صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

et la queue, puis il étend vivement et subitement ces parties; l'eau frappée cède, mais non assez vite, et une partie du mouvement est réfléchie sur le corps de l'animal lui-même, qui ainsi avance et fend l'onde tout en lui est disposé pour cet effet; le museau est pointu; le corps sur le côté est légèrement arrondi, convexe et lisse; les courbures en sont telles que le liquide qui est traversé vient se rabattre derrière le corps, pour concourir à pousser l'animal en avant : dans l'art nautique, on n'a pu faire mieux que d'imiter, dans la construction des vaisseaux, les formes du corps des poissons ou des autres animaux d'eau. Quant aux oiseaux d'eau, ils nagent à l'aide de leurs pattes qui sont courtes, fort élargies, terminées par des doigts palmés, et qui sont placées très en arrière du corps, afin de mieux lui donner une impulsion en avant, et de servir en même temps de gouvernail. La nage de l'homme n'est, pour ainsi dire, qu'un saut sur un sol liquide; sans doute celui-ci cède en partie, mais cédant moins vite que les membres inférieurs ne s'étendent, il réfléchit un peu de mouvement sur le corps, et lui imprime une certaine impulsion. Il ne s'agit dès-lors que d'employer une force qui supplée à ce qui manque de résistance au sol, et au peu d'étendue de la surface avec laquelle on le choque. Les membres de l'homme, comme chez les animaux terrestres, sont bien loin en effet d'avoir autant de largeur que dans les animaux aquatiques. Du reste, pour nager, l'homme emploie ses quatre membres; mais il y a une sorte d'antagonisme d'action entre les supérieurs et les inférieurs.

La natation accroit la puissance musculaire chez les personnes qui s'y livrent assidument; non pas que l'eau froide appliquée à la peau soit véritablement un fortifiant par suite de la réaction qu'elle provoque, mais parce que les mouvements, les contractions nécessaires pour que le corps se soutienne et se déplace dans le liquide, ayant lieu dans un milieu froid et dense, il n'y a point de perte par la transpiration, comme il arrive quand on se meut avec vitesse et avec force dans l'air, et surtout dans l'air chaud. Le système nerveux sensitif éprouve en outre une sédation bien marquée, en raison de l'excès même de mouvement et de l'impression du froid. La natation est donc plus avantageuse que le bain froid avec immobilité, après lequel la transpiration augmente. Elle est d'une grande utilité, durant l'été et dans les pays chauds, pour obvier d'une part à l'inaction, et de l'autre aux pertes énormes que l'élévation de la température détermine. La natation rend le pouvoir d'agir aux muscles, s'oppose à la concentration de l'action vitale

sur l'estomac, et rétablit ainsi l'énergie des digestions.

La natation est, sans comparaison, l'exercice le plus utile et le plus agréable auquel on puisse se livrer tout est profit dans ce salutaire exercice. Il faut joindre aux modifications profondes qu'impriment à l'économie animale les actes locomoteurs qu'exigent les divers modes de natation, les effets non moins remarquables du bain frais. L'homme qui sort de nager est agile, fort dispos, pourvu toutefois qu'il ne soit pas fatigué par la durée ou la violence de ses mouvements; et, dans ce cas-là même, après quelque temps de repos, il en éprouve tous les bons résultats. La natation est un exercice qui a pour caractères particuliers de ne s'accompagner d'aucune secousse un peu forte, de n'avoir conséquemment pour effets, que ceux du mouvement simple, et d'affranchir la moelle épinière du poids des parties supérieures du corps. Ces propriétés en font un exercice précieux pour les personnes à qui les chocs peuvent être préjudiciables, et pour les jeunes gens dont les os présentent un commencement de déviation ou en sont menacés. L'art de nager est d'ailleurs non-seulement très-nécessaire pour celui qui le possède, puisqu'il peut pourvoir à sa conservation dans des circonstances imprévues, mais, dans l'occasion, il peut être utile pour sauver la vie à son semblable; et une seule occasion de ce genre, par la douce récompense qu'elle emporte avec soi, est capable de répandre le bonheur sur chacun des instants de l'existence.

NATIONS. ÉCONOMIE POLITIQUE. Agglomérations d'humains vivant en société sur un territoire circonscrit, parlant le même idiome, ayant une législation et un gouvernement à part, avec des mœurs et des usages caractéristiques.

