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Il importe donc, après avoir constaté les progrès de la liberté dans l'histoire, d'en vérifier encore les développements par la pensée et la philosophie. Mais il faut choisir dans cette revue. Tout enseignement n'est qu'une méthode, toute méthode n'est qu'une élection; et nous devrons abstraire de l'histoire infinie de la philosophie ce qui dans notre sujet est vraiment élémentaire et monumental; comparer dans les époques fécondes les grandes théories, les saisir tantôt d'accord avec leur temps, tantôt au delà, conséquence ou principe d'une révolution sociale; reconnaitre jusqu'à quel point le grand homme que nous examinerons représente son siècle, le complète, le détruit ou le surpasse. La philosophie n'est pas la réflexion pure d'une époque; elle peut avoir cette face, mais elle en a d'autres; comme elle est l'homme lui-même, elle en prend tous les tons et toutes les positions: tantôt elle prépare la religion, tantòt elle s'y incorpore, tantôt elle ébranle son propre ouvrage ; mais, idées ou symboles, insurrection de l'intelligence ou autorité de la foi, c'est toujours la philosophie, toujours l'homme, toujours la puissance de l'homme, et pour trouver autre chose, il faut sortir de la terre.

Platon naquit dans la quatre-vingt-septième olympiade, presque au moment où Périclès en mourant emportait avec lui toute la majesté de la démocratie athénienne. Platon. dans son enfance et dans sa jeunesse, vit les excès du peuple, les revers de l'expédition de Sicile, la carrière orageuse et brillante du bel Alcibiade, la mort de Socrate, Athènes vaincue, et Lacédémone ne laissant plus à cette reine de la Grèce que la dictature de la pensée. Il employa sa vie à former dans son âme une harmonie complète de tout ce qu'un homme peut aimer et savoir; il voulait retrouver en lui cet accord sublime, cette povo divine des Grecs où vibrent toutes les cordes de l'art, de la science et de l'amour. Il alla en Égypte, parcourut l'Italie, séjourna trois fois en Sicile, voyagea dans la Grèce pour en recueillir les

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mœurs, les coutumes et les lois (1), instruisit Dion, tenta de corriger Denys tour à tour voyageur, philosophe, politique, écrivain, il a abandonné la vie la plus complète pour l'immortalité la plus éclatante.

C'est au fond des temples de l'Égypte qu'il alla puiser les doctrines orientales, qu'il devait opposer à l'esprit de son siècle; mais, pour en parler, il faut attendre que la main chargée de lever le voile des sanctuaires de Saïs ait livré ses trésors à l'érudition française (2).

A côté de l'Égypte, et avec une égale importance pour l'intelligence de Platon, se place un fait jusqu'alors unique dans l'histoire de la philosophie. A l'entrée du golfe de Tarente, sous le beau ciel de la Calabre, à Crotone, arriva un jour un philosophe que les uns ont fait naître à Samos, les autres ailleurs. Ce sage, par sa parole, rassembla autour de lui d'innombrables disciples; on en compta jusqu'à trois mille; il put fonder une école où ces disciples se soumettaient au noviciat le plus rigoureux, à une discipline constamment sévère, déposaient leurs biens aux pieds de leur maître, et formaient sous sa loi une communauté philosophique (3). Cette société eut d'abord la faveur populaire; jamais plus de vertus n'avaient brillé dans une multitude plus choisie, plus aristocratique de perfection et de sagesse. Mais bientôt elle ·

(1) Voir l'Histoire des législateurs et des constitutions de la Grèce antique, tom. II, chap. xiv. Syracuse. (Note de la 5e édition.) (2) « L'interprétation des monuments de l'Égypte mettra encore mieux « en évidence l'origine égyptienne des sciences et des principales doctri« nes philosophiques de la Grèce. L'école platonicienne n'est que l'égyptianisme sorti des sanctuaires de Saïs, et la vieille secte pythagoricienne propagea des théories psychologiques développées dans les peintures et « les légendes sacrées qui décorent les tombeaux des rois de Thèbes, au « fond de la vallée déserte de Bibanel-Molouck.» (Discours d'ouverture du cours d'archéologie de M. Champollion jeune, au Collège de France.) (5) Voir l'épilogue de l'Histoire des législateurs et des constitutions de la Grèce antique.

(Note de la 3e édition.)

fut accusée d'ambition et de nouveautés coupables. Pythagore fut proscrit, l'école dispersée; les disciples se répandirent dans les villes de l'Italie et dans la Grèce. Platon vit les pythagoriciens, élèves comme lui des prêtres de l'Égypte; et il continua dans ce commerce de s'abreuver à longs traits de cette sagesse orientale qui convenait si bien à son cœur et à son génie. Alors, plein de l'orient de l'Égypte et de cet autre orient élaboré par Pythagore; disciple de Socrate, mais dépassant son maître; poëte et prophète de la philosophie dont Socrate avait été le moraliste et le martyr; résumant la Grèce et son siècle pour les contredire et les ébranler, il jeta son idéal entre le polythéisme et le christianisme, artiste grec destiné à l'idolâtrie des chrétiens.

