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chrétien eût été impuissant si on ne l'eût investi des droits positifs de la propriété. Mais ces richesses mêmes faillireut dénåturer tout à fait le christianisme et l'étouffer dans les rouages de l'organisation féodale. Cela veut être observé.

Quand les barbares, établis sur le sol, convertis et chrétiens, pénétrèrent dans les rangs mêmes de l'Église et arrivèrent à l'épiscopat, ils y portèrent leurs mœurs violentes, aventureuses et militaires; ils trouvèrent naturel de continuer à servir les rois de leur personne, d'autant plus que leur condition de possesseurs de bénéfices les y obligeait. Peu à peu le caractère de l'évêque disparut sous l'investiture féodale; le prêtre fut baron ou comte, et il perdit insensiblement son indépendance et son autorité religieuse.

Heureusement pour l'épiscopat, il put se sauver lui-même en se donnant un chef, et en transformant la constitution de l'Église. Dès les premiers temps, l'évêque de Rome s'était concilié une sorte d'autorité sur ses égaux. Il semblait que le prêtre chrétien dont le siége spirituel était la métropole du monde ne devait pas disparaître sous le niveau d'une égalité commune. Dès le onzième siècle, Tertullien reconnaissait la supériorité morale de l'évèque romain, et M. de Maistre a rassemblé dans son livre Du pape tous les témoignages qui attestent la reconnaissance volontaire de cette suprématie de la part des pères et des docteurs (1). Si à cette autorité, d'autant plus forte qu'elle était consentie, venait se joindre quelque consistance politique, il est clair que l'épiscopat trouvait dans l'Église romaine un centre, une tête. D'ailleurs, les véritables puissances, loin de s'entre-détruire, se devinent et s'appellent. Pépin le Bref eut besoin de consacrer par une influence morale son usurpation sur les débris de la race mérovingienne : il s'appuya de l'évêque de Rome et lui donna des terres. Charlemagne constitua le pape, en même temps qu'il se créa empereur, et il voulut faire planer sur la couronne impériale

(1) Liv. I, chap. vi.

l'esprit même de la religion; véritable grandeur du génie qui sent ne pouvoir mieux enraciner le trône qu'en le soumettant à Dieu, et qui dédaigne les appréhensions d'un étroit égoïsme. Quand le traité de Verdun eut, en 843, démembré l'empire de Karle, les deux puissances dont ce grand homme avait posé les fondements ne purent se concilier; leurs discordes occupent le premier plan de la scène du moyen âge. Le pape et l'empereur, ces deux pouvoirs également électifs que faisaient les électeurs et les cardinaux, voilà le Janus à deux faces qui retient encore dans une laborieuse unité cette civilisation moderne qui veut s'éparpiller et s'épanouir.

Après Louis le Germanique la couronne d'Allemagne devint élective, et trois maisons combattirent successivement le sacerdoce, la maison de Saxe, la maison Salique et la maison de Hohenstaufen. L'Allemagne fut constituée par un grand homme qui devait avoir un fils encore plus grand que lui. Après Henri l'Oiseleur, Othon le Grand passa les monts, se fit couronner à Milan roi d'Italie, prit à Rome la couronne impériale des mains du pape, confirma les donations de Pépin et de Charlemagne, et fit jurer à Léon VIII et aux Romains que jamais ils n'éliraient de pontifes sans son consentement et celui de ses successeurs. Après avoir ainsi repris toutes les prétentions de Charlemagne, Othon opéra en Allemagne une véritable révolution en dotant avec une prodigalité systématique les évêques et les abbés, en leur confiant le gouvernement des villes, préoccupé qu'il était de la pensée d'opposer les intérêts de l'Église allemande à la suprématie du pape. Voilà pourquoi tant de principautés ecclésiastiques divisèrent l'Empire et disputèrent le sol aux fiefs des gentilshommes. Ainsi l'Église disparaissait sous la baronnie féodale; elle était amenée à ne plus reconnaître pour chef que l'empereur en Allemagne, le roi en France: encore un pas, et sa spiri-tualité était perdue sans retour.

Mais la papauté rendit à l'Église et aux évêques tout ce qu'ils lui avaient prêté; véritablement chef, elle combattit à

outrance et sauva le christianisme. Un moine toscan, qui déjà avait montré son génie dans les conseils dont il avait éclairé son prédécesseur, arrive lui-même au pontificat, use de dissimulation pour obtenir la confirmation impériale; mais, une fois pape, il entreprend seul de retirer l'Église des mains de l'Empire et de la royauté. Ses lettres nous le représentent travaillé du désir de sauver la religion. Unum desideramus, scilicet ut sancta Ecclesia per totum orbem conculcata et confusa et per diversas partes scissa ad pristinum decorem et soliditatem redeat (1). C'est un réformateur; il en aura toute l'audace, toute l'imagination, toute la hauteur de vues; il rassemble un concile à Rome pour y déclarer que toutes les relations féodales entre l'épiscopat et le pouvoir temporel doivent cesser, pour ordonner aux évêques de se refuser à l'investiture par l'anneau et par la crosse c'était entreprendre une révolution; c'était se mettre en guerre avec l'organisation politique de l'Europe. De plus, voulant réunir en un seul corps le clergé, réformer ses mœurs, et en faire au milieu de l'Europe comme une armée d'élite, il lui prescrit le célibat, et impose à tout prêtre l'alternative de dépouiller le sacerdoce ou de s'abstenir du mariage. La simonie trouve encore en lui un juge impitoyable. Cependant il se jette au milieu des différends qui s'étaient élevés entre la noblesse allemande et l'empereur Henri IV, et il ordonne à celui-ci (on ne le croirait pas sans le témoignage irrécusable de l'histoire) de venir se justifier devant lui. Ivre de colère, Henri IV assemble des évêques à Worms, et y fait déposer le pape. Grégoire répond par plus d'audace encore; il dépose à son tour l'empereur en ces termes : « Au nom de Jésus-Christ, je te « défends de régner désormais sur l'Allemagne et l'Italie, et « je délie tous tes sujets de l'obéissance qu'ils t'ont prêtées << jusqu'ici. >>

