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s'est obstiné dans ses souvenirs. Sous plusieurs rapports, il appartient, comme l'Italie, à l'antiquité.

Franchissez les tristes embouchures du Rhône, obstruées et marécageuses, comme celles du Nil et du Pô. Remontez à la ville d'Arles. La vieille métropole du christianisme dans nos contrées méridionales, avait cent mille âmes au temps des Romains; elle en a vingt mille aujourd'hui; elle n'est riche que de morts et de sépulcres (1). Elle a été long-temps le tombeau commun, la nécropole des Gaules. C'était un bonheur souhaité de pouvoir reposer dans ses champs Elysiens (les Aliscamps). Jusqu'au XIIe siècle, dit-on, les habitans des deux rives mettaient, avec une pièce d'argent, leurs morts dans un tonneau enduit de poix, qu'on abandonnait au fleuve; ils étaient fidèlement recueillis (2). Cependant cette ville a toujours décliné. Lyon l'a bientôt remplacée dans la primatie des Gaules; le royaume de Bourgogne, dont elle fut la capitale, a passé rapide et obscur; ses grandes familles se sont éteintes.

(1)

Si come ad Arli, ove'l Ro dano stagna,
Fanno i sepolcri tutto'l loco varo.

DANTE Inferno. c. Ix.

Entres autre bas-reliefs remarquables qu'on trouve sur les tombeaux d'Arles, il en est un qui représente le monogramme du Christ enlevé par un aigle, dans une couronne de chêne. C'est un beau symbole de la victoire de Constantin. — Charles IX fit venir de la même ville des sarcophages de porphyre qui périrent dans le Rhône, et qui y sont encore. Millin, III, 504.

(2) La Lauzière, Hist. d'Arles, 1, 306.

Quand de la côte et des pâturages d'Arles, on monte aux collines d'Avignon, puis aux montagnes qui s'approchent des Alpes, on s'explique la ruine de la Provence. Ce pays tout excentrique, n'a de grandes villes qu'à ses frontières. Ces villes étaient en grande partie des colonies étrangères; la partie vraiment provençale était la moins puissante. Les comtes de Toulouse finirent par s'emparer du Rhône, les Catalans de la côte et des ports; les Baux, les Provençaux indigènes, qui avaient jadis délivré le pays des Maures, eurent Forcalquier, Sisteron, c'est-à-dire l'inté rieur. Ainsi allaient en pièces les états du Midi, jusqu'à ce que vinrent les Français qui renverserent Toulouse, rejetèrent les Catalans en Espagne, unirent les Provençaux, et les menèrent à la conquête de Naples. Ce fut la fin des destinées de la Provence. Elle s'endormit avec Naples sous un même maître. Rome prêta son pape à Avignon; les richesses et les scandales abondèrent. La religion était bien malade dans ces contrées, surtout depuis les Albigeois; elle fut tuée par la présence des papes. En même temps s'affaiblissaient et venaient à rien les vieilles libertés des municipes du midi. La liberté romaine et la religion romaine, la république et le christianisme, l'antiquité et le moyen-âge s'y éteignaient en même temps. Avignon fut le théâtre de cette décrépitude. Aussi ne croyez pas que ce soit seulement pour Laure que Pétrarque ait tant pleuré à la source de

Vaucluse; l'Italie aussi fut sa Laure, et la Provence et tout l'antique midi qui se mourait chaque jour (1).

La Provence, dans son imparfaite destinée, dans sa forme incomplète, me semble un chant des troubadours, un canzone de Pétrarque; plus d'élan que de portée. La végétation africaine des côtes est bientôt bornée par le vent glacial des Alpes. Le Rhône court à la mer, et n'y arrive pas. Les pâturages font place aux sèches collines, parées tristement de myrthe et de lavande, parfumées et stériles.

La poésie de ce destin du midi semble reposer dans la mélancolie de Vaucluse, dans la tristesse ineffable et sublime de la Sainte-Baume, d'où l'on voit les Alpes et les Cévennes, le Languedoc et la Provence, au-delà, la Méditerranée. Et moi

(1) Je ne sais lequel est le plus touchant des plaintes du poète sur les destinées d'Italie, ou de ses regrets lorsqu'il a perdu Laure. Je ne résiste pas au plaisir de citer ce sonnet admirable, où le pauvre vieux poète s'avoue enfin qu'il n'a poursuivi qu'une ombre :

<< Je le sens et le respire encore, c'est mon air d'autrefois. Les voilà, les douces collines, où naquit la belle lumière, qui, tant que le ciel le permit, remplit mes yeux de joie et de désir, et maintenant les gonfle de pleurs.