Les annales de l'humanité n'offrent qu'une longue suite de malheurs, de sang et de larmes. Partout l'abus de la force, partout l'égoïsme, partout l'ambition et la violence, partout le chaos. Et cependant, pour qui sait lire l'histoire, au milieu de ce désordre général et de ces souffrances épouvantables, l'humanité marche, s'étend, se développe; elle s'élève pas à pas et de siècle en siècle à un degré de perfectionnement social toujours supérieur: fait immense et consolant, qui n'est plus contesté que par les aveugles. A la tête de ce grand mouvement, des masses d'hommes se montrent comme pour le diriger, et rallier ensuite les masses plus lentes qui restent en arrière; les unes et les autres sont de grandes individualités qui vivent à

part, chacune dans son ménage, querellant parfois, et, dans les courts intervalles de paix, s'isolant toujours le plus possible les unes des autres ; voilà jusqu'ici quelle a été la vie des nations.

Il en est de très-avancées en civilisation, du moins relativement parlant; car, à notre avis, et en portant un regard d'espérance sur un lointain avenir, la civilisation commence à peine. Il en est d'autres fort en retard. Chez les premières, les droits de l'homme sont reconnus, s'ils ne sont encore en compléte activité. La vie est douce pour une grande portion de la famille nationale, et la voie est ouverte à la partie souffrante pour atteindre. aussi le bien-être. La liberté, enfin, se fait jour de toute part, et renverse l'un après l'autre les millions d'obstacles que les siècles d'ignorance ont accumulés sur ses pas. De longues hésitations encore, encore des froissements douloureux, encore des troubles, du sang, peut-être! Mais les questions sont posées, et, quelle que soit l'époque de leur entière solution, s'il est impossible de l'assigner, il est certain qu'elle arriverà. Il n'est aucun mot, dans aucune langue, qui puisse exprimer l'idée d'un état social futur dont les mythes antiques ont offert un poétique symbole, dans leur áge d'or. « Il n'est point derrière nous, il est devant!» a dit le philosophe Saint-Simon; mais l'erreur de cet écrivain, si remarquable par la hardiesse et l'originalité de sa pensée, consiste dans la croyance qu'un homme et un système peuvent réaliser ce que la force inhérente à l'humanité réalisera seule d'elle-même. Erreur commune aux utopistes et aux habiles constructeurs de synthèses sociales.

[ocr errors]

Mais, s'il n'est point donné même aux hommes de génie, de faire mouvoir les nations, et de les pétrir à leur gré, il n'a été refusé à personne de concourir à accélérer le mouvement. Dans toutes les positions sociales, depuis les plus éminentes jusqu'aux plus bumbles, chacun, dans sa sphère d'action, peut et doit exercer, en ce qui concerne les idées utiles, nous dirions un noble apostolat, si ce mot n'avait été usé dans de ridicules folies. Voilà pourquoi il est si important de s'adresser aux jeunes générations, qui, une fois convaincues, n'ont point de repos qu'elles n'aient fait partager leurs convictions: car rien n'est persuasif comme la jeunesse, parce que rien n'est aimable comme elle.

Le fait de l'isolement où se sont toujours tenues les nations, et dans lequel elles vivent encore, repose sur une ignorance vraiment grossière de leur intérêt réciproque. Jamais contradiction n'a été plus absurde et plus palpable. Quoi ! il n'est

pas bon que l'homme soit seul, ce qui fait qu'il prend une compagne; il n'est pas bon qu'il vive dans l'isolement, ce qui fait qu'il båtit sa maison près d'une autre maison; il n'est pas bon qu'il travaille à l'écart, ce qui fait qu'il va trouver ses semblables pour échanger ses produits contre les leurs ; et il serait raisonnable qu'une nation fût seule, isolée, à l'écart! Ce qui est bien, juste, éminemment profitable d'homme à homme, de rue à rue, de bourgade à bourgade, de ville à ville, de province à province, serait mal, injuste, désastreux, de nation à nation! Si, lorsque le pain est cher à Paris, quelque pauvre imbécille allait proposer de fermer toutes les barrières, de faire bonne garde et de tuer quiconque voudrait introduire des farines dans Paris, y aurait-il assez de sifflets et de clameurs contre pareille ineptie ? Mais, que le blé soit cher en France! mille gens habiles trouverout parfaitement spirituelle la prohibition des blés étrangers. Le fer est hors de prix : n'en laissez pas pėnétrer un seul kilo qui puisse se vendre à bon compte. Personne en France ne fabrique les cotons filés fins avec lesquels se confectionnent les admirables tissus de Tarare*: prohibez bien vite l'introduction des cotons filés fins de l'étranger. Et l'étranger? Il prohibe à son tour, il se venge.

