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Et ailleurs :

Le Dieu d'amour, cil qui départ
Amourettes à sa devise,
C'est cil qui les amans attise,
Cil qui abat l'orgueil des braves,
Cil fait les grands seigneurs esclaves,
Et fait servir royne et princesse,
Et repentir none et abesse.»

On cite aussi, du même siècle, les vers de Thibault, comte de Champagne, à qui l'on doit un recueil de chansons, dont les vers, en langue déjà française, ont un tour libre, hardi, naïf, et semblent appartenir à une époque plus avancée de notre langue. Thibault naquit en 1201 et mourut en 1253.

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Ce progrès de la langue, à une époque si reculée, est remarquable dans la prose, comme dans la poésie. Cette même époque qui vit naître Thibault, le premier chansonnier parmi les rois, vit naître le premier narrateur éloquent et naïf en langue vulgaire, Joinville, qui écrivit l'histoire de saint Louis, après la mort de ce monarque, avec un charme de naturel et une fraîcheur d'expression, dont on pourra juger par la citation suivante:

....« Et en chantant, les mariniers firent voile «de par dieu. Et incontinent le vent s'entonne en « la voile, et tantost nous fist perdre la terre de « veue, si que nous ne vismes plus que ciel et mer, et «< chascun jour nous esloignasmes du lieu dont nous «estions partiz. Et parce veulx-je bien dire, que »>icelui est bien fol, qui sceut avoir une chose de « l'autrui, et quelque péché mortel en son âme, et se boute en tel dangier. Car si on s'endort au soir,

.

<< l'on ne sceit si on se trouvera au matin au sous de « la mer. »

QUATORZIÈME SIÈCLE. Au commencement du quatorzième siècle, l'espèce de passion qu'on avait eue pour la poésie se ralentit beaucoup: alors on vit paraitre une foule de romans en prose; mais la langue y gagna peu. Sous le règne de Charles V, le goût de ce monarque pour les lettres, et la protection dont il honora ceux qui les cultivaient, fit reprendre à la langue française le cours de ses progrès; la poésie surtout en fit de considérables.

Le premier écrivain de ce siècle fut Froissart, tout à la fois poète et chroniqueur. Nous donnerons un échantillon de ses vers et de sa prose:

« Là, toutes les nuits, je lisoie
Devant lui, et le solaçoie
D'un livre de Melyador,
Le chevalier au soleil d'or,
Lequel il ooit volentiers;

Et me dist: C'est un beaus mestiers,
Beaus maistres, de faire tels choses. >>
Dedens ce romanc sont encloses

Toutes les chançons que jadis

Faisoit le bon duc de Braibant,

Dont l'âme soit en paradys!

Voici comment il raconte sa réception à la cour du roi d'Angleterre, Richard II, à qui il présente son roman de Méliador.

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Si le vis en sa chambre, dit-il, car tout pourveu je l'avoie, et luy mis sur son lict; et lors l'ouvrit « et regarda dedans, et luy plut très-grandement; et plaire bien lui devoit; car il estoit enluminé, "escrit et historié, et couvert de vermeil veloux à « dix clous d'argent dorez d'or, et rose d'or au mi«lieu, à deux gros fermaux dorez, et richement « ouvrez, au milieu rosiers d'or. Adonc demanda le roy de quoy il traitoit, et je luy dy: d'amour. De «ceste réponce fut tout resjouy; et regarda dedans «le livre en plusieurs lieux, et y lisit, car moult «bien parloit et lisoit françois; etc. »

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QUINZIÈME SIÈCLE. Malgré les troubles qui agitèrent la France pendant un si grand nombre d'années, les lettres furent cultivées avec quelques succès, notamment sur la fin du règne de Charles VII. Les romans de chevalerie se multiplièrent plus que jamais; mais il en est peu qui méritent d'être cités. Alain Chartier, commentateur lourd et pédantesque, traducteur plat et historien ennuyeux, fut néanmoins celui qui rendit le plus de services à la langue. Après lui vint Philippe de Commines, dont le langage doux et agréable est surtout remarquable par sa naïve simplicité.

Parmi les poètes on cite Villon et surtout Charles d'Orléans à qui l'on doit le premier ouvrage de poésie où l'imagination soit correcte et naïve. Une des pièces les plus agréables de ses œuvres est celle où il chante le beau temps et les doux loisirs.

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« Les fourriers d'été sont venus

Pour appareiller son logis;
Ils ont fait tendre ses tapis
De fleurs et de perles tissus.

