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elle dut se résumer dans une formidable unité, et cette unité ne pouvait consister que dans un homme. Or, par une autre déduction irrésistible, cette unité personnelle ne pouvait être que le despotisme, qui finit par corrompre celui qui en fut le dépositaire. Sur le faîte du trône impérial, quand Napoléon, voyant au-dessous de lui tous les rois de la terre, puis les petits princes, enfin les peuples, se pencha pour regarder cette multitude immense dont le bruit venait mourir à ses pieds, la tête lui tourna.

En ce moment, deux opinions contradictoires divisent les amis de la liberté. Quelle est celle qui prévaudra dans l'histoire de Napoléon, quand il sera temps de l'écrire? On ne peut nier que, parmi les contemporains de l'empereur, tout ce qui avait de l'indépendance dans l'esprit et de la grandeur dans l'âme fut mécontent et froissé. Napoléon, sorti du peuple, venu à la pourpre par le vœu national qu'attestera l'histoire sans faire le relevé des votes inscrits aux registres municipaux, oublia son origine plébéienne, livra son cœur à un égoïsme profond, et, ce qui est plus triste encore, au mépris des hommes et de l'humanité disposition mortelle et vénéneuse dont je voudrais charger comme des victimes expiatoires ces flatteurs qui ont aveuglé sa grandeur et déserté son exil. Alors, il y eut un temps où faire de l'opposition à l'empereur fut le rôle des âmes généreuses. Daunou, Benjamin Constant, Andrieux ne s'y épargnèrent pas; résistance honorable et légitime par laquelle ces hommes d'élite empêchaient la liberté de se prescrire. De son côté, le peuple, sans rien analyser, dans son instinct profond, sans être ébranlé par l'oppression uniforme qui pesait sur tous, salua toujours dans l'empereur l'enfant de la révolution; il s'opiniàtra à le considérer comme son homme et son héros, à le recommander à la postérité par la popularité la plus unanime et la plus vivace qui ait jamais célébré une gloire humaine. Nous croyons que l'opposition partielle disparaîtra de plus en plus devant l'acclamation nationale, et que le gé

nie du peuple pèsera d'un plus grand poids dans la balance que la spirituelle critique de quelques écrivains.

Quel était donc cet homme tour à tour l'idole et la terreur du monde? Il y avait en lui du Mahomet, du César, du Charlemagne, et, de plus, cet homme était Napoléon. Né sur une autre terre que la France, sur un sol insulaire entre Rome et Paris, d'une imagination italienne et orientale, d'une justesse et d'une vivacité d'esprit toute française, il échappe à l'appréciation quand on veut s'enfermer dans un certain ordre d'idées positives et médiocres. On a comparé Napoléon et Washington certes, Washington est le caractère le plus pur que la liberté ait pu frapper à son image; mais voulez-vous qu'un Corse ressemble à un Américain, et que Napoléon se modèle sur le général de l'Union? Prenons donc l'histoire avec son originalité et sa poésie; enchantons-nous des créations inépuisables qu'elle sème sur sa route; voyons-la, aussi riche que sévère, absoudre un peu de mal par beaucoup de bien, et ne rien regretter des œuvres immortelles de son plus glorieux enfant, de Napoléon le Grand.

Une femme illustre a tout à fait méconnu l'empereur. Elle l'a représenté comme une espèce de génie du mal, comme un démon incarné. Mais madame de Staël s'est attaquée à quelque chose d'un peu plus fort qu'elle ce serait, pour toute autre gloire que celle de l'empereur, un malheur irréparable que de l'avoir pour ennemie auprès de la postérité; mais toute l'éloquence de sa partialité féminine ne pourra prévaloir contre Napoléon. Au surplus, autrement placé, l'auteur de l'Allemagne eût autrement écrit; c'est aux grands hommes à comprendre les grands hommes, et madame de Staël était digne d'entendre le génie de l'empereur, par la même raison que Montesquieu nous a révélé celui d'Alexandre.

Nous donnâmes, en 1814, le triste spectacle d'un peuple qui s'abandonne lui-même et qui laisse à l'armée la défense du territoire. Alors reparut une dynastie dont pas un homme de notre âge n'avait entendu parler, qui redemandait le trône,

assurant qu'elle seule pouvait faire le bonheur de la France. Lorsque Charles II entra dans Londres, il ne trouva pas une nation nouvelle. Les luttes parlementaires de 1640, pour avoir dégénéré en guerre civile, n'avaient rien changé au fond de la société anglaise. En France, au contraire, la révolution avait été complète : elle ne s'était point arrêtée aux surfaces de la vie politique, et elle avait pénétré jusque dans les derniers replis du corps social.