Qui triomphera dans cette lutte inouïe? sera-ce la pensee

(1) Liv. XIX, épît. XXI.

d'un seul homme? ou bien l'Empire et le successeur de Charlemagne et d'Othon? A ce mot terrible de déposer l'empereur, l'Europe fut émue, partagée; les évêques se divisèrent, et cependant Hildebrand avait pressenti si juste jusqu'où pouvaient aller la religion et son pontife, qu'il fut signifié à l'empereur que, si au plus tôt il ne se procurait l'absolution papale, les électeurs de l'Empire lui donneraient un successeur. Henri fut obligé de passer les monts, et d'attendre trois jours dans une cour de château, par un froid rigoureux, qu'il plût au vicaire de Jésus-Christ de lui donner audience. Étaitce véritablement la gloriole périlleuse de faire attendre ainsi Henri IV qui préoccupait Hildebrand? Non. Mais il eut sans doute la tentation de ne pas céder; il n'eût pas cru son triomphe complet s'il eût rétracté l'excommunication, et il en délibéra longtemps. Cette fois c'en était trop; la conscience et la religion de ce siècle avaient cédé au pape en exigeant de l'empereur d'aller chercher l'absolution au delà des Alpes; mais, une fois Henri dans le château de Canosse, on se révolta contre l'inflexible sévérité de Grégoire; Mathilde intervint elle-mème; et, à la fin du troisième jour, quand toute la piété de Henri IV commençait à se lasser, l'absolution arriva. L'empereur avait repris sa couronne aux yeux de l'Allemagne et de l'Europe; mais il n'avait pas pardonné : nouvelle lutte. Grégoire le dépose encore une fois. C'était une faute; car ou il fallait ne pas se rétracter, ou, après avoir cédé, il ne fallait pas réitérer l'audace et faire comme un pléonasme de témérité. Quand on se copie soi-même, on échoue toujours l'excommunication de Grégoire n'eut plus de crédit; l'empereur passa outre, gagna deux batailles; Hildebrand alla mourir à Salerne, et l'avantage resta au pouvoir impérial.

Il faut bien distinguer ici l'entreprise de l'homme même. L'entreprise fut juste, salutaire à l'Europe, et sauva le christianisme; l'homme fut grand, mais violent, mais tribun plus que prêtre, mais emporté par son tempérament de Toscan,

mais réunissant la ruse et la furie italiennes. Ainsi il ressuscite et fait prêcher partout les fausses décrétales, il alarme les rois outre mesure, et il parvient lui-mème par ses excès à déconsidérer son œuvre et son génie. Que tous les systèmes et tous les partis le sachent bien : quand, pour arriver à un but légitime, ils prodiguent les rigueurs et les aspérités, quand ils couronnent une entreprise nécessaire par des emportements inutiles et des cruautés de luxe, l'humanité accepte les résultats, mais elle flétrit les excès, et, lors même qu'elle a recueilli des travaux de ces hommes ardents d'assez notables avantages, elle ne leur accorde après une longue controverse qu'une gloire amoindrie, altérée, et qui encore, aux yeux de beaucoup, demeure douteuse et problématique.

Jusqu'à Boniface VIII, le pontificat romain continua puissamment l'ouvrage d'Hildebrand; mais, dès le commencement du quatorzième siècle, Rome s'affaiblit dans l'esprit des peuples et déchut peu à peu aussitôt le christianisme essaye de se séparer de la papauté par un instinct naturel et obscur qui lui fait chercher son salut dans l'indépendance et la liberté. Un docteur d'Oxford, Wiclef, rejette la suprématie du pape, et prêche le retour aux maximes évangéliques; les protestants l'ont appelé l'étoile du matin de la réforme. Les opinions de Wiclef traversèrent l'Europe; il en tomba quelque chose en llongrie, et Jean Iluss et Jérôme de Prague tentèrent les seconds d'innover. Jean Huss fut brûlé, sur un sauf-conduit parfaitement en règle que lui avait délivré l'empereur.

L'Église avait justement triomphé quand elle arrachait le christianisme aux entraves de la féodalité; mais elle-mè me le compromit au quinzième et au seizième siècle. Elle en effaça presque entièrement le spiritualisme par l'ambition de ses papes, qui dénaturaient leur rôle pour vouloir être de grands princes temporels, par la licence de leurs mœurs, par les merveilles un peu païennes de son culte : Michel-Ange, Raphaël, et Luther sont contemporains. Un moine de Wittemberg, religieux augustin, s'était rendu

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