Cœur, d'ennuy pieça morfondus,
Dieu mercy, sont sains et jolis,
Allez-vous-en, prenez pays,
Hiver, vous ne de mourez plus.

Les fourriers d'été sont venus, etc.

Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye,
Et s'est vestu de broderye
De soleil riant, cler et beau.

Il n'y a beste, ni oyseau,

Qui en son jargon, ne chante et crye:
Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye.

Rivière, fontaine et ruisseau
Portent en livrée jolie

Gouttes d'argent d'orfévrerie:
Chacun s'habille de nouveau.

Le temps a laissié son manteau, etc.»

De tous les poètes du XVe siècle, Villon fut celui qui mit le mieux à profit tout ce que la langue et la poésie avaient alors d'acquit et de richesses. Ce poète, né dans une classe obscure, entreprit de corriger la fortune; il se fit voleur, fut arrêté et condamné à être pendu. Dans une circonstance aussi critique, sa gaité naturelle et son talent ne. l'abandonnèrent pas; c'est après avoir entendu la lecture de sa sentence qu'il fit cette ballade singulière, dans laquelle il se figure déja attaché au gibet de Mont-Faucon avec ses compagnons de malheur.

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Ses poésies ont parfois un caractère qui plaît, et qu'on n'attendrait pas surtout d'un pareil homme. Elles respirent une sorte de mélancolie, un retour amer et triste sur cette vie si courte, si gâtée par le vice et par la folie.

«Dictes-moi, où, ne en quel pays
Est Flora, la belle Romaine,
Archipiada, ne Thaïs,
Qui fut sa cousine germaine?

Mais où sont les neiges d'antan 1?

La royne blanche comme ung lys,
Qui chantoit à voix de sireine,
Berthe au grand pied, Bietreis, Allys
Harembouges qui tient le Mayne,
Et Jehanne la bonne Lorraine,
Que Anglois bruslèrent à Rouen :
Où sont-ils, Vierge souveraine?
Mais où sont les neiges d'antan..

C'est le charme d'Horace et d'Anacréon. Rien de plus mélancolique et de plus aimable que cette évocation des beautés célèbres, ces paroles gracieuses et cette chute uniforme qui les renvoie toutes au néant, et les fait disparaître comme la neige de l'an passé.

De 1462 jusqu'à la fin du XVe siècle, l'imprimerie, encore toute récente, reproduisit un grand nombre de romans de chevalerie; c'était la lecture favorite du temps. Le génie des romans chevaleresques était partout. Si l'on consulte Olivier de la Marche, chroniqueur exact et judicieux, on y trouve des scènes toutes chevaleresques. Si l'on prend les Mémoires de Boucicaut, on voit ce personnage historique et sérieux, soumis à toutes les épreuves de l'éducation galante des romans : c'est le style fleuri de Gérard de Nevers, ou du Petit Jehan de Saintré; c'est le même mélange d'images guerrières et champêtres. On en jugera par ce passage:

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- ment les tourmente en douce langueur et savou« reuse maladie, adonc au gay mois d'avril, estoit « le bel, gracieux et gentil chevalier messire Bou«cicaut à la cour du roy, etc. »

Philippe de Commines, historien judicieux et généralement estimé, nous fournira un autre échantillon de la prose au XVe siècle :

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Y a-t-il royne ne seigneur sur terre qui ait pouvoir, outre son domaine, de mettre un denier << sur ses subjects, sans onctroy et consentement de ceux qui le doivent payer, sinon par tyrannie ou violence? On pourroit respondre qu'il y a des saisons qu'il ne faut pas attendre l'assemblée, et « que la chose seroit trop longue à commencer la guerre et à l'entreprendre : je respond à celà qu'il ne faut point tant haster, et l'on a assez temps et si vous dis que les roys et princes en sont trop plus forts, quand ils entreprennent quelque affaire du consentement de leurs subjects, el en sont plus craints de leurs ennemis. »

