صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

pour quelques affaires de son ordre dans la capitale de la religion catholique, au moment où les arts, se teignant à la fois des couleurs du Midi et des souvenirs de l'antiquité, épuisaient leurs pompes et leurs miracles. L'âme du Saxon, loin de s'enthousiasmer à ce spectacle, s'en indigna sans doute; elle dut éprouver tous les ressentiments et toutes les antipathies d'un homme du Nord, et dans Rome même Luther a bien pu concevoir les premiers germes de son dessein. Les indulgences vinrent dans son propre pays émouvoir sa bile, mais son entreprise même part de plus haut ; si jamais homme put être comparé à Hildebrand, ce fut Luther: même opiniâtreté dans leurs desseins; des passions aussi ardentes; même résultat, c'est-à-dire la transformation du christianisme.

Veut-on saisir d'un seul coup combien est vive la différence qui sépare le protestantisme, soit du christianisme primitif, soit de la religion catholique du moyen âge? Qu'on examine le caractère de ces réformés, de ces hommes du seizième siècle, qui commencèrent une révolution dont nous avons hérité. Tandis que le chrétien des temps antiques passe sur la terre sans regarder pour ainsi dire autour de lui, n'aime que Dieu, et humilie son intelligence devant des supériorités spirituelles et morales; le réformé, actif, plein de confiance en ses forces et en sa personnalité, aime la terre et lui-même; il semble que le ciel ne soit pas sa principale affaire; il s'exalte dans ses facultés, ne se fie qu'à son jugement propre, et ne consent à aimer Dieu qu'après avoir sévèrement examiné les titres de sa légitimité. Ordonnez au chrétien des temps antiques de renoncer à sa foi; il s'offre au supplice, il sort de la vie, le cœur inondé de joie, parce qu'il va trouver son Dieu; il est martyr. Si, au seizième siècle, les lois défendent l'exercice public du nouveau culte, le réformé frémit, il crie qu'il est blessé dans son droit, il s'attache à la terre, et il fait la guerre civile.

Le protestantisme est une opposition, une résistance qui a commencé par la religion, et qui depuis s'est montrée par

tout; c'est la raison de l'individu qui parcourt les choses et les institutions humaines, les apprécie, repousse les unes, accepte les autres, et proclame qu'elle a le droit de tout juger; c'est un besoin philosophique qui a éclaté au sein de la théologie, et qui veut aujourd'hui se satisfaire en tout: aussi les vrais enfants de la réforme ne sont pas tant ses religionnaires que les philosophes. C'est Descartes élevant l'empire de la raison; c'est Rousseau déclarant la volonté reine du monde; c'est Kant établissant le siége de l'humanité dans la conscience de l'individu.

Ce mouvement de l'esprit humain se manifesta sous deux formes différentes. En France, la réforme montra plutôt un esprit politique, et sa physionomie fut toute guerrière; ce sont moins de graves théologiens qui la représentent que des gentilshommes ambitieux et prompts à la guerre. Coligny en est le héros; aussi doit-elle à cette allure peu théologique, vive et française, de trouver des sectaires partout, auprès du trône, dans la noblesse, dans les parlements; elle fait un pacte avec les politiques, est sur le point de conquérir à Amboise le maniement des affaires, et vit longtemps au sein de la monarchie sans qu'on soit frappé de son humeur démocratique et républicaine.

L'Allemagne, au contraire, tire de la pensée de Luther une théologie profonde, les germes d'une philosophie nouvelle, une rénovation complète de la science. Reuchlin (1), Ulrich de Hutten, Mélanchton et Luther sont, indépendamment des polémiques où ils se trouvent engagés, des penseurs religieux qui reprennent pour ainsi dire à novo le christianisme, le dégagent des traditions qui pouvaient faire sa richesse, et qui dans leur temps l'avaient puissamment servi, mais dont alors l'épais cortège en obscurcissait l'esprit pri

(1) Reuchlin, quoique catholique, appartient au mouvement de la réforme. Luther se prononça pour lui dans les querelles que suscitèrent ses opinions théologiques.

mitif. De là cette théologie rationnelle qui n'a pas dissimulé l'ambition de renouveler l'intelligence critique et philosophique des Écritures, et qui, dans cette entreprise, s'est égarée si loin de son point de départ. Qu'on mesure la carrière parcourue depuis Luther jusqu'à Strauss !

Pendant que le protestantisme s'est laissé sur tant de points envahir par la philosophie, et lui a livré ce qui constitue vraiment la religion, le dogme et le symbole, il s'est développé, surtout depuis vingt ans, dans l'Allemagne méridionale et catholique, une séve de vie morale et religieuse qui a singulièrement élevé les âmes et fécondé les imaginations. Il y a, dans les populations catholiques de l'autre côté du Rhin, une foi vraiment vivante que les atteintes du rationalisme n'ont pas entamée, et qu'excite plutôt le voisinage d'opinions dissidentes. Qu'on parcoure les campagnes de la Bavière et de l'Autriche, qu'on en visite les cités, on trouvera une pratique sincère et vigoureuse du culte, des croyances se confondant naturellement avec la vie, et qui s'élèvent à l'intelligence de la véritable égalité, celle que la religion établit parmi les hommes devant Dieu.

