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le même argument qui servait à conclure dans la thèse l'existence d'un être premier sert à conclure sa non-existence dans l'antithèse avec une même rigueur. On disait tout d'abord : Il y a un étre nécessaire, parce que tout le temps passé renferme la série de toutes les conditions et, par suite aussi, l'inconditionné (le nécessaire); on dit maintenant : Il n'y a pas d'étre nécessaire, précisément parce que tout le temps écoulé renferme la série de toutes les conditions (qui, par conséquent, sont à leur tour conditionnées). En voici la raison. Le premier argument ne regarde que la totalité absolue de la série des conditions dont l'une détermine l'autre dans le temps, et il acquiert par là quelque chose d'inconditionné et de nécessaire. Le second, au contraire, considère la contingence de tout ce qui est déterminé dans la série du temps (puisque antérieurement à toute détermination il y a un temps où la condition elle-même à son tour doit être déterminée comme conditionnée), ce qui fait que disparaissent entièrement tout inconditionné et toute nécessité absolue. Cependant, la manière de conclure est, dans les deux cas, tout à fait conforme à la raison commune à qui il arrive souvent de se contredire elle-même, en considérant son objet sous deux points de vue différents. M. DE MAIRAN estimait que la dispute qui s'était élevée entre deux astronomes célèbres, dispute qui portait sur une semblable difficulté sur le choix du point de vue, était un phénomène assez remarquable pour consacrer à en parler une dissertation particulière. L'un raisonnait ainsi: La lune tourne autour de son axe, parce qu'elle montre constamment à la terre le même côté; l'autre, la lune ne tourne pas autour de son axe, précisément parce qu'elle montre constamment le même côté à la terre. Les deux conclusions étaient justes, suivant le point de vue auquel on se place pour observer le mouvement de la lune.

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TROISIÈME SECTION

De l'intérêt de la raison dans ce conflit avec elle-même.

Nous connaissons maintenant tout le jeu dialectique des idées cosmologiques, qui ne permettent pas qu'un objet correspondant leur soit donné dans une expérience possible, ni même que la raison les conçoive en harmonie avec les lois générales de l'expérience, et qui, cependant, ne sont pas imaginées arbitrairement, mais auxquelles la raison est nécessairement conduite dans le progrès continuel de la synthèse empirique, lorsqu'elle veut affranchir de toute condition et embrasser dans sa totalité inconditionnée ce qui ne peut jamais être déterminé que conditionnellement par les règles de l'expérience. Ces assertions dialectiques sont autant de tentatives faites pour résoudre quatre problèmes naturels et inévitables de la raison; il ne peut y en avoir ni plus ni moins, parce qu'il n'y a pas un plus grand nombre de séries de suppositions synthétiques qui limitent a priori la synthèse empirique.

Nous n'avons exposé les prétentions brillantes de la raison. étendant son empire au delà de toutes les limites de l'expérience que dans des formules sèches qui renferment simplement le principe de ses exigences légitimes, et, comme il convient à une philosophie transcendantale, nous les avons dépouillées de tout élément empirique, bien que les affirmations de la raison ne puissent briller dans tout leur éclat qu'en vertu de leur liaison avec cet empirique. Mais, dans cette application et dans cette extension progressive de l'usage de la raison, la philosophie, en partant du champ de l'expérience et en s'élevant insensiblement jusqu'à ces idées sublimes, montre une telle dignité que, si elle pouvait seulement soutenir ses prétentions, elle laisserait bien loin derrière elle toutes les autres sciences humaines, puisqu'elle promet de nous donner les fondements pour de plus grandes espérances et de nous ouvrir des vues sur les fins dernières vers lesquelles doivent, en définitive, converger tous les efforts de la raison. Le monde a-t-il un commencement et a-t-il une limite à son étendue dans l'espace? y a-t-il quelque part, et peut-être dans le moi pensant, une unité indissoluble et indivisible, ou n'y

a-t-il que le dissoluble et le périssable? suis-je libre dans mes actions, ou, comme les autres êtres, suis-je conduit par le fil de la nature et du destin? y a-t-il enfin une cause suprême du monde, ou les choses de la nature et leur ordre formentils le dernier objet où nous devons nous arrêter dans toutes nos considérations? ce sont là des questions pour la solution desquelles le mathématicien donnerait volontiers toute sa science, car celle-ci ne peut nous procurer aucune solution satisfaisante, par rapport aux fins les plus élevées et les plus importantes de l'humanité. Et la dignité même qui est propre à la mathématique (cet orgueil de la raison humaine) tient à ce que, fournissant à la raison une direction qui fait percevoir, en gros comme en petit, l'ordre et la régularité de la nature, en même temps que l'admirable unité des forces qui la meuvent, bien au delà de ce que peut attendre la philosophie qui bâtit sur l'expérience vulgaire, elle rend ainsi possible et encourage un usage de la raison qui dépasse toute expérience, en même temps qu'elle procure à la philosophie qui s'occupe de ces recherches les matériaux les meilleurs pour appuyer ses recherches, autant que le permet sa nature, sur des intuitions convenables.