-

On a quelquefois accusé l'économie politique et les économistes d'exciter la soif du gain, et d'avilir ainsi l'homme, en étouffant chez lui les sentiments nobles et généreux. Que ces accusations sont odieuses! Ne semblerait-il pas en effet que l'avarice et la cupidité ont pris naissance, en ce bas monde, le jour où Quesnay s'avisa de réunir une douzaine d'amis dans son petit salon, pour causer des inté rêts matériels de la France et des nations voisines? Et qu'y a-t-il donc de plus noble, de plus généreux que d'unir les peuples entre eux par de libres échanges et des services mutuels? Qu'y a-t-il de plus bumain que de diminuer les chances de guerre? Qu'y a-t-il de plus poétique, de plus sublime, que de désirer, que d'appeler, que de préparer l'époque à laquelle les nations se donneront la main? Il faut avoir compassion des hommes que de semblables études mécontentent, et dont le cœur est inaccessible aux délicieuses émotions qu'elles font naître : l'humanité marche sans eux et malgré eux; la raison ne les punira que par les bienfaits dont elle veut les accabler.

* Les fabriques de Tarare tomberaient sur-le-champ si la contrebande cessait un seul instant de les approvisionner; en sorte que c'est dans l'intérêt des fabriques de cotons fles fins, qui n'existent pas encore, que les consommateurs de mousselines paient ces tissus cent pour cent plus cher.

NATURE. PHYSIQUE. Expression générale dont on fait ordinairement usage sans se rendre toujours un compte exact du sens qu'on y attache. Les savants emploient presque toujours ce mot pour indiquer une cause supérieure et générale qui produit tous les phénomènes; ainsi, l'on dit : La nature produit les métaux; la nature est fertile, prévoyante, etc. Il semblerait, en ce sens, que le mot nature fût synonyme de divinité; mais, en même temps, on comprend par nature l'ensemble physique et moral de l'univers, en un mot, tout ce qui existe; et c'est dans ce sens que l'on dit : La nature obéit à des lois générales. Ces deux acceptions ont l'inconvénient, en se confondant, de confondre aussi les causes et les effets, et de favoriser une tendance qui n'est que trop générale dans la manière actuelle de philosopher, et qui consiste à regarder comme cause un ensemble d'effets; c'est ainsi qu'on a dit : La vie est l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort; comme si le plus grand nombre d'effets possible pouvait jamais représenter une cause.

Le mot nature se prend aussi dans un sens plus restreint, pour l'état ou la manière d'être d'un corps; ainsi l'on dit: Il est dans la nature du soufre d'être combustible; la nature des fluides animaux paraît dépendre de l'action des solides, etc., etc.; dans ce sens, exposer la nature d'un corps, c'est énumérer les propriétés dont il est doué, en d'autres termes, décrire son mode d'action sur tous les autres corps.

Par lois de la nature, on entend ce qui arrive toujours dans les mêmes circonstances. Ainsi, tout effet simple qui arrive toujours dans des occasions semblables, et dont la cause est inconnue, est regardé comme loi de la nature, quoiqu'il soit peutêtre produit par quelque autre loi que nous ignorons. Les lois de la nature sont donc les règles suivant lesquelles les corps agissent les uns sur les autres. C'est de là que nous partons, comme d'un point fixe, pour rendre raison des différents phénomènes, sans cependant oser assurer que ce que nous donnons pour première cause physique, ne soit pas l'effet d'une autre loi qui nous soit inconnue ; car les lois de la nature sont en grand nombre, et nous sommes loin de les connaitre toutes.

NATURE (BELLE). BEAUX-ARTS, BELLESLETTRES. La belle nature est la nature embellie, perfectionnée par les beaux-arts, pour l'usage et pour l'agrément. Développons cette vérité avec le secours de l'auteur des principes de littérature.