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SEIZIÈME SIÈCLE. François 1er illustra son règne et son siècle par l'accueil distingué qu'il fit aux savants. Dès ce moment, la langue éprouva les plus heureux changements dans ses expressions et dans ses tours. Le grec et le latin, enseignés alors dans les écoles avec plus de soin et de goût, l'enrichirent d'une foule de mots simples et composés, dont on avait besoin dans les sciences et dans les arts, ou pour rendre de nouvelles idées. Néanmoins, quoique la langue eût tiré un grand secours du grec et du latin, quoiqu'elle se fût aidée de l'italien déjà perfectionné, elle n'avait cependant pas encore une consistance régulière. En 1529, François Ier abolit l'ancien usage de plaider, de juger, de contracter en latin; usage qui attestait la barbarie d'une langue dont on n'osait se servir dans les actes publics; usage pernicieux aux citoyens, dont le sort était réglé dans une langue qu'ils n'entendaient pas. On fut obligé de cultiver le français, qui fit des progrès assez certains; mais la syntaxe étant abondonnée au caprice, la langue n'était ni noble, ni régulière. Le français acquit de la vigueur sous la plume de Montaigne; mais il n'eut pas encore d'élévation et d'harmonie; Ronsard gåta la langue, en transportant dans la poésie française les composés grecs dont se servaient les philosophes et les médecins; Marot se distingua par une manière gaie, agréable, et tout à la fois simple et naturelle. Voici quelques échantillons de la prose et de la poésie de ce siècle.

« Attilius Régulus, général de l'armée romaine << en Afrique, au milieu de sa gloire et de ses victoires contre les Carthaginois, escrivit à la chose

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publique qu'un valet de labourage, qu'il avoit laissé seul au gouvernement de son bien, qui estoit en tout sept arpents de terre, s'en estoit

enfuy, ayant desrobé ses utils à labourer; et de«mandoit congé pour s'en retourner et y pourveoir, de peur que sa femme et ses enfants n'en « eussent à souffrir. Le sénat pourveut à commettre a un aultre à la conduite de ses biens et lui feit <«< restablir ce qui luy en avoit esté desrobé, et or« donna que sa femme et ses enfants seroient nourris aux despens du publicque. Le vieux Caton, << revenant d'Espaigne consul, vendit son cheval de « service pour espargner l'argent qu'il eust cousté à le ramener par mer en Italie; et, estant au gou« vernement de Sardaigne, faisoit ses visitations à pied, n'ayant avecques luy aultre suitte qu'un officier de la chose publique qui lui portoit sa robe et un vase à faire des sacrifices; et le plus << souvent il portoit sa male luy mesme. Il se vantoit de n'avoir iamais eu robbe qui eust cousté plus de dix escus, ny avoir envoyé au marché plus de dix sols pour un jour; et de ses maisons aux champs, qu'il n'en avoit aulcune qui fust crepie « et enduite par dehors. Scipion Æmilianus, aprez deux triumphes et deux consulats, alla en léga«tion avec sept serviteurs seulement on tient qu'Homère n'en eut iamais qu'un; Platon, trois; Zenon, le chef de la secte stoïque, pas un. Il ne feust taxé que cinq sols et demy par iour à Tiberius Gracchus, allant en commission pour la chose publicque, estant lors le premier homme des Romains. »

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Durant les regnes de la première race de noz Roys issuz de Merouée, par l'espace de trois <«< cens ans, les vns desquels y plantèrent la religion chrestienne, et la deffendirent viuement, et les autres faisans d'eux mesmes ou par les Maires du Palais, les guerres contre leurs voisins, estendirent bien auant les limites de leur Royaume : les autres s'estās laissez couler à la nonchalance, l'oisiuete et aux voluptez, ont faict perdre à leurs « successeurs, le sceptre et la couronne de cet Es<< tat. Peu de choses signalées et peu de loix ont esté faictes durant cest aage, sur le faict du reglemet et établissement de l'Estat. Car lors les Roys ou leurs ministres ne s'amusoient à la instice, ains à estendre plus avant les bornes de leurs Royaumes, et l'establir sans loy, sans piété, sas charité, sans iustice, et sans aucune << reuerence du droit diuin et humain : qui sont neatmoins les bases sur lesquelles sont posez les

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(DU HAILLAN, Hist. de France, liv. I.)

« Toi qui es receveur du Roi,
Ou du Dauphin, si tu me crois,
Reçois avant que tu écrives,
Écris avant que tu délivres.
De recevoir fais diligence,
Et fais tardive délivrance.

Prends acquis qui soient bien valables;
Payes en paroles aimables,

En tes clercs pas tant ne te fies,
Qu'à voir souvent tes faits oublies.
Sois moult diligent à compter,
Et tu pourras plus haut monter. »
(SAINT-GELAIS.)