A côté de ces instincts si spontanément religieux, une science profonde lutte avec l'érudition du protestantisme. Elle a élaboré l'histoire de l'Église, l'histoire du dogme et des conciles, les Écritures et les Pères, avec une haute intelligence qui, loin de faire divorce avec la foi, y puise de fortes inspirations et en même temps je ne sais quelle vivifiante douceur. Outre ces travaux éminents d'une orthodoxie positive, le catholicisme de l'Allemagne méridionale a produit encore de remarquables écrits de philosophie religieuse. Franz Baader, mort il y a plusieurs années, est incontestablement le plus attachant de ces théosophes. Il a donné de Jacob Boehme et de Saint-Martin, le philosophe inconnu, de profonds commentaires.

L'ambition de la théosophie est de s'élever à la pleine possession des vérités premières de la religion et de la nature,

et de saisir en toute chose le sens caché. On pourrait, sous certains rapports, comparer la théosophie à ces écoles ésotériques, c'est-à-dire intérieures, de la philosophie antique, où un enseignement supérieur était donné à quelques adeptes. Il y a toujours eu des âmes ardentes, des imaginations contemplatives qui éprouvent le besoin d'un aliment plus fort, et d'une audacieuse recherche des plus hautes vérités. Pour nous résumer sur le protestantisme, il a fait marcher l'esprit humain par ses mouvements et ses travaux; mais, rompant jusqu'à un certain point avec la tradition, il se condamna lui-même à rester inférieur comme culte au catholicisme; aurore de la philosophie, il devait être la décadence du symbole. Aujourd'hui, le protestantisme est plus divisé que jamais. Autour des deux cultes de la confession d'Augsbourg et de la communion réformée, qu'on a un moment sans succès tenté de réunir, tourbillonnent des sectes innombrables, flottant entre le rationalisme et le piétisme, sans jamais pouvoir trouver un point d'arrêt, un centre.

Mais revenons à l'Église. Tant que le christianisme primitif ne composa qu'une petite famille, il n'eut à s'embarrasser ni du droit ni de la législation. Toute doctrine religieuse qui s'élève ne songe qu'à persuader et à convertir. Entièrement morale, elle ne descend pas encore aux rapports et aux résistances juridiques. Ainsi, dans les quatre évangiles, le mot de droit n'est pas même prononcé ; la justice n'y est que la sainteté même, et toute la politique du Christ consiste à ne pas blesser les puissances établies. Mais, dès que l'Église chrétienne eut pris quelque corps, qu'elle se trouva mêlée aux intérêts de la société qu'elle voulait convertir, elle dut régler à la fois sa propre constitution et ses rapports avec les laïques tant sujets que souverains. Dans son sein il fallut déterminer les conditions et les degrés du sacerdoce, les lois de la hiérarchie, les censures et les châtiments de la discipline, la manière d'acquérir les bénéfices, la nature des choses sacrées, des temples, des autels, des chapelles, des cloches et

de tous les biens ecclésiastiques; vis-à-vis des peuples, elle dut régulariser la distribution de la parole spirituelle et la conférence des sacrements, puis les donations volontaires, ainsi que les relations de propriété avec les domaines des laïques. Nous voilà bien loin des commencements modestes de l'Église, et une législation fort compliquée devait être l'inévitable résultat de son agrandissement.

L'Écriture, les traditions, les conciles, les décrétales, constitutions et bulles des papes, enfin des lois rendues par les autorités temporelles concoururent à former le droit canonique, jus canonicum. Il ne faut pas s'étonner que les empereurs et les rois aient participé à la législation ecclésiastique, car le droit canonique ne représente pas tant l'esprit même de l'Église que les transactions et les rapports auxquels elle est obligée de se prêter vis-à-vis de tout ce qui n'est pas elle. Ainsi le corpus juris canonici nous offre des fragments du code théodosien, des compilations justiniennes, des capitulaires des rois francs et des lois des empereurs d'Allemagne.

Une législation si nécessaire à l'Europe chrétienne ne devait pas longtemps attendre des essais de rédaction uniforme. Sous le pape Eugène III, vers 1107, un moine de Bologne, Gratien, composa un décret qu'il fabriqua avec des extraits des canons des conciles, des écrits des Pères grecs et latins, des constitutions des papes et de quelques lois des empereurs.

Depuis Gratien, les papes s'occupèrent à l'envi de travailler à la législation ecclésiastique. Alexandre III fit une première collection des décrétales.

Alexandre IV en fit une seconde ;

Innocent III une troisième et une quatrième ;
Honorius III une cinquième ;

Enfin, la sixième et dernière, dont on se sert encore aujourd'hui, fut rédigée par les ordres de Grégoire IX.

Après ce pape, Boniface VIII, en 1291, composa le Sexte

« السابقةمتابعة »