>> O fragile espoir! ô folles pensées!... l'herbe est veuve, et troubles sont les ondes. Il est vide et froid, le nid qu'elle occupait, ce nid où j'aurais voulu vivre et mourir!

J'espérais, sur ses douces traces, j'espérais de ses beaux yeux qui ont consumé mon cœur, quelque repos après tant de fatigues. >> Cruelle, ingrate servitude! j'ai brûlé tant qu'a duré l'objet de mes feux, et aujourd'hui je vais pleurant sa cendre. »

Sonnet CCLXXIX.

aussi, j'y pleurerais comme Pétrarque au moment de quitter ces belles contrées.

Mais il faut que je fraye ma route vers le nord, aux sapins du Jura, aux chênes des Vosges et des Ardennes, vers les plaines décolorées du Berry et de la Champagne. Les provinces que nous venons de parcourir, isolées par leur originalité même, ne me pourraient servir à composer l'unité de la France. Il y faut des élémens plus lians, plus dociles; il faut des hommes plus disciplinables, plus capables de former un noyau compacte, pour fermer la France du nord aux grandes invasions de terre et de mer, aux Allemands et aux Anglais. Ce n'est pas trop pour cela des populations serrées du centre, des bataillons normands, picards, des massives et profondes légions de la Lorraine et de l'Alsace.

Les Provençaux appellent les Dauphinois les Franciaux. Le Dauphiné appartient déjà à la vraie France, la France du nord, malgré la latitude, cette province est septentrionale. Là commence cette zone de pays rudes et d'hommes énergiques qui couvrent la France à l'est. D'abord, le Dauphiné, comme une forteresse sous le vent des Alpes; puis le marais de la Bresse; puis dos à dos la Franche-Comté et la Lorraine, attachées ensemble par les Vosges, qui versent à celle-ci la Moselle, à l'autre la Saône et le Doubs. Un vigoureux génie de résistance et d'opposition signale ces provinces. Cela peut être incommode

au dedans, mais c'est notre salut contre l'étranger. Elles donnent aussi à la science des esprits sévères et analytiques: Mably, et Condillac son frère, sont de Grenoble; d'Alembert est Dauphinois par sa mère; de Bourg-en-Bresse, l'astronome Lalande, et Bichat le grand anatomiste (1).

Leur vie morale et leur poésie, à ces hommes de la frontière, du reste raisonneurs et intéressés (2), c'est la guerre. Qu'on parle de passer les Alpes ou le Rhin, vous verrez que les Bayard ne manqueront pas au Dauphiné, ni les Ney, les Fabert, à la Lorraine. Il y a là, sur la frontière, des villes héroïques, où c'est de père en fils un invariable usage de se faire tuer pour le pays (3). Et

(1) Même esprit critique en Franche-Comté; ainsi, Guillaume de Saint-Amour, l'adversaire du mysticisme des ordres Mendians, le grammairien d'Olivet, etc. Si nous voulions citer quelques-uns des plus distingués de nos contemporains, nous pourrions nommer MM. Charles Nodier, Jouffroy et Droz. M. Cuvier était de Montbelliard; mais le caractère de son génie fut modifié par une éducation allemande.

(2) On trouve dans les habitudes de langage des Dauphinois, des traces singulières de leur vieil esprit processif. « Les propriétaires qui jouissent de quelque aisance parlent le français d'une manière assez intelligible: mais ils y mêlent souvent les termes de l'ancienne pratique, que le barreau n'ose pas encore abandonner. Avant la révolution, quand les enfans avaient passé un an on deux chez un procureur, à mettre au net des exploits et des appointemens, leur éducation était faite, et ils retournaient à la charrue. Champollion-Figeac, patois du Dauphiné, p. 67.

(3) La petite ville de Sarrelouis, qui compte à peine cinq mille habitans, a fourni en vingt années cinq ou six cents officiers et militaires décorés, presque tous morts au champ de bataille. Je cite de mémoire un document récent que je ne puis retrouver; mais je ne crois pas me tromper sur les chiffres.

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