Je pense bien que ta magnificence,
Souverain Roi, croira que mon absence
Vient par sentir la coulpe qui me point
D'aucun mesfait; mais ce n'est pas le poinct.
Je ne me sens du nombre des coupables;
Mais je sais tant de juges corrumpables
Dedans Paris, que par pécune prinse,
Ou par amis, ou par leur entreprinse,
Ou en faveur et charité piteuse
De quelque belle humble soliciteuse,
Ils sauveront la vie orde et immunde
Du plus meschant et criminel du monde :
Et au rebours, par faute de pécune,
Ou de support, ou par quelque rancune,
Aux innocens, ils sont tant inhumains,
Que content suis ne tomber en leurs mains,
Non pas que tous je les mette en un compte:
Mais la grand' part la meilleure surmonte.»
(MAROT.)

«Quand je suis aux lieux où il faut faire voir
D'un cœur dévotieux l'office et le devoir,
Lors je suis de l'église une colonne ferme.
D'un surpelis ondé les épaules je m'arme,
D'une haumusse le bras, d'une chape le dos,
Et non, comme tu dis, faite de croix et d'os:
C'est pour un capelan, la mienne est honorée
De grandes boucles d'or et de franges dorée.
Je ne perds un moment des prières divines:
Dès la pointe du jour je m'en vais à matines,
J'ai mon breviaire au poing, je chante quelquefois,
Mais c'est bien rarement, car j'ai mauvaise vois.»

(RONSARD.)

Enfin Malherbe vint, et fit sentir le premier que le génie de la langue pouvait s'élever jusqu'au su

blime, et atteindre la majesté de l'ode. Celle qu'il a tirée du psaume CXIV est une des plus belles et des plus purement écrites; elle montrera mieux que toutes les dissertations qu'on pourrait faire, quel était le véritable état de la langue vers la fiu du seizième siècle et le commencement du dixseptième.

«N'espérons plus, mon âme, aux promesses du monde;

Sa lumière est un verre, et sa faveur une onde,
Que toujours quelque vent empêche de calmer:
Quittons ces vanités, lassons-nous de les suivre:
C'est Dieu qui nous fait vivre,
C'est Dieu qu'il faut aimer.

En vain pour satisfaire à nos lâches envies,
Nous passons près des rois, tout le temps de nos vies,
A souffrir des mépris, à ployer les genoux ;
Ce qu'ils peuvent n'est rien, ils sont ce que nous

sommes,

Véritablement hommes,

Et meurent comme nous.

Ont-ils rendu l'esprit; ce n'est plus que poussière
Que cette majesté si pompeuse et si fière,
Dont l'état orgueilleux étonnoit l'univers;
Et dans ces grands tombeaux où leurs âmes hautaines
Font encore les vaines,

Ils sont rongés des vers.

Là se perdent ces noms de Maîtres de la terre, D'Arbitres de la paix, de Foudres de la guerre; Comme ils n'ont plus de sceptre, ils n'ont plus de flatteurs,

Et tombent avec eux d'une chute commune,

Tous ceux que leur fortune
Faisoit leurs serviteurs...»

(MALHERBE.)

DIX-SEPTIÈME SIÈCLE. Dans ce siècle, la langue devient plus noble et plus harmonieuse par l'établissement de l'Académie française, fondée en 1635. Enfin, sous Louis XIV, elle acquit la perfection où elle pouvait être portée dans tous les genres. Les lumières que des siècles ont amenées se sont toujours répandues sur la langue des beaux génies : en donnant de nouvelles idées, ils ont employé les expressions les plus propres à les inculquer, et ont limité les situations équivoques. De nouvelles connaissances, un nou

veau sentiment ont été décorés de nouveaux termes, de nouvelles allusions. Toutes ces acquisitions sont très-sensibles dans la langue française; Corneille, Descartes, Pascal, Racine, Despréaux, etc., fournissent autant d'époques de nouvelles perfec

LANGUE. tions. Selon les grammairiens, ce fut en 1656, lorsque Pascal fit paraître les fameuses Provinciales, qu'on regarda la langue comme parvenue à son plus haut point d'élégance et de pureté. Les ouvrages que le dix-septième et le dix-huitième siècle ont produits dans notre langue sont si connus et en si grand nombre, qu'il serait superflu d'en rapporter des exemples.

Le génie de la langue française est la clarté, l'ordre, la justesse, la pureté des termes, qui la distinguent des autres langues, et y répandent un agrément qui plaît à tous les peuples. Son ordre dans l'expression des pensées la rend facile; la justesse en bannit les métaphores outrées, et sa pureté interdit tout emploi des termes grossiers et obscè

nes.

