvions suivre les ondulations des bancs, comme de la dunette on suit le choc désordonné des vagues qui se brisent contre le vaisseau. Qu'on ajoute à cela les apostrophes qui s'échangeaient, les piétinements, les clameurs, le jeu des corps durs contre les pupitres, et l'on aura une idée incomplète de ce tumultueux épisode, vingt fois renouvelé.

Évidemment l'Assemblée, dans ces désordres sans motif, obéissait à ses instincts révolutionnaires. Même aux heures les plus calmes, il y régnait une émotion qui n'attendait qu'un prétexte pour aller jusqu'à l'effervescence. De la discipline, il ne fallait pas lui en demander: elle

échappait au frein juste au moment où on croyait l'y avoir assujettie. Un geste, un rien suffisait pour la rejeter vers le bruit, et ni le président ni son bourdon n'avaient la puissance de le réprimer. En de telles occasions l'Assemblée ne connaissait qu'un maître, un seul, la lassitude; elle se calmait par épuisement.

La séance où ce grand orage éclata fut remplie d'incidents d'un autre caractère. On aurait pu la nommer une séance grasse, comme on dit au palais une cause grasse, ou autrement une cause de carnaval. L'ordre du jour appelait des rapports de pétitions : les vœux les plus burlesques, les demandes les plus bouffonnes semblaient s'être donné rendez-vous sur le feuilleton officiel. C'était la journée aux extravagances. Jamais on n'en avait tant vu et de meilleure qualité. Les éclats de rire se succédaient et remplissaient l'enceinte. On ne voyait que visages épanouis et bouches souriantes. Les fronts se déridaient, et les hypocondres que la politique chargeait de noires humeurs pouvaient enfin se désopiler tout à leur aise.

Les rapports de pétitions sont ordinairement la pâture des orateurs de second rang. Ce jour-là, on ne dérogeait pas à la coutume, et il en résultait un spectacle bien gai et bien varié. Le hasard

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