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Vois toutes ces esquisses : il y a de la main, du métier; mais où est la conception, où est l'idée? Rien qui fasse rêver, rien qui emporte un homme à travers les espaces! Je vois des républiques assises, des républiques debout, d'autres couchées, d'autres accroupies. Près de celle-ci, il y a des lions, des tigres; près de celle-là, quelques serpents. De loin en loin, des arbres, des palmes, enfin le mobilier de la création; puis des sphères à volonté. Très-bien; mais le mot profond, prophétique, inspiré, où est-il? Le discernes-tu? L'entends-tu résonner dans les profondeurs de l'horizon? Non, Jérôme. non! C'est muet comme la pierre du tombeau ; tandis que le mien a toutes les mélodies de la nature! La vierge frappe le globe, et il s'en épanche des trésors infinis. Vois-tu l'androgyne pourvu d'une double essence et d'une double fécondité? Il livre la clef des destinées et la sombre énigme du sphinx. Tout cela en quelques traits, sur une toile de quelques décimètres. Un peu de fusain ou d'encre de Chine, et le mystère du monde est dévoilé. C'est cyclopéen, c'est génésiaque ; le génie humain n'ira jamais plus haut. Je n'ai eu qu'un tort, Jérôme, je le sens maintenant...

Lequel, Oscar?

Celui de concourir! On ne doutait pas

de mon génie, on doutera de ma générosité.

C'est ainsi que le noble artiste se consolait des mécomptes dont sa carrière avait été semée. On avait beau l'abandonner, il ne s'abandonnait pas. Vingt fois son espoir avait été déçu et sa confiance trahic; il y persistait malgré tout. Au-dessus de ses échecs planait le sentiment de sa force et la bonne opinion qu'il s'en formait. Aussi, en retournant au logis me disait-il avec cet aplomb qui lui était familier :

--Jérôme, quand tu écriras à madame Paturot, n'oublie pas de lui mander que j'ai obtenu, dans un concours public, l'exécution de la figure symbolique de la république. Elle verra que je n'ai point dégénéré.

A l'appui de ces mots, son regard jetait des défis et sa barbe rayonnait.

XVII

Le scrutin de liste.

La grande affaire du jour, c'étaient les élections.

Pour la première fois, le suffrage universel devait être mis à l'épreuve. Ce que nos grands révolutionnaires, même au fort de leurs sombres expériences, n'avaient pas osé essayer, allait être pour nous le premier pas, l'œuvre du début. Le peuple ne déléguait plus ses pouvoirs, il les exerçait d'une manière directe. Entre lui et ses représentants, point d'intermédiaires; c'est lui qui devait les choisir et les nommer. L'investiture ainsi donnée et reçue avait un caractère plus solide et plus solennel. Un lien sérieux se formait entre le mandataire et le mandant, et les pou

voirs qui en résultaient formaient l'expression et l'émanation la plus vraie de la souveraineté de tous.

Dans cette consécration qu'un homme reçoit des mains populaires, il s'attache un charme secret et un légitime orgueil qu'on sait mieux éprouver que définir. Il semble que des milliers d'âmes correspondent à une seule âme, et que cette voix n'est qu'un écho de milliers de voix. Une sorte d'identification s'opère alors entre les sentiments de l'élu et de ceux qui l'élisent, de manière à ce qu'aucune douleur isolée ne reste sans sympathie, aucun droit légitime sans défense et sans appui. Ce sont autant d'anneaux d'une chaîne volontaire qui va du représentant au département, et du département à la patrie. Dans une sphère si vaste, point de petits intérêts ni de servitudes partielles, mais seulement ce suprême intérêt qui embrasse l'honneur et le salut du pays; et pour servitude, le devoir de combattre jusqu'au bout, et de mourir au besoin sous le drapeau parlementaire.

En face de cette gloire et de ces périls, bien des aspirants s'offraient aux chances du scrutin. Dans le nombre, il en était de naturellement désignés; d'autres avaient plus d'efforts et de preuves à faire. On allait au-devant des ouvriers,

à Paris surtout; en province, quelques cultivateurs se mettaient sur les rangs ou s'y laissaient mettre. De toutes ces candidatures, la scule qui m'intéressât vivement était celle du meunier Simon. J'y voyais l'œuvre de Malvina, et, jusqu'à un certain point, la base de nos combinaisons futures. Ma femme avait bien jugé les hommes nés dans ce siècle d'airain, et grandis sous le règne des gens d'affaires. Leur vertu n'était guère qu'un vernis; au premier frottement, on l'avait vue disparaître. L'abus des influences s'exerçait déjà, et il importait d'avoir dans la main un homme qui eût le crédit de se faire écouter. Plus je suivais Malvina, plus sa pénétration m'étonnait. Comme en un clin d'œil, elle avait tout compris, tout deviné, et avec quelle promptitude elle avait dressé ses batteries! En lui imposant des jupons, la nature s'était trompée; elle en eût remontré aux diplomates les plus fins, et fait un bien grand chemin dans les ambassades.

Quoi qu'il en soit, j'avais, dans ce mouvement électoral, le regard tourné vers la province, et m'inquiétais des incidents de la lutte qui s'engageait. Ma femme ne me laissait pas sans lettres; elle avait soin de me tenir au courant. Rien ne se faisait dans l'intérêt de Simon qu'elle ne me l'écrivit. C'étaient de petits détails qui tous s'ac

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