La langue française n'a point une étendue fort considérable; elle n'a point une noble hardiesse d'images, ni de pompeuses cadences, ni de ces grands mouvements qui pourraient rendre le merveilleux; elle n'est point épique; ses verbes auxiliaires, ses articles, son manque d'inversions nuisent à l'enthousiasme de la poésie; mais une certaine douceur, beaucoup d'ordre, d'élégance, de délicatesse et de termes naïfs, la rendent éminemment propre aux scènes dramatiques. Elle manque de mots composés, et par conséquent de l'énergie qu'ils procurent; elle est peu propre au style lapidaire, et à ce que nous appelons harmonie imitative; mais tous ces petits défauts n'empêchent pas que notre langue ne soit l'une des plus belles de toutes. D'autres langues ont des qualités que le français n'a pas dans le même degré de perfection; mais la liberté et la douceur de la société n'ayant été long-temps connues qu'en France, le langage en a reçu une délicatesse d'expression et une finesse pleine de naturel qui ne se retrouvent guère ailleurs; il a mille avantages que les autres langues n'ont pas, et elles ont des défauts dont il est exempt. En un mot, l'ordre naturel dans lequel on est obligé d'exprimer ses pensées et de construire ses phrases, répand dans la langue française une douceur et une facilité qui plaît à tous les peuples: et le génie de la nation se mêlant au génie de la langue, a produit plus de livres agréablement écrits qu'on n'en voit chez aucune autre nation. Y a-t-il en effet quelque caractère que notre langue n'ait pris avec succès? Elle est folâtre dans Rabelais; naïve dans Marot, La Fontaine et Brantome; harmonieuse dans Malherbe et Fléchier; sublime dans Corneille et Bossuet. Que n'est-elle pas dans Boileau, Racine, Voltaire, Fénelon, J.-J. Rousseau, Buffon, Barthélemy, et une foule d'autres écrivains en vers et en prose, dont les ouvrages

seront aussi précieux pour la postérité, que les ouvrages des anciens le sont pour nous ?

De toutes les nations civilisées la nation française est celle qui se livre le moins à l'étude des langues étrangères, dont la connaissance est cependant on ne peut plus utile dans une foule de circonstances; par exemple, en voyage, dans une correspondance avec l'étranger, pour la connaissance approfondie des littératures, des cultes, des mœurs, de l'histoire, des découvertes industrielles et scientifiques de l'étranger. La nation anglaise et presque toutes les nations du nord de l'Europe nous sont sous ce rapport fort supérieures. La plupart des jeunes gens russes apprennent cinq ou six langues. Dès leur enfance ils sont entourés de bonnes anglaises, allemandes, françaises et italiennes; cet apprentissage cominence avec les premiers pas du bambin; on ne perd pas une minute. Rien de plus simple que ce cours; il ne coûte d'efforts ni aux élèves, ni aux professeurs; ceux-ci parlent, les autres écoutent. Les bonnes rivalisent de zèle; chacune a ses heures et ses attributions; on gronde les enfants en anglais, on les fait manger et boire en allemand; on les récompense en français, et on les envoie promener en italien. Moyennant cette égalité de répartition dans l'enseignement, un enfant de trois ou quatre ans se trouve mieux instruit en philologie que la plupart des membres de nos compagnies savantes.

La langue est le véritable trait caractéristique qui distingue une nation d'une autre; quelquefois même elle en est le seul, puisque toutes les autres différences produites par la diversité de race, de gouvernement, des usages, des mœurs, de la religion, ou de la civilisation, ou n'existent pas, ou bien offrent des nuances presque imperceptibles. Sous un autre rapport, outre que la langue est ordinairement le seul ou le principal trait caractéristique d'une nation, ce trait a l'avantage d'être presque toujours inaltérable, se conservant à travers les séries des siècles; car ni le laps de temps, ni les variations des gouvernements, ni les changements de religion et des institutions sociales et politiques, ne sauraient, généralement parlant, le détruire. Dans son Atlas ethnographique du Globe1, M. Adrien Balbi, auquel nous empruntons les détails qui termineront cet article, désigne sous le nom de souche ou famille ethnographique un groupe de langues qui offrent entre elles une grande analogie; et sous celui de dialectes, des manières dif

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1. Atlas ethnographique du globe, ou Classification des peuples anciens et inodernes, d'après leurs langues; un volume in-folio.

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