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territoire immense, et les plaçant au milieu d'une foule de peuples qui avant eux s'étaient ouverts les armes à la main le chemin des Gaules, durent nécessiter et nécessitérent en effet de grands changements dans la possession de la propriété. Les Francs trouvèrent dans les Gaules les terres prétoriennes et légionnaires que les Romains avaient assignées aux soldats pour leur subsistance dans toutes les provinces. Ces propriétés ne reposant pas sur des titres primordiaux, il est présumable que les Francs s'en emparèrent, ainsi que de la portion de terrain dont jouissaient les grands officiers de l'empire, et du domaine des empereurs, qui appartenaient à l'état. Les Francs laissèrent aux Gaulois et aux étrangers qui habitaient leur territoire, leurs lois et leurs coutumes nationales.

Sous les successeurs de Clovis, la nation était administrée par des ducs, des comtes, des centeniers, ou vicaires des comtes, qui exerçaient chacun, dans l'étendue de la province ou du canton qui leur était assigné, le pouvoir civil et militaire. Ces différentes charges, conférées par le roi qui les retirait à son gré, constituaient les bénéfices militaires distribués aux Francs par Clovis. La justice était rendue par les dues ou les comtes, qui étaient tenus de s'adjoindre des juges, au nombre de sept, élus par le peuple. (Voyez la loi des Ripuaires, tit. 55). Les tribunaux étaient donc composés de juges élus par le peuple, présidés par les comtes ou senieurs, ou par les junieurs leurs substituts. Le peuple choisissait aussi lui-même les évêques chargés du gouvernement spirituel. L'assemblée générale de la nation, c'est-à-dire, des Francs et des Gaulois, propriétaires d'alleux ou possesseurs de bénéfices, avait lieu tous les ans en présence du roi, d'abord le premier mars et ensuite le premier mai, ce qui lui fit donner le nom de Champ de mars et celui de Champ de mai; elle formait un tribunal suprême qui établissait un lien politique entre le prince et la nation. Dans cette assemblée, les comtes, les centeniers et autres fonctionnaires de l'état, rendaient compte de leur administration, et répondaient aux plaintes qu'on pouvait former contre eux. Là se discutaient librement tout ce qui avait rapport à l'ordre civil et politique de la monarchie; les lois y étaient publiées, et ne devenaient exécutoires qu'après avoir reçu la sanction populaire. Dans ce gouvernement, quoique encore imparfait, toutes les garanties sociales et tous les droits de l'homme étaient respectés. Nous verrons ci-après comment la nation fut tout à la fois plongée dans les ténèbres de l'ignorance et écrasée sous les chaines du despotisme.

L'exercice du pouvoir souverain porta bientôt les rois à en abuser, et ce dangereux exemple ne tarda pas à être imité par les magistrats et par les officiers de la couronne, qui, devenus riches et puissants, devinrent aussi fatteurs et insouciants de leurs droits. Circonstance dont les rois profitèrent pour augmenter leur puissance et changer la constitution démocratique, en vertu de laquelle ils ré. guaient. D'énormes abus s'introduisirent dans la justice; les habitants des campagues furent molestés par les riches propriétaires; on suspendit les réunions annuelles du champ de mars, les bénéfices ecclésiastiques furent mis entièrement à la disposition des rois, et ils commencèrent seuls à exercer la puissance législative, qui jusqu'alors avait appartenu à la nation entière. Pour accroître encore leurs prérogatives, les rois augmentèrent la fortune des leudes ou des grands; et afin de se les attacher davantage, ils démembrèrent en leur faveur leurs domaines ou fisc. Les leudes, qui profitaient des envahissements du pouvoir royal, les encouragèrent de tous leurs efforts, et ces princes, placés au-dessus des lois, changèrent ainsi la nature du gouvernement, en donnant aux leudes des exemptions et des priviléges, dont le peuple avait seul à souffrir; c'est ainsi que l'arbitraire fut impunément organisé sur tous les points du territoire.