Malheureusement pour la spéculation (mais peut-être heureusement pour la destination pratique de l'homme), la raison se voit si embarrassée au milieu de ses plus grandes espérances par tant de principes pour et contre que, ne pouvant, tant par honneur que dans l'intérêt de sa sûreté, ni reculer, ni regarder avec indifférence ce procès comme un simple jeu, et pouvant encore moins se contenter de demander la paix, parce que l'objet de la dispute est d'un très grand intérêt, il ne lui reste plus qu'à réfléchir sur l'origine de cette lutte de la raison avec elle-même pour voir si, par hasard, un simple malentendu n'en serait pas la cause et si, ce malentendu une fois dissipé, d'orgueilleuses prétentions, de part et d'autre, ne disparaîtraient pas, pour faire place au règne durable et tranquille de la raison sur l'entendement et les sens.

Avant d'entreprendre cette explication fondamentale, nous examinerons d'abord de quel côté nous aimerions mieux nous ranger, si nous étions forcés, en quelque sorte, de prendre parti dans ce combat. Comme nous ne consultons pas, dans ce cas, la pierre de touche logique de la vérité, mais simplement

notre intérêt, si cette recherche ne décide rien par rapport au droit litigieux des deux partis, elle aura cependant l'avantage de faire comprendre pourquoi ceux qui prennent part à ce combat se tournent plus volontiers d'un côté que de l'autre, sans y être poussés par une connaissance plus approfondie de l'objet; d'autre part, elle aura encore l'avantage d'expliquer d'autres choses, v. g. le zèle ardent d'une des parties et la froide affirmation de l'autre; pourquoi l'on applaudit joyeusement à l'une des parties, tandis que l'on prend parti, d'une manière anticipée et irrévocable, contre l'autre.

Mais il y a quelque chose qui, dans ce jugement provisoire, détermine le seul point de vue d'où l'on puisse l'établir avec la solidité convenable, et c'est la comparaison des principes d'où partent les deux parties. On remarque entre les affirmations de l'antithèse une conformité parfaite dans la manière de penser et une complète unité de maximes, c'est-à-dire un principe de l'empirisme pur, non seulement dans l'explication des phénomènes, qui sont dans le monde, mais aussi dans la solution des idées transcendantales de l'univers même. Au contraire, les affirmations de la thèse, outre le mode d'explication empirique employé dans le cours de la série des phénomènes, prennent pour fondement d'autres principes intellectuels et ainsi la maxime n'est plus simple. J'appellerai cette maxime, d'après son caractère essentiel, le dogmatisme de la raison pure.

Du côté du dogmatisme dans la détermination des idées cosmologiques de la raison, ou du côté de la thèse, se trouvent donc :

En premier lieu, un certain intérêt pratique, auquel prend parti de grand cœur tout homme sensé qui comprend son véritable intérêt. Que le monde ait un commencement, que mon moi pensant soit d'une nature simple et par suite incorruptible, qu'il soit en même temps libre dans ses actions volontaires et élevé au-dessus de la contrainte de la nature, qu'enfin l'ordre entier des choses qui constitue le monde dérive d'un être premier à qui tout emprunte son unité et son enchaînement en vue des fins, ce sont là autant de pierres angulaires de la morale et de la religion. L'antithèse nous enlève ou du moins semble nous enlever tous ces appuis.

En second lieu, il y a aussi de ce côté un intérêt spécu

latif de la raison. En effet, en admettant et en employant de cette manière les idées transcendantales, on peut embrasser pleinement a priori la chaîne entière des conditions et saisir la dérivation du conditionné, puisqu'on part de l'inconditionné; c'est ce que ne nous permet pas l'antithèse, et c'est pour elle une mauvaise recommandation que de ne pouvoir faire à la question qui concerne les conditions de sa synthèse aucune réponse qui nous dispense de questionner encore toujours et sans fin. Suivant elle, il faut s'élever d'un commencement donné à un autre plus élevé, chaque partie conduit à une partie encore plus petite, chaque événement a toujours pour cause un autre événement au-dessus de lui, et les conditions de l'existence en général s'appuient toujours de nouveau sur d'autres, sans jamais trouver dans une chose existant par elle-même, comme être premier, de soutien ni d'appui inconditionné.

En troisième lieu, ce côté a l'avantage de la popularité qui n'est certainement pas son moindre titre de recommandation. Le sens commun ne trouve pas la moindre difficulté dans les idées d'un commencement inconditionné de toute synthèse, car il est d'ailleurs plus habitué à descendre aux conséquences qu'à remonter aux principes, et les concepts de l'être absolument premier (de la possibilité duquel il ne s'inquiète guère) lui paraissent commodes et lui fournissent en même temps un point ferme où il peut attacher le fil qui conduira ses pas, tandis qu'au contraire, en remontant sans cesse du conditionné à la condition, il a toujours un pied en l'air et il ne peut jamais trouver de bien-être.

Du côté de l'empirisme dans la détermination des idées cosmologiques, ou du côté de l'antithèse, il ne se trouve:

Tout d'abord, aucun intérêt pratique résultant de principes purs de la raison, comme celui que renferment la morale et la religion. Le simple empirisme semble, au contraire, enlever à toutes les deux toute force et toute influence. S'il n'y a pas un être premier distinct du monde, si le monde est sans commencement, par suite aussi sans créateur, si notre volonté n'est pas libre et si l'âme est aussi divisible et corruptible que la matière, alors les idées morales et leurs principes perdent toute valeur et s'écroulent avec les idées transcendantales qui constituent leurs appuis théoriques.

En revanche, l'empirisme offre à l'intérêt spéculatif de la

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