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Mœurs.

que nous avons crû inutile, peutêtre parce qu'ils cefferent eux-mêmes de s'en fervir dans la derniere forme qu'ils donnerent à la Comédie.

Je me fuis un peu étendu fur les Choeurs, tant pour donner une idée complette du Théâtre ancien, que pour faire voir jufqu'où les Grecs porterent l'attention pour plaire au fpectateur ; & c'est dans cette vûe que je dirai un mot dans la fuite des autres ornemens, qui font comme les dehors de la Tragédie. Reprenons feulement ici ce que nous avons obfervé fur les personnages, à fçavoir, que c'étoient des Acteurs illuftres, des Dieux & des Rois toujours accompagnés des Choeurs, tels que l'action les demandoit: qu'à ces perfonnages on en joignoit d'autres moins confidérables pour faire agir les premiers; qu'enfin tout cela venoit originairement d'Homère, même les Choeurs, quoiqu'à les confidérer par rapport à 'Hymne Bacchique, ils fuffent peutêtre plus anciens que lui.

XVI. Les personnages une fois inventés, il fallut les mettre en action & pour le bien faire on fongea d'abord à donner à chacun fes vérita

bles traits. Voilà ce qu'Ariftote appelle les Moeurs. Car il compare l'action à l'ordonnance & au deffein d'un tableau ; & quant aux moeurs qui dif tinguent chaque perfonnage, il dit qu'elles font femblables aux couleurs qui donnent de la faillie à l'efquiffe d'un deffein tracé. En effet Efchyle a pû voir dans Homère que les moeurs de fes Héros ont un éclat frappant & pareil à celui d'un beau coloris. Mais il a dû concevoir que dans un fpectacle le coloris des moeurs devoit être plus fort. Car de même que les couleurs montrent aux yeux l'âge, la condition, les fentimens, les paffions, les vertus, les défauts même d'un perfonnage peint ; ainfi dans un fpectacle où tout parle aux yeux & à l'efprit, il faut faire faillir les moeurs, moins par les paroles que par les actions. Hé, Homère même ne l'a-t-il pas fait dans le Poëme Epique? ne croit-on pas voir agir Achille? attend-on fes difcours pour comprendre qu'il eft emporté, inexorable & fupérieur aux loix? par quels traits ce héros n'eft-il pas repréfenté? mais combien plus devroit briller fon caractère dans un fpectacle qui doit ef

fentiellement être court & animé? c'eft là fans difficulté la partie du Théâtre que les premiers Auteurs Tragiques étudierent le plus dans l'Iliade & l'Odyffée. Ils remarquerent d'abord que les moeurs devoient être convenables aux perfonnes felon l'âge, la condition, & l'intérêt qui les fait agir. Un jeune homme n'agit pas comme un vieillard, ni un Roi com. me un particulier, ni un homme paffionné comme un homme tranquille & fans intérêt préfent. Horace a pris plaifir à nous marquer ces délicateffes; & fur la différence des âges il nous a laiffé un portrait achevé. Ariftote s'étend auffi fur cette matiere. Mais je trouve que les anciens Poëtes ont porté plus loin qu'eux leurs réflexions fur la convenance des moeurs. Car outre les obfervations générales fur l'âge, les conditions & les intérêts perfonnels, ils en ont fait fur des bienféances inimitables, & affez difficiles à exprimer. Pour l'âge, les enfans ne parlent pas chez eux. Ils feroient dégénérer un fpectacle auffi noble que la Tragédie; ils paroiffent feulement, ainfi que dans l'Oedipe de Sophocle, pour augmenter le trouble

& l'agitation de la Scène. A l'égard de la dignité, quelle décence dans nos trois Poëtes Grecs! non-feulement un Roi y parle & fe conduit en Roi, mais il n'y paroît jamais en fecond, & pour des intérêts étrangers peu dignes de fon rang. Il entraîne à lui toute l'action, & en fait l'ame, comme le bon fens l'exige dans la peinture & dans la poësie. C'eft un point auquel nos meilleurs Poëtes n'ont pas toujours pris garde. Quel rôle fait dans le Cid le Roi de Caftille ce n'eft qu'un témoin prefque oifif d'une action qui ne l'inté reffe que peu. Rodrigue & Chiméne attirent toute l'attention du fpectateur, tandis que le Roi & l'Infante, qui devroient faire les principaux rôles, ou ne point paroître du tout, paroiffent à peine en fecond pour en nuyer. Corneille le fentit bien : mais il ne fit qu'après coup cette importante remarque, qui fut mife en pratique par les Auteurs Grecs dès la naiffance du Théâtre. Enfin quant à l'intérêt qui anime les Acteurs, avec quelle jufteffe de différences les Poëtes Grecs n'ont-ils pas tracé les moeurs diverfes d'un même perfonnage en

différentes fituations! Chez Euripide Clytemnestre éplorée exhale fes fureurs contre un barbare époux devenu le bourreau de fa fille Iphigénie. Que fes fureurs ont une autre face dans Electre, où l'intérêt eft tout au tre! ces changemens ne font point du reffort de la peinture; elle ne peut attraper qu'une fituation unique, & tout au plus elle laiffe deviner celle qui a précédé & celle qui fuivra. Mais la Poëfie dramatique peut & doit garder exactement ces différences fines, fur-tout dans le cours d'une même Tragédie, fuivant le changement d'intérêts. Autre eft le cour roux de Philoctéte contre les Grecs qui l'ont abandonné dans une isle déferte, lorfqu'il raconte fes malheurs ; autre fa rage contre Ulyffe, lorfqu'il voit l'auteur de fes maux, & qu'il eft la victime d'une feconde perfidie. Ce la n'empêche pas que les moeurs n'ayent une autre qualité qu'Homère & les Tragiques Grecs leur ont don née, c'eft d'être les mêmes, & de ne pas fe démentir. Car nos Poëtes obferverent qu'Achille paroît toujours dans l'Iliade tel qu'il a paru dès le commencement. A la vérité fa colère

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