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sous ce rapport, ne fut plus visible ni plus éclatante qu'à sa naissance. Il n'y a point, à cet égard, de dissidence entre nos philologues modernes. Partisans du système provençal, tels que MM. Raynouard et Fauriel, partisans du système normand, tels que l'évêque de la Ravallière, de la Rue, le grand d'Aussy et leurs émules, tous sont d'accord que le français-roman, ou, si l'on veut, le roman-français, fut la souche des littératures italienne et castillane dans leurs divers dialectes. Comment done nos premiers récits de chevalerie eussent-ils d'abord paru en italien (1)? Songez que Dante vint étudier à Paris, que Boccace y vint à son tour, et Pétrarque aussi; que leurs écrits sont pleins de traditions et de fables françaises. Mais pourquoi s'arrêter aux individus? élevons nos regards plus haut, en repassant dans notre esprit les grands, les mémorables faits du moyen-âge! C'est la France qui est leur théâtre, ou c'est de chez elle qu'ils sortent tout armés pour triompher du temps. Les plaines de Châlons n'ont-elles pas vu fuir ces Wandres, dont les revers terminent les irruptions du Nord dans l'Occident, et forment la base de l'épopée des Loherains? Les plaines de Tours n'ont-elles pas vu rebrousser l'islamisme et tomber les Sarrasins sous le martel de Charles, l'aïeul de ce grand Charles, qui, à Roncevaux et sous les murs de Carcassonne, inspira l'antique Philumena et les premiers chantres de Roland? Les champs de la Normandie n'ont-ils pas vu s'assembler, sur la foi de Guillaume, ces fiers conquérans de l'Angleterre qui firent rẻ gner jusqu'au xve siècle, dans ce pays, les mœurs, les lois, et la langue des Français? Enfin la Terre-Sainte ne vit-elle pas ses libérateurs et ses derniers souverains dans des chevaliers français ou anglo-normands, entraînés sur les pas d'un ermite français, à la voix d'un moine français! Quoi! tant et de si glo

(1) Il n'est pas jusqu'à la brillante et féconde fiction chevaleresque d'Amadis qui n'ait sa source en France, si l'on en croit quelques écrivains, entre autres Nicolas d'Herberay des Essarts qui, le premier, en traduisit de l'espagnol plusieurs livres par l'ordre de François I", tout en disant que l'original était picard. M. de Tressan adopte cette opinion de M. d'Herberay. M. Brunet, dans un excellent article de ses Nouvelles Recherches bibliographiques, s'y montre opposé; mais la manière réservée dont il s'exprime à ce sujet permet de penser que son opposition n'est pas appuyée sur des données personnelles.Peutêtre, s'il appliquait à cette question (car nous pensons que c'en est une encore) le génie patient et investigateur avec lequel il sait débrouiller le fil des différentes éditions du livre dans toutes les langues, se rapprocherait-il d'un sentiment à notre avis non méprisable. Nous avions écrit cet article, lorsque M. l'abbé de la Rue, dans son excellent ouvrage sur les Trouvères, publié en 1834, est venu lever tous les doutes sur cette chimère,, que par latin il faut entendre italien. En tout on ne peut mieux faire que de recourir à ce savant pour les questions relatives à notre ancienne littérature du Nord. Les Trouvères ont dès aujourd'hui leur Raynouard.

Analectabiblion. 1.

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rieux souvenirs n'auraient pas été recueillis d'abord en France, et n'auraient eu pour premiers interprètes que des auteurs d'Italie dans une langue vulgaire, qui n'était pas née, ou ne faisait que de sortir des langes provençaux, autrement du romanfrançais méridional! Non, c'est une chimère. Nos traditions antiques de chevalerie, confiées primitivement, en France et en Angleterre, à l'idiome latin dégénéré, en sortirent bientôt pleines d'une vie nouvelle, pour illustrer les premiers efforts de l'idiome français. C'est la vérité; elle est trop évidente pour la méconnaître, et trop glorieuse pour la sacrifier à la manie du paradoxe érudit. Ainsi commençait, pour notre langue, ce paisible et noble empire que la fortune et le génie se sont plu à lui assurer, dans le monde civilisé, et qui n'est pas près de finir, si le néologisme et le faux goût ne sont d'intelligence avec la suite des âges pour le détruire, car la conquête ellemême y serait apparemment impuissante. Passons à notre troisième et dernier point.