Les hommes, ennuyés d'une jouissance trop uniforme des objets que leur offrait la nature toute

simple, et se trouvant d'ailleurs dans une situation propre à recevoir le plaisir, eurent recours à leur génie pour se procurer un nouvel ordre d'idées et de sentiments, qui réveillât leur esprit et ranimât leur goût. Mais que pouvait faire ce génie borné dans sa fécondité et dans ses vues, qu'il ne pouvait porter plus loin que la nature, et ayant d'un autre côté à travailler pour des hommes, dont les facultés étaient resserrées dans les mêmes bornes? Tous ces efforts dûrent nécessairement se réduire à faire un choix des plus belles parties de la nature, pour en former un tout exquis, qui fût plus parfait que la nature elle-même, sans cependant cesser d'être naturel. Voilà le principe sur lequel a dû nécessairement se dresser le plan des arts, et que les grands artistes ont suivi dans tous les siècles. Choisissant les objets et les traits, ils nous les ont présentés avec toute la perfection dont ils sont susceptibles. Ils n'ont point imité la nature telle qu'elle est en elle-même, mais telle qu'elle peut ètre, et qu'on peut la concevoir par l'esprit. Ainsi, puisque l'objet de l'imitation des arts est la belle nature, repré sentée avec toutes ses perfections, voyons donc comment se fait cette imitation.

On peut diviser la nature, par rapport aux arts, en deux parties: l'une dont on jouit par les yeux, et l'autre par la voie des oreilles : car les autres sens sont absolument stériles pour les beaux-arts. La première partie est l'objet de la peinture qui représente en plan, de la sculpture qui offre les objets eu relief, et enfin celui de l'art du geste, qui est une branche des deux autres arts que nous venons de nommer, et qui n'en diffère, dans ce qu'il embrasse, que parce que le sujet auquel on attache les gestes dans la danse est naturel et vivant, au lieu que la toile du peintre et le marbre du sculpteur ne le sont point.

La seconde partie est l'objet de la musique, considérée seule et comme un chant; en second lieu, de la poésie qui emploie la parole, mais la parole mesurée et calculée dans tous les tons.

Ainsi le peintre imite la belle nature par les couleurs; la sculpture, par les reliefs; la danse, par les mouvements et par les attitudes du corps; la musique l'imite par les sons inarticulés; et la poésie enfin, par la parole mesurée. Voilà les caractères distinctifs des arts principaux; et, s'il arrive quelquefois que ces arts se mêlent et se confondent, comme, par exemple, dans la poésie, si la danse fournit des gestes aux acteurs sur le théâtre, si la musique donne le ton de la voix dans la déclamation, si le pinceau décore le lieu de la scène, ce sont des services qu'ils se rendent mutuellement,

en vertu de leur fin commune, et de leur alliance réciproque; mais c'est sans préjudice à leurs droits particuliers et naturels. Une tragédie sans gestes, sans musique, sans décoration, est toujours un poëme. C'est une imitation exprimée par le discours mesuré. Une musique sans paroles est toujours musique : elle exprime la plainte et la joie indépendamment des mots qui l'aident, à la vérité, mais qui ne lui apportent ni ne lui ôtent rien de sa nature ni de son essence. Son expression essentielle est le son; de même que celle de la peinture est la couleur, et celle de la danse le mouvement du corps. Mais il faut remarquer ici que, comme les arts doivent choisir les dessins dans nature, et les perfectionner, ils doivent choisir aussi et perfectionner les expressions qu'ils empruntent de la nature. Ils ne doivent point employer toute sorte de couleurs, ni toute sorte de sons: il faut en faire un juste choix, et un mélange exquis; il faut les allier, les proportionner, les nuancer, les mettre en harmonie. Les couleurs et les sons ont entre eux des sympathies et des répugnances. La nature a droit de les unir, suivant ses volontés; mais l'art doit le faire selon les règles. Il faut non-seulement qu'il ne blesse point le goût, mais qu'il le flatte. De cette manière on peut définir la peinture, la sculpture, la danse, une imitation de la belle nature, exprimée par les couleurs, par le relief, par les attitudes; et la musique et la poésie, l'imitation de la belle nature, exprimée par les sons ou par le discours mesuré.

Les arts dont nous venons de parler out eu leur commencement, leur progrès et leur révolution dans le monde. Il y eut un temps où les hommes, occupés du seul soin de soutenir ou de défendre leur vie, n'étaient que laboureurs ou soldats: sans lois, sans paix, sans mœurs, leurs sociétés n'étaient que des conjurations. Ce ne fut point dans ce temps de trouble et de ténèbres qu'on vit éclore les beauxarts; on sent bien, par leur caractère, qu'ils sont les enfants de l'abondance et de la paix.

