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je me garderai de prendre l'ardeur de mes goûts pour un signe de talent. Je sens en moi la conviction profonde que nous ne possédons pas encore une véritable Histoire de France, et j'aspire seulement à faire partager ma conviction au public, persuadé que de cette vaste réunion d'esprits justes et actifs il sortira bientôt quelqu'un digne de remplir la haute tâche d'historien de notre pays. Mais quiconque y voudra parvenir devra bien s'éprouver d'avance. Ce ne serait point assez d'être capable de cette admiration commune pour ce qu'on appelle les héros; il faudrait une plus large manière de sentir et de juger; l'amour des hommes comme hommes, abstraction faite de leur renommée ou de leur situation sociale; une sensibilité assez vive pour s'attacher à la destinée de toute une nation et la suivre à travers les siècles, comme on suit les pas d'un ami dans un voyage périlleux.

Ce sentiment, qui est l'ame de l'histoire, a manqué aux écrivains qui, jusqu'à ce jour, ont essayé de traiter la nôtre; ils n'ont rien eu de cette vive sympathie qui s'adresse aux masses d'hommes, qui embrasse en quelque sorte des populations tout entières. Leur prédilection marquée pour certains personnages historiques, pour certaines existences, certaines classes, ôte à leurs récits la vraie teinte nationale nous n'y retrouvons point nos ancêtres, sans

distinction de rang ou d'origine. Et à Dieu ne plaise que je demande à l'histoire de France de dresser la généalogie de chaque famille : ce que je lui demande, c'est de rechercher la racine des intérêts, des passions, des opinions qui nous agitent, nous rapprochent ou nous divisent, d'épier et de suivre dans le passé la trace de ces émotions irrésistibles, qui entraînent chacun de nous dans nos divers partis politiques, élèvent nos esprits ou les égarent. Dans tout ce que nous voyons depuis un demi-siècle, il n'y a rien d'entièrement nouveau; et de même que nous pouvons nous rattacher, par les noms et la descendance, aux Français qui ont vécu avant le dix-huitième siècle, nous nous rattacherions également à eux par nos idées, nos espérances, nos désirs, si leurs pensées et leurs actions nous étaient fidèlement reproduites.

Nous avons été précédés de loin, dans la recherche des libertés publiques, par ces bourgeois du moyenâge, qui relevèrent, il y a six cents ans, les murs et la civilisation des antiques cités municipales. Croyons qu'ils ont valu quelque chose, et que la partie la plus nombreuse et la plus oubliée de la nation mérite de revivre dans l'histoire. Il ne faut pas s'imaginer que la classe moyenne ou les classes populaires soient nées d'hier pour le patriotisme et l'énergie. Si l'on n'ose avouer ce qu'il y eut de grand et de généreux dans les

insurrections qui, du onzième au treizième siècle, couvrirent la France de communes, dans les émeutes bourgeoises et même dans les Jacqueries du quatorzième siècle, qu'on choisisse une époque, non plus de guerre intestine, mais d'invasion étrangère, et l'on verra qu'en fait de dévouement et d'enthousiasme, le dernier ordre de l'État n'est jamais resté en arrière. D'où vint le secours qui chassa les Anglais et releva le trône de Charles VII, lorsque tout paraissait perdu et que la bravoure et le talent militaire des Dunois et des Lahire ne servaient plus qu'à faire des retraites en bon ordre et sans trop de dommages? n'est-ce pas d'un élan de fanatisme patriotique dans les rangs des pauvres soudoyés et de la milice des villes et des villages? L'aspect religieux que revêtit cette glorieuse révolution n'en est que la forme; c'était le signe le plus énergique de l'inspiration populaire. Il faut lire, non dans les histoires classiques, mais dans les mémoires du temps, les traits naïfs, quoique bizarres, sous lesquels se présentait alors cette inspiration de la masse, toujours soudaine, rarement sage en apparence, mais à laquelle rien ne résiste'.

Le même concours de toutes les volontés nationales eut lieu, sans qu'on l'ait assez remarqué, sous le règne de Philippe-Auguste, lorsque la France se

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Voyez l'Histoire des ducs de Bourgogne, par M. de Barante.

vit attaquée par la ligue formidable de l'empereur d'Allemagne, du roi d'Angleterre, et du puissant comte de Flandre. Les chroniqueurs du treizième siècle n'oublient pas de dire que la fameuse bataille de Bouvines fut engagée par cent cinquante sergents à cheval de la vallée de Soissons, tous roturiers', et de montrer les légions des communes, la bannière de Saint-Denis en tète, allant se placer au premier rang: Cependant retourna l'oriflamme Saint-De

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nis, et les légions des communes vinrent après, et spécialement les communes de Corbie, d'Amiens, » d'Arras, de Beauvais, de Compiègne, et accouru>> rent à la bataille du roi, là où elles voyaient l'en

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seigne royal au champ d'azur et aux fleurs de lys d'or. Les communes outrepassèrent toutes les batailles des chevaliers, et se mirent devant encontre » Othon et sa bataille; quand Othon vit tels gens, si » u'en fut pas moult joyeux ..... »

Ces simples phrases, qui n'ont été transcrites ni par Mézeray, ri par Velly, ni par Anquetil, en disent plus à la louange de la bourgeoisie du moyen

Guillelmus Armoricus, de gestis Philippi Augusti, apud scriptores rerum francic., tom. xvi, p. 96.

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âge que de longues pages où seraient pompeusement et stérilement répétés les mots de peuple et de nation. Des écrivains ont retrouvé la nation française et même la nation souveraine jusque sous les règnes de Clovis et de Charlemagne; mais il manque à ces histoires, si bien intentionnées, la vie, la couleur, la vérité locale. La noblesse, la royauté même, en dépit de la place d'honneur qu'elles occupent généralement dans nos annales, n'ont pas été à cet égard plus heureuses que le tiers-état. A la peinture individuelle des personnages, à la représentation variée des caractères et des époques, on a substitué, pour les princes et les grands du temps passé, je ne sais quel type abstrait de dignité et d'héroïsme. Depuis Clovis jusqu'à Louis XVI, aucune figure de rois, dessinée dans nos histoires modernes, n'a ce qu'on peut appeler l'air de vie. Ce sont des ombres sans couleur, qu'on a peine à distinguer l'une de l'autre. Les grands princes et surtout les bons princes, à quelque dynastie qu'ils appartiennent, sont loués dans des termes semblables. Quatre ou cinq à peine, qu'on sacrifie, et que le blâme dont on les charge sert du moins à caractériser, rompent seuls cette ennuyeuse monotonie. On dirait que c'est toujours le même homme, et que, par une sorte de métempsycose, la même ame, à chaque changement de règne, a passé d'un corps dans l'autre. Non-seulement on ne

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