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fiècle avec grande raison. Les moeurs & les idées ayant changé, il auroit été ridicule de prétendre faire envisager aux François les Divinités payennes avec des yeux Grecs. Racine même qui étoit fi fort amateur du goût Grec, ne les a employées qu'indirec tement & fans les faire paroître, comme Neptune & Venus dans Phédre. Mais fi l'on accorde que ces Dieux feroient un mauvais effet aujourd'hui, il ne faut pas croire qu'il en fût ainfi autrefois. La pensée même de M. de Saint Evremond & de fes partisans eft trop forte, quand ils blâment généralement les Poëtes Chrétiens d'avoir perpétué la fable payenne. Le pays de la fable confidérée comme fable, eft fi fertile en beautés poëtiques, que d'en vouloir bannir la Poëfie, ce feroit la dépouiller de fon plus riche domaine. D'ailleurs ce pays fabuleux eft un climat univerfel où les Poëtes de toutes les nations devenus contemporains peuvent fe raffembler en citoyens, & s'entendre fans avoir befoin d'interpréte. La Religion Chrétienne eft trop refpectable, & fes mystères font trop fublimes pour fournir à la Poëfie un fupplément à la

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fable comme le fouhaitent M. de Saint Evremond & quelques-uns après lui, auffi peu Poëtes que lui. Car les vrais Poëtes font bien éloi gnés d'admettre cette réforme chimérique. Il vaut mieux écouter * Boileau, qui dit très-bien,

De la Religion les mystères terribles,
D'ornemens égayés ne font pas susceptibles

Et qu'on ne dife pas, après avoir examiné en Philofophe ou en Géométre la plupart des fables anciennes, qu'elles péchent contre le bon fens. Elles ont fans doute peu de folidité à les regarder avec la févérité Philofophique. Mais leur merveilleux a l'air d'un enchantement, & cet enchantement eft reçû de tout le monde. C'eft un ftyle, & cela fuffit pour les juftifier du crime de choquer la raison, & beaucoup plus pour ne les pas trouver étrangères dans les Tragédies Grecques, où elles fe font incorporées, après avoir regné dans le Poëme Epique, fource unique du Tragique. Quelle que foit enfin l'impreffion qu'elles nous font, il eft toujours cer

* BOILEAU, Art. Poët, chant 3.

tain que le Théâtre ancien les admettoit comme un ornement, & que le moderne ne les fouffre plus qu'avec beaucoup de précaution.

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Ce n'eft pas que nos Tragédies Françoifes, dépouillées de ce merveilleux, en ayent moins de noblesse & de grandeur. C'est au contraire par ce point là même qu'elles fe font remarquer. Quelle pompe que celle de notre Théâtre élevé, ce femble, au-deffus même de la grandeur Romaine par le grand Corneille! les merveilles éteintes revivent pour nous, & revivent d'autant plus divinement que leur nouvelle vie a quelque chofe de plus magnifique encore que la premiere. Les Romains furent-ils jamais fi majestueux dans leurs fentimens & dans leurs idées qu'ils le font fur notre Théâtre? quelle profondeur de politique! quel raffinement de fierté! font-ce des héros de ce monde ? fontce des génies d'un monde fupérieur ? tout tremble, tout s'abbaiffe devant eux; & ils croyent faire honneur aux Rois de les fouler aux pieds. Mais quelle autre espéce de nobleffe élégante dans Racine: s'il nous rappelle au monde que nous voyons, fans

nous élever à cet autre Univers qui n'appartenoit qu'à Corneille, avec quel charme nous fait-il retrouver nous-mêmes dans ceux qu'il nous préfente! de quelles couleurs fçait-il relever & embellir les objets fans les rendre méconnoiffables! les héros de l'antiquité, fi célébres dans les Tragédies Grecques, ne feroient-ils point agréablement furpris de fe trouver ainfi rehauffés par de nouvelles moeurs, qui à la vérité leur étoient inconnues, mais qui ne leur meffiéent point? Il faut l'avouer, en mettant à part des défauts fouvent néceffaires, le Théâtre François a un air de dignité & d'élégance qui lui eft pro-, pre, qui le caractérise: & cet air couvre fi bien fes défauts qu'ils difpa-. roiffent prefqu'entierement fur la Scè ne, quelques vifibles qu'ils foient d'ailleurs au moyen d'une lecture réfléchie. C'est ce que devroient obser-. ver les cenfeurs étrangers, dont la critique ne s'attachant qu'aux défauts, fans mettre les beautés dans la balance, fe trouve démentie aux représentations des piéces de Corneille ou de Racine. Ces Poëtes n'ont en effet qu'à fe remontrer pour faire de leurs

critiques autant d'admirateurs & de partifans.

Il en étoit autrefois ainfi des Poëtes Grecs. Mais ils ne peuvent plus efpérer la même grace aujourd'hui que les moeurs anciennes font devenues auffi odieuses & auffi barbares que les modernes nous font chères & perfonnelles. Le caractère fingulier qui perce à travers ces moeurs antiques, & que l'on ne peut s'empêcher de fentir, fi l'on n'eft entierement dépourvû de goût, n'eft véritablement pas cette nobleffe, cette pompe, cette magnificence élégante & recherchée des fentimens de notre Théâtre. On y voit tout cela, mais réduit aux bornes de la fimple nature, & dépouillé de cet éclat qui eft propre des Monarchies, & de cet art que l'éducation ajoute à la nature. En récompenfe fa fimplicité, la régularité, la vérité, la jufteffe de la conduite, & des paffions font le coin auquel font marquées les Tragédies anciennes. Tout l'appanage de la pure & belle nature y eft étalé, mais avec une précifion, une délicateffe, & une naïveté qui femblent ne tenir rien de Part. Qu'on mette à part les moeurs

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