Devenus riches et puissants, les leudes se crée. rent dans leurs possessions, des droits que les rois n'auraient pas même osé s'arroger dans le temps des champs de mars; ils établirent des douanes, des capitations, leverent des impôts, et furent favorisés dans l'établissement de ces nouveautés par les désordres que firent naître les guerres civiles occasionnées par les divers partages de la monarchie entre les successeurs de Clovis. Par suite de ces guerres, les vainqueurs s'approprierent les biens des vaincus, et réduisirent même les hommes en esclavage. A l'approche des armées qui les traitaient en ennemis, les habitants des campagnes imploraient l'assistance des leudes les plus puissants, conduisaient dans leurs châteaux leurs bestiaux, emportant avec eux tout ce qu'ils possédaient; et pour reconnaître la protection qu'on leur accordait, ils offraient aux leudes des présents, dont ceux-ci firent bientôt des droits auxquels le peuple fut perpétuellement assujetti. Au milieu de ces désordres, les tribunaux de la nation, qui n'étaient plus élus par elle, vendirent la justice et protégerent les criminels qui pouvaient satisfaire leur avarice. Le peuple, n'ayant plus de sauve-garde légale, s'arracha volontairement à la juridiction des magistrats, et se soumit, pour les différends qui s'élevaient entre les

particuliers, au jugement arbitral des leudes, qui venaient de les protéger contre la fureur des soldats. Ces justices devinrent bientôt, entre les mains de ces seigueurs, de nouveaux priviléges, dont ils réclamerent hautement l'exercice. Cependant la force avait fait tout le droit des leudes et des grands; mais une circonstance favorable à leur ambitiou s'étant présentée, ils la saisirent habilement pour se rendre indépendants de la couronne. La guerre entre Gontran et Childebert servit parfaitement leurs vues. Appelés par ces princes à l'assemblée d'Audlaw (en 587), les leudes intervinrent dans le célèbre traité qui y fut signê; ils stipulèrent que les rois ne pourraient plus retirer les bénéfices à leur gré, et que les possesseurs continueraient à en jouir sans qu'on pút les troubler dans l'exercice de leurs droits. Le traité d'Andlaw est un monument important, en ce qu'il donne une date certaine à la première usurpation des grands.

La guerre sanglante et atroce qui s'éleva, après le règne de Chilperic, entre Brunehaut et Frédégonde, fut une nouvelle occasion dont les grands profiterent pour rendre les bénéfices héréditaires. Brunehaut ayant succombé, les évêques et les leudes, qui avaient concouru à sa chute, se réunirent à Paris, en 615, et firent consacrer dans une assemblée l'hérédité des bénéfices et des seigneuries avec tous leurs priviléges et leurs abus. Ils ne s'en tinrent pas là; après avoir fait légitimer leurs usurpations, ils dégraderent la majesté royale en s'emparant de la nomination à des emplois dévolus à la couronne, notamment à la charge importante de ces maires du palais, qui finirent par s'asseoir à la place des rois. Pendant ce temps, l'absence des lois augmentait chaque jour le désordre et la corruption. Les seigneuries se multiplièrent à l'infini. Les ducs et les comtes profitèrent de ce désordre pour se créer de grands domaines et d'immenses revenus.

Les leudes et les évêques continuèrent leurs usurpations jusqu'à l'avènement de Charles Martel.. Ce prince, auquel le génie, le courage personnel et des dehors brillants acquirent une immense popularité, plaça dans l'armée tous les intérêts nationaux. Prétextant l'immoralité du clergé, et comme s'il n'eût voulu réprimer que les exces scandaleux, il s'empara violemment des anciennes richesses de ce corps, et partagea entre ses soldats les biens que les prètres avaient acquis, et qui formaient une grande partie du territoire. Mais en instituant de nouveaux bénéfices, il exigea des bénéficiaires des services militaires personnels, et établit ainsi le vasselage, qu'on peut regarder comme ayant donné naissance à la police des fiefs, qui fut organisée dans le siècle sui

vant. Par ce moyen, Charles Martel s'attacha les chefs de son armée, et devint le maître absolu de cette domesticité militaire. Sous le règne de Pepin, qui voulut contenter le clergé, inconsolable de la perte de ses richesses, sans irriter la noblesse, les bénéfices concédés par Charles Martel reçurent le nom de précaires, c'est-à-dire de terres possédées provisoirement, et à la charge d'une redevance annuelle au propriétaire prétendu légitime. Ces précaires furent l'origine du paiement de la dime, droit que l'église s'arrogea dans la suite; les seigneurs s'étant acquittés assez ponctuellement de l'obligation que Pepin leur avait imposée, bientot l'Église rendit cette obligation commune à tous les fidèles, et la dime fut établie. C'est du règne de Charlemagne que datent les priviléges immenses que le clergé fit valoir dans la suite avec tant de tenacité. Charlemagne se dépouilla du privilége qu'avaient les rois de la première race de nommer aux évéchés vacants; il voulut que les ecclésiastiques ne fussent justiciables que'de leur évêque dans les procès civils et criminels; il plaça les comtes, les juges et le peuple sous l'autorité des évêques, et jeta ainsi les fondements d'un pouvoir que l'ignorance et la superstition consoliderent.