Quand on fut las de s'entre-nuire, et qu'ayant appris, par une funeste expérience, qu'il n'y avait que la vertu et la justice qui pussent rendre heureux le genre humain; quand on eut commencé à jouir de la protection des lois, le premier mouvement du cœur fut pour la joie. On se livra aux plaisirs qui vont à la suite de l'innocence. Le chaut et la danse furent les premières expressions du sentiment; et ensuite le loisir, le besoin, l'occasion, le hasard donnèrent l'idée des autres arts, et en ouvrirent le chemin.

Lorsque les hommes furent un peu dégrossis par la société, et qu'ils eurent commencé à sentir qu'ils

valaient mieux par l'esprit que par le corps, il se trouva sans doute quelque homme merveilleux, qui, inspiré par un génie extraordinaire, jeta les yeux sur la nature.

Après l'avoir bien contemplée, il se considéra lui-même. Il reconnut qu'il avait un goût né pour les rapports qu'il avait observés, qu'il en était tonché agréablement. Il comprit que l'ordre, la variété, la proportion tracée avec tant d'éclat dans les ouvrages de la nature, ne devaient pas seulement nous élever à la connaissance d'une intelligence suprême, mais qu'ils pouvaient encore être regardés comme des leçons de conduite, et tournés au profit de la société humaine.

Ce fut alors, à proprement parler, que les arts sortirent de la nature. Jusque-là tous leurs éléments y avaient été confondus et dispersés, comme dans une sorte de chaos. On ne les avait guère connus que par soupçon, ou mème par une sorte d'instinct. On commença alors à démêler quelques principes; on fit quelques tentatives, qui aboutirent à des ébauches. C'était beaucoup il n'était pas aisé de trouver ce dont on n'avait pas une idée certaine, même en le cherchant. Qui aurait cru que l'ombre d'un corps, environné d'un simple trait, pút devenir un tableau d'Appelles; que quelques accents inarticulés pussent donner naissance à la musique, telle que nous la connaissons aujourd'hui ? Le trajet est immense. Combien nos pères ne firent-ils point de courses inutiles, ou même opposées à leur terme! Combien d'efforts malheureux, de recherches vaines, d'épreuves sans succès ! Nous jouissous de leurs travaux, et, pour toute reconnaissance, ils ont nos mépris.

Les arts, en naissant, étaient comme sont les hommes : ils avaient besoin d'ètre formés de nouveau par une sorte d'éducation; ils sortaient de la barbarie. C'était une imitation, il est vrai; mais une imitation grossière, et de la nature grossière elle-même. Tout l'art consistait à peindre ce qu'on voyait et ce qu'on sentait, on ne savait pas choisir; la confusion réguait dans le dessin, la disproportion et l'uniformité dans les parties, l'excès, la bizarrerie, la grossièreté dans les ornements; c'étaient des matériaux plutôt qu'un édifice : cependant on imitait.

Les Grecs, doués d'un génie heureux, saisirent enfin avec netteté les traits essentiels et capitaux de la belle nature, et comprirent clairement qu'il ne suffisait pas d'imiter les choses, qu'il fallait encore les choisir. Jusqu'à eux les ouvrages de l'art n'avaient guère été remarquables que par l'énormité de la masse on de l'entreprise; c'étaient les

ouvrages des Titans. Mais les Grecs, plus éclairés, sentirent qu'il était plus beau de charmer l'esprit, que d'étonner ou d'éblouir les yeux; ils jugerent que l'unité, la variété, la proportion, devaient étre le fondement de tous les arts; et sur ce fonds si beau, si juste, si conforme aux loix du goût et du sentiment, on vit chez eux la toile prendre le relief et les couleurs de la nature; l'ivoire et le marbre s'animer sous le ciseau; la musique, la poésie, l'éloquence, l'architecture enfantèrent aussitôt des miracles; et comme l'idée de la perfection commune à tous les arts, se fixa dans ce beau siècle, on eut presqu'à la fois dans tous les genres des chefs-d'œuvre qui, depuis, servirent de modèles à toutes les nations polies. Ce fut le premier triomphe des arts. Arrêtons-nous à cette époque, puisqu'il faut nécessairement puiser dans les monuments antiques de la Grèce le goût épuré et les modèles admirables de la belle nature, qu'on ne rencontre point dans les objets qui s'offrent à nos yeux.