Meliadus mérite à peine un souvenir, prétend Chénier; nous en appelons à l'analyse suivante, tout imparfaite qu'elle est. L'action principale se fait un peu attendre, sans doute, mais, une fois venue, les sentimens y sont représentés avec charme et naïveté. Le 1er chapitre traite de la grant noblesse et puissance du roy Artus; le 2, de la façon dont les Romains perdirent le truage du royaume de Logres; au 6, on voit comment le roy de Northumberland emmena avec lui Esclabot et son frère à sa mesgnie pour les doter d'un moult beau chasteau. Enfin arrive, à la cour du roy Artus, Pharamond, roy de Gaule, avec Bliombėris de Gauues et le chevalier incognu qui, sous le nom de Meliadus, est le héros de l'ouvrage. Ce chevalier inconnu poursuit les ravisseurs de femmes, et les rend intactes à qui de droit, ce qui l'autorise à consoler celles que leurs maris rendent malheureuses; il abat maints chevaliers, et parfois abattu lui-même, il se releve toujours par quelque brillant fait d'armes inattendu. Le sort ayant voulu que la belle reine d'Ecosse fit mauvais ménage avec son mari et que Meliadus en fût informé, le cœur du chevalier vengeur s'enflamme pour elle. Il chante, le premier, des lais en son honneur; mais c'est peu de chanter. cette belle incomparable et captive; il trouve moyen de lui vouer son cœur et son épée en pénétrant jusqu'à elle. Unc entrevue première en amène plus d'une autre, et si bien fait Meliadus, que le voilà, de nuit, en la chambre de la reine d'Ecosse. Cependant la vilaine Morgane a découvert le secret des deux amans. Le roy d'Ecosse, averti, s'est mussé en la chambre

près d'eulx. Meliadus n'a point d'autre arme que son épée; à quoi bon une cotte de mailles dans ce sanctuaire des amours? La reine s'inquiète (les femmes devinent tout)! « Que devien>> drez-vous, bel ami, si mon mari paraît ici armé de toutes » pièces? Madame, faict Meliadus, en s'asseyant de lez la roine, » ne craignez! le roy d'Ecosse, se il nous trovoit en tel poinct » comme nous sommes, ne se mettrait mie voulontiers sur >>moy, tant comme il veist que je tinsse cette espée. » Là dessus les amans commencent à deviser ensemble d'amour, et se déduisent à solaciement de accoler et baisier comme font gens qui s'entreayment, sans villennie faire. Sur ce, parait le roy d'Escosse. Meliadus le voit sans s'esmouvoir. Ledit roy, contenu par ce sang-froid, somme tant seulement Meliadus de partir sans à l'avenir lui faire plus de honte. Meliadus ne veut point sortir sans obtenir du roi, loyale créance qu'il ne fera nul mal, et ne rendra mauvais guerdon à la royne. L'époux effrayé donne sa parole, Meliadus sort; mais il n'est pas si tôt sorti, que le roy d'Escosse veut occire sa femme; toutefois il se contente de la dépaïser et l'emmene. Meliadus court après ce felon, l'atteint, desconfit ses gens et délivre la royne, qu'il emmene à son tour; mais le roy Artus fait une levée de gens de guerre pour venger le roy d'Escosse. N'est-on pas frappé que, depuis la belle Hélène, en tout pays, dans les temps héroïques, la possession d'une belle femme ait suscité des guerres? L'amour est donc quelque chose de sérieux, sans préjudice des douanes. Pharamond, de son côté, rassemble des alliés pour soutenir Meliadus. Suite de combats très divers et très chaleureusement racontés. Meliadus fait d'abord le roi d'Ecosse prisonnier. Les maris trompés, n'en déplaise à la Coupe enchantée, ne sont pas toujours heureux. A la fin, pourtant, Meliadus perd une grande bataille contre le roi Artus, et tombe en sa puissance, ainsi que la reine d'Ecosse entre les mains de son tyran. Voilà Meliadus en prison. Qu'y faisait-il, dans cette prison? il harpoit et trouvoit chants et notes. Messire Gauvain finit par obtenir la délivrance du chevalier captif. Dès lors il n'est plus question d'amour, il s'agit de reconnaissance; la morale applaudit sans doute, mais l'art du romancier y perd. Meliadus reconnaît la générosité du roi Artus, en se battant pour lui contre Ariodant de Soissogne avec une vaillance merveilleuse. Le reste du livre contient une action pareille, ou plutôt mille actions de chevalerie, qui se terminent par la mort de Meliadus, occis à la chasse, par deux chevaliers d'Irlande, sur le conseil du roi Marc de Cornouailles, et puis c'est tout.