Quand une dynastie proscrite vient reprendre le trône, elle n'a d'autres titres et d'autre sens que de représenter les sentiments et les vœux de cette partie de la nation qui n'a pas voulu passer sous la bannière des idées nouvelles et de la révolution accomplie. La légitimité historique représente le passé qui veut prendre le pas sur le présent et l'avenir de la société, et il ne saurait y avoir de restauration sans qu'elle songe à contraindre la révolution à s'avouer vaincue. Alors, trois opinions se partagent ordinairement le pays. Les partisans purs et complets de la légitimité veulent en faire le premier principe social. D'autres personnes, apportant dans le débat une modération plus politique, disent à la légitimité : Oui, vous avez raison, et nous reconnaissons en vous le principe premier de la constitution sociale; mais convenez aussi que depuis vous il s'est passé quelque chose, et que des faits nouveaux se sont accomplis. Or, ces faits sont les droits et les intérêts populaires; on les présente à la légitimité pour qu'elle les amnistie et consente à les couvrir de son sceau et de sa prérogative. Enfin d'autres hommes, plus entiers dans leurs jugements, professent dès l'abord l'incompatibilité des deux principes, en estiment l'accouplement monstrueux, et se refusent à la transaction, à cette primauté du passé sur le présent. Ils soutiennent qu'une restauration ne saurait jamais être qu'une courte transition; que c'est le dernier effort de l'ancien ordre pour revivre et régner, résurrection passagère ou plutôt exhumation factice qui, à leurs yeux, ne fait que mieux constater l'irrévocable mort de la vieille dynastie.

Il faut que la constitution d'un pays découle d'un principe unique sans cela, on n'attacherait pas une aussi grande importance au préambule des chartes. J'ai cité la déclaration des droits de l'homme qui ouvre la constitution de 1791. Louis XVIII commença sa charte par un préambule qui la faisait émaner de l'octroi royal, de la légitimité. Qu'a-t-on fait après la révolution de 1830? on a supprimé le préambule : qu'est-ce à dire? qu'entre la légitimité et la souveraineté nationale on a voulu que l'une fasse place à l'autre; il n'y avait pas là d'éclectisme possible.

Que reste-t-il donc en France après nos deux révolutions, sans theorie, mais en fait? Quelle est la réalité reconnue de tout le monde, devant laquelle sont venues tomber toutes les fantasmagories diverses qui ont brillé quelques jours? A cette question, posée par Sieyès en 1789, la réponse sera aujourd'hui plus facile et plus générale que reste-t-il en France? le peuple. La France est une vaste démocratie à des degrés différents. Plus de clergé constitué en corporations: les ministres de la religion catholique et des autres cultes sont rétribués sur le budget. Plus de noblesse historique : Louis XI, Richelieu et la Convention l'ont effacée. Que restet-il donc, encore une fois? Le peuple. En quoi réside la raison de toute chose? Dans les droits et les intérêts du peuple français. Et c'est en ce sens qu'il est vrai de dire que toute souveraineté réside dans la nation; c'est-à-dire que la souveraineté, mélange de raison, de justice et de volonté, qui représente à la fois ce qu'une nation croit, pense et veut, est dans le peuple et pas ailleurs.

Voilà pourquoi la destruction de la vieille légitimité, qui s'appuyait sur le droit divin et l'épée féodale, qui prétendait avoir une raison qu'elle n'avait pas puisée dans les intérêts et le consentement de la nation, est une œuvre salutaire (1). Désormais, il faudra bien que la conception phi

(1) Je me trompais. Il n'est jamais salutaire pour une, nation de se sé

losophique et nationale de 1789 poursuive sa ligne droite, et qu'elle développe avec des progrès périodiques la liberté et la propriété. La philosophie de la révolution n'est pas subversive de la propriété, elle en est propagatrice; son vœu le plus cher est de la communiquer à tous, et nou de la troubler dans ses principes naturels.

Un mot sur la révolution française en face des autres peuples. Elle a renoncé aux conquêtes; son génie tout philosophique n'est pas celui d'Alexandre, de César ou de Napoléon ; il tend à la paix, se regarde comme solidaire de la liberté du monde; il est par excellence social et humain. Vers la fin du cinquième siècle de la république, un ami de Lélius et du second Scipion l'Africain fit entendre ce vers sur le théâtre de Rome :

Homo sum, et humani a me nihil alienum puto.

L'assemblée se leva tout entière, et tous battirent des mains. Pour ces Romains qui méprisaient si fièrement le monde, pour ces plébéiens, ces patriciens et ces affranchis qui avaient d'autres intérêts que ceux de l'humanité même, c'était une révélation que ce cri de Térence : Homo sum. Quand Jésus de Nazareth mourut sur la croix, quel est le mot prononcé sur lui par le christianisme : Ecce homo, c'est-à-dire ce n'est ni un Juif, ni un Romain, ni un Grec, ni un barbare, c'est l'homme qui se dévoue et qui meurt pour l'humanité. Quand

parer violemment d'un passé qui a fait sa gloire. La chute de la Restauration a eu de funestes conséquences. Elle a ébranlé l'ordre social tant en France qu'en Europe; elle a enflamné les esprits; elle a ramené le goût des agitations et des bouleversements. La société, remuée jusque dans ses fondements, laissa monter à sa surface ces passions mauvaises et ces théories folles qui, dans des époques bien ordonnées, manquent de moyens et d'audace pour se produire. Au surplus, notre impuissance à fonder un autre 1688 est une démonstration qui peut se passer de commentaires. (Note de la 3e édition.)

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