Le règne de Charles-le-Chauve jeta les fondements de la féodalité, en changeant la nature des bénéfices et les relations des seigneurs avec le roi, comme celles des hommes libres avec les seigneurs. Les irruptions des Normands, les guerres particulieres entre les seigneurs, et les troubles de l'Aquitaine, avaient considérablement affaibli l'autorité de Charles-le-Chauve. Après la bataille de Fontenoy, les seigneurs se plaignirent hautement que le roi disposat à son gré de leurs soldats; et leurs murmures épouvantant le monarque, il crut devoir racheter, par une faiblesse impardonnable, un reste d'obéissance de la part des grands. Il déclara donc que les seigneurs ne seraient tenus de suivre le roi à la guerre qu'en cas d'invasion étrangère. Ce fut dans une assemblée, tenue à Mursen en 847, que fut prise cette décision. Jusque-là, les hommes libres, c'est-à-dire ceux qui possédaient des propres, ou des terres dont la possession antérieure à la conquête était patrimoniale, n'avaient connu d'autre seigneur que le roi. On décida à Mursen que tout propriétaire d'alleu, que tout homme libre enfin, pouvait se recommander à qui il voudrait, c'est-à-dire choisir pour son seigneur, du roi ou de l'un de ses fidèles. Les devoirs auxquels les Francais avaient été jusque-là engagés envers le roi furent accordés aux seigneurs, et l'on cessa de respecter un pouvoir qui n'avait rien à exiger. Cette

faute ne fut pas la seule que commit Charles-leChauve pour s'attacher les seigneurs par la reconnaissance, il renonça aux droits de reprendre les bénéfices concédés par ses prédécesseurs, déclara tous les siens héréditaires, et voulut même qu'à défaut d'enfants ou d'héritiers légitimes, les possesseurs pussent aliéner en faveur de qui bon leur semblerait; enfin il déclara que les duchés, les comtés, et les autres grands bénéfices, seraient dévolus à l'un des enfants du possesseur. Les propriétés changèrent dès-lors de nom et de nature. Les hommes libres, dont les biens allodiaux n'étaient pas assez considérables pour former un bénéfice ou une seigneurie indépendante, se recommandérent à un possesseur plus riche et plus puissant qu'eux, comme cela arrivait à leur égard de la part de possesseurs moins riches qu'eux encore. Telle fut l'origine de la vassalité et de l'arrière-vassalité. Le vassal à qui le seigneur accordait sa protection promettait à son tour de le défendre contre le roi luimême, de le suivre à la guerre, et de prendre les armes enfin pour son service toutes les fois qu'il en serait requis. C'est de cette espèce de convention que les terres prirent le titre de fiefs, du mot fœdus, alliance, ou du mot fides, qui signifie bonne foi. Quelques possesseurs d'alleux cependant, assez forts pour résister à l'oppression, ne se mirent ni sous la protection du roi, ni sous celle du seigneur, et déclarèrent que leur terre ne relevait que de Dieu et de leur épée.

Après la mort de Charles-le-Chauve, les comtes devinrent des seigneurs puissants, maîtres absolus dans les petits états qu'ils gouvernaient auparavant comme magistrats. La hiérarchie féodale se forma peu à peu; les possesseurs des grands fiefs prirent spontanément les titres de duc, de comte ou de baron. On comprit dans la suite sous cette dénomination tous les grands feudataires qui relevaient directement de la couronne. Comme il n'y avait plus ni lois ripuaires, ni lois romaines, l'inféodation fut le seul moyen de se mettre à l'abri de la violence des particuliers, tandis qu'une volonté arbitraire et despotique prit la place du gouvernement. Personne ne put échapper à la chaîne féodale, qui serra bientôt dans ses pesants anneaux ceux-là mêmes qui l'avaient forgée. Les comtes, qui possédaient dans leurs districts des fiefs considérables, forcèrent les seigneurs moins puissants qu'eux à leur rendre hommage pour leurs domaines. De là naquirent les grands fiefs de la couronne, dont les possesseurs bravèrent si long-temps l'autorité des rois. C'étaient des souverainetés héréditaires et indépendantes, sauf l'hommage que le feudataire devait au roi.