La prééminence des Grecs, en fait de beauté et de perfection, n'étant pas douteuse, on sent avec quelle facilité les maîtres de l'art purent parvenir à l'expression vraie de la belle nature. C'était chez eux qu'elle se prêtait sans cesse à l'examen curieux de l'artiste dans les jeux publics, dans les gymnases, et même sur le théatre; taut d'occasions fréquentes d'observer firent naître aux artistes grecs l'idée d'aller plus loin. Ils commencèrent à se former certaines notions générales de la beauté, nonseulement des parties du corps, mais encore des proportions entre les parties du corps. Ces beautés devaient s'élever au-dessus de celles que produit la nature, leurs originaux se trouvaient dans une nature idéale, c'est-à-dire, dans leur propre couception.

Il n'est pas besoin de grands efforts pour comprendre que les Grecs dûrent naturellement s'élever à l'expression du beau naturel, qui va audelà du premier, et dont les traits, suivant un ancien interprète de Platon, sont rendus d'après les tableaux qui n'existent que dans l'esprit. C'est ainsi que Raphaël a peint sa Galatée. Comme les beautés parfaites, dit-il dans une lettre au comte Balthazard Castiglione, sont si rares parmi les femmes, j'exécute une certaine idée conçue dans mon imagination.

Ces formes idéales, supérieures aux matérielles, fournirent aux Grecs les principes selon lesquels ils représentaient les dieux et les hommes; quand ils voulaient rendre la ressemblance des personnes, ils s'attachaient toujours à les embellir en même temps, ce qui suppose nécessairement en eux l'intention

de représenter une nature plus parfaite qu'elle ne l'est ordinairement. Tel a été constamment le faire de Polygnote.

Lorsque les auteurs nous disent donc que quelques anciens artistes ont suivi la méthode de Praxitèle, qui prit Catrine, sa maîtresse, pour modèle de la Vénus de Gnide, ou que Laïs a été pour plus d'un peintre l'original des Grâces, il ne faut pas croire que ces mêmes artistes se soient écartés pour cela des principes généraux, qu'ils respectaient comme leurs lois suprêmes. La beauté qui frappait les sens présentait à l'artiste la belle nature; mais c'était la beauté idéale qui lui fournissait les traits grands et nobles: il prenait dans la première la partie humaine, et dans la dernière la partie divine, qui devait entrer dans son ouvrage.

La nature ne produira pas facilement parmi nous un corps aussi parfait que celui de l'Antinous. Jamais de même, quand il s'agira d'une belle divinité, l'esprit humain ne pourra concevoir rien au-dessus des proportions plus qu'humaines de l'Apollon du Vatican. Tout ce que la nature, l'art et le génie ont été capables de produire s'y trouve réuni; n'est-il pas naturel de croire que l'imitation de tels morceaux doit abréger l'étude de l'art. Dans l'un, on trouve le précis de ce qui est dispersé dans toute la nature; dans l'autre, on voit jusqu'où une sage hardiesse peut élever la plus belle nature au-dessus d'elle-même. Lorsque ces morceaux offrent le plus grand point de perfection auquel on puisse atteindre, en représentant des beautés divines et humaines, comment croire qu'un artiste qui imitera ces morceaux n'apprendra point à penser et à dessiner avec noblesse et fermeté, sans crainte de tomber dans l'erreur ?

Une artiste qui laissera guider son esprit et sa main par la règle que les Grecs ont adoptée pour la beauté, se trouvera sur le chemin qui le conduira directement à l'imitation de la nature; les notions de l'ensemble et de la perfection, rassemblées dans la nature des anciens, épureront en lui et lui rendront plus sensibles les perfections éparses de la nature que nous voyons devant nous. En découvrant les beautés de cette dernière, il saura les combiner avec le beau parfait; et par le moyen des formes sublimes toujours présentes à son esprit, il deviendra pour lui-même une règle sûre.

Que les artistes surtout se rappellent sans cesse que l'expression la plus vraie de la belle nature n'est pas la seule chose que les connaisseurs et les imitateurs des ouvrages des Grecs admirent dans ces divins originaux; mais ce qui en fait le caractère distinctif est l'expression d'un mieux possible,

« السابقةمتابعة »