Nous ne quitterons pas Meliadus sans donner sa génération, en renvoyant, pour ses ancêtres, à M. Dutens, qui les a rapportés (1); car, grâce à lui, nous avons la généalogie historique de ces héros fabuleux, pour compléter la généalogie fabuleuse de bien des personnages historiques. Meliadus fut donc père de l'immortel Tristan de Leonnoys, lequel fut père d'Isaïe le Triste, lequel a aussi son roman (2). Quant aux armoiries de Meliadus, on les trouve gravées dans le livre très rare de la Devise des armes des chevaliers de la Table ronde, imprimé à Lyon, in-16, par Benoît Rigaud, en 1590. C'est là que nous avons appris que messire Palamedes portait Echiqueté d'argent et de sable, de six pièces; armoiries des anciens Beaumont du Vivarais, éteints en 1435, chez les Beauvoir du Roure. Rien n'empêche donc (au cas que messire Palamedes ait existé) que celui qui écrit ces lignes n'en descende par les femmes; et pour peu que ce Palamedes descendit, à son tour, du Palamède qui inventa les échecs au siége de Troie, cela nous ferait une lignée fort passable: ce sont de belles choses que les origines!

(1) Tables généalogiques des héros de romans, avec un catalogue des principaux ouvrages en ce genre, par Dutens. Londres, 1796, in-4, 2o édition, augmentée.

(2) Voir dans la Croix du Maine, Isaïe le Triste, imprimé à Lyon, in-4, par Olivier Arnouillet.

BEUFVES DE HANTONNE.

L'Histoire du noble tres preux et vaillant chevalier Beufves de Hantonne et de la Belle Iosienne sa Mie, comprenant les faicts chevalereux et diverses fortunes par lui mises à fin à la louange et honneur de tous nobles chevaliers, comme pourrez veoir puis apres. Nouuellement imprimé à Paris. On les vend à Paris, en la rue Neufve-Nostre-Dame, à l'enseigne Saint-Nicolas, par Jean Bonfons (1 vol. goth., in-4, s. d., vers 1530) (1).

Le début de ce curieux roman, écrit avec beaucoup de naturel, n'est pas fait pour engager les vieux chevaliers, tout vaillans qu'ils sont, à épouser de jeunes et belles filles, quelque nobles qu'elles soient. Huy de Hantonne, en son vieil âge, vit la fille d'un noble homme et de grant lignage, et tant belle la vit, qu'il l'Espousa, voire coucha avec elle, et luy engendra ung beau fils, lequel sur fonds de baptême fut appelé Beufves. Iceluy enfant fut bien venu, bien pansé et nourri; mais le père n'en put avoir d'autre de sa dame tant belle, jeune, et amoureuse et frisque. Cette belle dame voyant son seigneur vieil, afféti, débile, au regard qu'elle ne querroit que esbattemens et joyeusetez par sa monition de jeunesse qui la gouvernoit, se leva un matin d'auprès de son seigneur pour ce que lui sembloit que son temps y perdoit, tout ainsi que cellui que on faict coucher sans souper; elle se laça gentement, en maniant son sein, qui gentement estoit fait, prit un miroir, y admira sa beauté, et puis faisant venir un escuyer de confiance, le pria, ainsi qu'il estoit loyal et affectionné, de mettre en la viande du comte Huy aucuns poisons, ce qu'il fit, et le comte Huy mort, la belle et frisque dame se trouva libre d'espouser un moult vaillant et jeune chevalier, nommé Doon de Mayence. Le jeune Beufves, bien qu'encore enfant, fit de grands reproches à sa mère, qui le voulut occire tot; elle se résolut toutefois à l'envoyer tant seulement en estranges pays. Voilà donc Beufves transplanté en Arménie. Josienne, la fille du roy, tant belle et généreuse, l'arma chevalier et en devint éprise; elle refusa pour lui la main du roy Dannebus. Une guerre s'ensuivit. Beufves, vainqueur du roy Dannebus, tomba pris dans les fers de Brandimont de Damas, où il resta sept ans. Pendant cette captivité,

(1) La première edition de ce livre, également gothique (s d.), I vol, in-fol., Antoine Vérard, n'est pas plus rare que celle-ci de Jean Bonfons.

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