Les hommes libres qui ne possédaient pas des alleux assez considérables pour former un fief ne purent entrer dans l'ordre féodal, car les seigneurs s'emparèrent de leurs héritages, et réduisirent les propriétaires légitimes à la condition de serfs. Il n'y eut dans tout l'état que la noblesse formée de tous ceux qui avaient un bénéfice ou une terre allodiale érigée en fief, et des esclaves, habitant des villes et des bourgs, qui furent appelés vilains ou manants. La France se couvrit de forteresses, demeures féodales, d'où les nobles, à la tête de leurs esclaves armés, se jetaient sur les passants et les dépouillaient.

Nous avons vu que sous le régime féodal il n'y avait plus dans l'état que deux classes d'hommes, les maîtres et les esclaves, les feudataires et les serfs. Mais il y avait divers degrés dans la première classe, selon l'importance de l'inféodation ou du fief. Ainsi, le roi était seigneur suzerain de tout le royaume; tous les seigneurs lui devaient foi et hommage, à l'exception de ceux qui, lors du démembrement de l'empire de Charlemagne, s'étaient créés des principautés indépendantes. Les vassaux du roi étaient les grands feudataires de la couronne; ils étaient égaux entre eux, et ne se devaient aucune obligation féodale; ce fut l'origine de la pairie. Les arrière-vassaux de la couronne étaient les vassaux directs des grands feudataires; ils leur prêtaient foi et hommage en raison de leurs fiefs, et étaient tenus de prendre les armes pour leur service, suivant que cela avait été réglé lors de leur sous-inféodation. Quant aux serfs, dégradés de la dignité d'hommes, ils appartenaient corps et biens à leur seigneur; ils ne pouvaient ni se marier, ni contracter, ni sortir du fief sans sa permission; ils se comptaient par tête avec le bétail de la terre dont ils faisaient partie.

Les terres se divisaient en fiefs ou terres nobles, et en terres roturières. Les fiefs étaient la propriété des seigneurs; les biens roturiers n'appartenaient pas en toute propriété aux seigneurs; mais ils étaient parvenus à les asservir à tant de droits, que c'était à peu près la même chose. Quant aux bénéfices religieux, ils donnaient à leurs possesseurs toutes les propriétés attachés aux terres nobles.

Lorsque toute la puissance politique eut passé dans les fiefs, le droit de rendre la justice, qui découle de la souveraineté, y fut spécialement attaché. Chaque seigneur, maître absolu dans ses domaines, imposait sa volonté comme des lois. Les seigneurs en vinrent même à vendre le droit de juger des différends; alors la justice ne fut plus exercée comme une action favorable à la société, mais

comme un moyen d'oppression dont l'usage devait rapporter certaines sommes au maître. Ce droit de rendre la justice resta même attaché au fief longtemps après que la féodalité eut perdu ses principaux ressorts; les seigneurs conservèrent ce qu'on appelait le droit de haute et de basse justice jusqu'au moment où toutes les ramifications de l'arbre féodal furent extirpées par la révolution.

De l'exercice d'un pouvoir sans bornes usurpé par les seigneurs, naquirent ces coutumes bizarres et ces droits épouvantables que s'arrogèrent les nobles et les prêtres. L'esclavage s'étendit des villes aux campagnes; outre les corvées, les droits d'entrée, de péage, d'escorte et de marché, la taille, le droit de prise, les habitants étaient soumis aux caprices et aux frénésies délirantes des seigneurs féodaux, dont la brutalité ne connaissait aucune loi. La plupart exerçaient sur les filles de leurs serfs un droit infâme qui outrageait à la fois la morale et la pudeur. Les ecclésiastiques n'avaient point de mœurs plus douces ou plus raisonnables, ils se rendaient coupables des mêmes atrocités, et s'abandonnaient à tous les vices des nobles. La dignité d'homme était détruite; le gouvernement féodal avait brisé tous les liens sociaux. Cependant cet assemblage monstrueux de tous les crimes et de tous les abus ayant mis le comble à la misère des peuples, on commença à chercher quelles digues on pourrait opposer au torrent des déprédations féodales. Un concile, composé mi-partie de laïques et d'évêques, s'assembla dans les environs de Perpignan, en 1041, et ne trouva rien de mieux, pour remédier à tant de maux, que de réduire à trois jours et à trois nuits par semaine le temps où il était permis aux seigneurs de s'abandonner à leurs féroces peuchants; les autres jours de la semaine, il leur fut défendu de se servir de leurs armes pour rançonner les voyageurs, piller leurs voisins, et surtout pour ravager les biens de l'Église. Cette loi, qui renferme en elle tout l'esprit moral des temps féodaux, s'appela la trève de Dieu.

Henri Ier, en instituant la trève de Dieu, porta le premier coup au monstrueux système féodal, qui depuis si long-temps pesait sur le royaume. Philippe Ier, en détournant les nobles de leurs intérêts par les croisades, commença la ruine de la féodalité en forçant les seigneurs à vendre leurs biens. Sous Louis-le-Gros, Suger osa porter la hache à ce gothique édifice en affranchissant quelques communes et en instituant les missi dominici, qui parcouraient les seigneuries en renvoyant aux assises du roi tous ceux à qui les seigneurs refusaient justice. PhilippeAuguste jeta le fondement de la puissance royale;

FÉODALITÉ.

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il commença à avoir des troupes réglées, et combattit avec avantage une foule de seigneurs séditieux, dont les brigandages désolaient la France. Pendant la minorité de Louis IX, la reine Blanche s'occupa continuellement à combattre les seigneurs factieux et confédérés contre l'autorité royale, qui avait déjà fait à cette époque d'immenses progrès. Louis IX, par ses établissements, sapa la féodalité dans ses fondements en s'emparant de la puissance législative; il rendit presque impuissante la justice seigneuriale par l'institution des appels, et dépouilla la cour de Rome, par la pragmatique sanction, du droit de nommer aux siéges vacants en France. Philippe-le-Hardi augmenta l'influence de la prérogative royale par l'institution des lettres d'anoblissement. Philippe-le-Bel essaya le pouvoir des rois et le rendit formidable; il s'empara du droit de justice, multiplia les lettres d'anoblissement, permit aux roturiers d'acheter des fiefs, défendit les duels à perpétuité, priva les seigneurs du droit de battre monnaie, défendit les guerres privées, convoqua l'assemblée de la nation par ordres et par députés, et, appuyé sur les États-Généraux, publia l'ordonnance de réformation du royaume. Il rendit le parlement sédentaire à Paris, institua un parlement à Toulouse, et, sous le nom de Grands-Jours, établit à Troyes une cour de justice souveraine, dont la juridiction s'étendait sur toute la Champagne. Sous le règne de Louis X, un grand nombre de communes se formèrent, et l'on força les serfs à racheter leur liberté : violence singulière qui amena enfin la ruine de la féodalité. Cependant l'autorité des grands était encore immense, mais la noblesse avait perdu la puissance de résister : elle se débattit dans une lente agonie jusqu'à Louis XI, qui détruisit le dernier appui du gouvernement féodal. Sa politique astucieuse triompha du courage et de la puissance de Charles-le-Téméraire: vainement les nobles réunis lui firent la guerre; leur ligue, connue sous le nom de guerre du bien public, ne troubla pas long-temps l'État. Le peuple ne les appuya ni de ses vœux ni de ses ressources, et Louis XI vainqueur abandonna au glaive des bourreaux les seigneurs séditieux qui avaient attenté à son autorité. Ainsi finit le gouvernement féodal qui avait si long-temps pesé sur la France. La noblesse domina encore, il est vrai, les institutions et le gouvernement, mais la souveraineté resta attachée à la couronne; elle conserva ses justices, mais les tribunaux institués par le roi protégèrent le peuple contre l'iniquité de leurs décisions; elle conserva ses titres, son orgueil et ses châteaux, mais elle ne déchira plus le sein de la patrie par l'exercice du droit de

guerre; elle devint servile et rampante au pied du trône qu'elle avait autrefois ébranlé.

Les rois étaient libres enfin de cette odieuse féodalité, le pouvoir était rentré tout entier dans leurs mains; mais les peuples étaient encore loin d'être affranchis'du joug féodal, qui continua à peser sur eux jusqu'à l'époque à jamais mémorable de la révolution.

Voici en quoi consistaient les droits féodaux les plus généralement en usage, au moment où ils furent abolis par l'Assemblée nationale.

1o Le droit d'aubaine, en vertu duquel le roi et quelques seigneurs particuliers héritaient des biens, tant mobiliers qu'immobiliers, laissés en France par des étrangers.

2o La taille, imposition arbitraire, à laquelle n'étaient soumis ni les nobles, ni les ecclésiastiques, qui n'étaient point des gens taillables.

3o Les corvées, redevances féodales, qui variaient à l'infini suivant les lieux et les temps.

4o Le droit de kauban, que payaient les bourgeois pour être dispensés des corvées ou de la contribution aux ouvrages publics.

50 Les droits de foires et marchés, prélevés par les seigneurs sur toutes les marchandises apportées aux marchés ou aux foires qui se tenaient sur leurs

terres.

6o Le droit de banvin, qui consistait à empêcher les particuliers de vendre leur vin, jusqu'à ce que le seigneur se fût défait du sien.

7o Le droit de tonlieu, qui se percevait à la barrière des villes au profit des seigneurs.

8° Le droit de jurée, redevance annuelle que tout bourgeois devait au roi ou au seigneur de qui venait l'affranchissement.

9o Les aides, surcroît d'impôt que le seigneur prélevait dans son fief selon quatre cas principaux : 1° pour payer les frais de sa première campagne;' 2o pour sa rançon, s'il était fait prisonnier de guerre; 3o pour le mariage de sa fille aînée; 4° pour les dépenses qu'occasionnait sa réception de chevalier, ou celle de son fils.

Les rois s'emparèrent dans la suite de ce droit, qui s'élevait ordinairement au double des redevances ordinaires.

10o Les bannalités. Les seigneurs avaient des fours auxquels tous les vassaux étaient obligés de faire cuire leur pain; leurs pressoirs, leurs moulins étaient aussi des bannalités. Les droits de garenne et de colombier, droits très-onéreux pour les habitants des campagnes, qui devaient supporter les dévastations causées dans les champs par les pigeons et le gibier du seigneur.

11o Le droit de guet et de garde, qui consistait à garder le château du seigneur en certaines occasions et pendant un certain temps.

12o Le droit de fouage et monnéage, qui se prélevait par feu ou ménage, sur tous les non-nobles d'une commune.

13° Les droits de péage, travers, vinage, qui se percevaient au passage des ponts, au passage d'un lieu dans un autre, et en entrant dans le chemin qui traversait la propriété du seigneur.

14o Le droit de gite, en vertu duquel les vassaux étaient tenus d'héberger le seigneur et sa suite quand il traversait les communes. Ce droit fut, comme une foule d'autres droits plus honteux, soumis à la condition du rachat, et converti en argent.

Enfin, il existait une foule d'autres droits et de charges, provenant de concessions particulières, ou imposées arbitrairement par les seigneurs. Tels étaient le droit infâme de cuissage, prémices ou déflorent, privilége indécent, que les seigneurs, les évèques et les moines exercèrent long-temps sur les nouvelles mariées de leurs fiefs; les droits de champart, de chefs de rente, de fiscalités, de haute et basse justice, de main-morte, d'épaves, de chasse, d'abeillage, et plusieurs autres droits onéreux ou humiliants pour ceux qui les acquittaient, et dont on pourra se faire une idée d'après le droit abominable que s'étaient arrogés les seigneurs de Montjoie. Lorsque, dans l'hiver, les comtes de Montjoie et de Mèches étaient à la chasse, ils avaient le droit de faire éventrer deux de leurs serfs pour réchauffer leurs pieds dans leurs entrailles fumantes!.....

Tous ces droits honteux, humiliants, inhumains, abominables, furent abolis à jamais dans la mémorable séance de nuit du 4 au 5 août 1789. Le vicomte de Noailles fut celui qui donna le premier le signal; il proposa le rachat des droits féodaux, et la suppression des servitudes personnelles. Cette motion commença les sacrifices de tous les privilé giés, et bientôt elle établit entre eux une rivalité d'offrandes et de patriotisme. L'entraînement devint général; en quelques heures on décréta la cessation de tous les abus. Le duc de Châtelet proposa le rachat des dimes et leur changement en taxe pécuniaire; l'évêque de Chartres, la suppression du droit exclusif de chasse; le comte de Virieu, celle des fuïes et des colombiers, et successivement l'abolition des justices seigneuriales; celle de la vénalité des charges de la magistrature, des immunités pécuniaires et de l'inégalité des impôts; celle du casuel des curés, des annates de la cour de Rome, de la pluralité des bénéfices, des pensions obtenues sans titres, furent proposées et admises. Après les sacrifi

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