Quatre dialogues, le Gorgias, les Lois, la République, le Politique, nous livrent surtout la philosophie sociale de Platon. Je ne parle pas des lettres qui lui sont attribuées, dont l'authenticité est tout à fait suspecte, et qui ne font que reproduire sous la forme de conseils des principes établis ailleurs. Dans le Gorgias, Platon a tracé la théorie de la justice, du juste en soi idée éternelle, pure de toute utilité contingente, et, comme conséquence, la théorie de la pénalité, dont le but est de ramener l'homme au juste, de le réconcilier avec le bien en l'instruisant et en le purifiant. Les Lois (et ce point est capital) furent écrites dans les derniers jours de la vieillesse de Platon, trouvées après sa mort, et ne circulèrent jamais de son vivant, ni dans son école ni dans la Grèce. Elles présentent une espèce de transaction entre les théories absolues du philosophe et l'application possible et pratique; ou plutôt, dans notre pensée, elles sont la décadence du génie de Platon, dont le dogmatisme chancelait; car enfin il avait vu Aristote qui était venu l'entendre à l'Académie; il avait pu être ébranlé par ce génie observateur, vouloir laisser un monument de politique plus positive, plus praticable et plus grecque. Oui, on peut se représenter ce grand homme dans les langueurs, les découragements et

les doutes de l'inspiration qui l'avait animé, suspendu entre lui-même et son disciple qui va devenir son rival, ne croyant plus tant à l'Orient, depuis qu'il a pu voir les premiers progrès de la monarchie macédonienne, écrivant dans cette disposition, d'une main mal assurée, une dernière œuvre incertaine, quelquefois incohérente, où son génie semble atteint de lassitude, et ne recueille pas énergiquement ses forces. pour se livrer tout entier une dernière fois.

Quoi qu'il en soit de la valeur de cette conjecture, c'est se tromper tout à fait que d'aller chercher dans les Lois le véritable esprit de la politique platonicienne (1). Dans ce livre, Platon, après avoir montré l'importance des vertus morales, du courage, de la justice, met la législation en rapport avec l'imperfection humaine, fait des excursions historiques dans la Crète et dans Lacédémone, passe à la pénalité proprement dite comme conséquence de la justice et de l'éducation, dresse une espèce de catalogue des délits sociaux à punir, et finit par établir un pouvoir suprème qui devra conserver le principe constitutif de l'État et le sauver des révolutions. On ne nous prêtera pas l'intention de méconnaître dans les Lois un

(1) Nous craignons que M. Cousin, par son éclectisme, n'ait été conduit à effacer un peu le caractère dogmatique et exclusif de la politique de Platon. Dans l'argument philosophique dont il a fait précéder les Lois, il nous paraît trop enclin à faire tourner Platon dans le cercle des idées ordinaires et des institutions grecques; ainsi, il le compare à Montesquicu, dont le gouvernement aristocratique de l'Angleterre était l'idéal, comme celui de Lacédémone était l'idéal de Platon. Il va jusqu'à dire que les Lois sont, `à proprement parler, le seul monument politique de Platon. Ce point de vue ne nous semble pas historiquement exact. Le vrai Platon n'est ni un parallèle de Montesquieu ni une nuance d'Aristote. Les draperies grecques ont trop caché à l'habile traducteur la statue égyptienne. Nous regrettons qu'il n'ait pas abordé le Politique ou la République avant les Lois; cette priorité eût été à la fois plus conforme à la hiérarchie rationnelle des théories platoniciennes et à leur développement chronologique. Une fois entré dans cette voie, le savant professeur n'eût plus prêté à Platon des idées de milieu et de transaction, ou des principes modernes tels que l'institution du jury,

riche trésor de faits et d'aperçus sur les mœurs et la législation de la Grèce, mérite précieux pour nous, et qui surtout avait frappé Montesquieu. Mais ce n'est pas là qu'il faut aller chercher le dogmatisme même de Platon; entrons dans sa République.

La République, partagée en dix livres, est sans contredit le morceau le plus complet qu'ait façonné le génie du fils d'Ariston. La pensée y déploie toute son audace, la poésie toutes ses richesses, l'art toute son industrie. Comme le temps n'était pas bien loin où Socrate avait bu la ciguë, la spéculation n'avait pas tort de chercher des voiles et des allégories. Le dialogue commence par une discussion sur le juste entre Glaucon, Polémarque, Adymante, Nicérate et quelques autres, qui revenaient d'une fête célébrée au Pirée, et il se termine par un magnifique symbole de croyance et de foi à l'immortalité de l'âme. Quand Socrate a confondu les sophistes par une ironie aussi divertissante et plus profonde que la plaisanterie d'Aristophane, quand il a établi qu'il y a une justice indépendante des accidents humains et des caprices du paradoxe, il laisse entrevoir qu'il aurait à montrer un modèle de république où les hommes seraient parfaitement justes et heureux. Il est pressé peu à peu par ses amis de laisser voir, de développer sa pensée. Il est merveilleux de saisir comment, dans le dialogue de Platon, Socrate est toujours forcé dans ses retranchements pour découvrir le fond de ses idées, pour se dévoiler lui-même, et comment ce qu'il y a de plus hardi et de plus novateur s'enveloppe et se sauve dans l'harmonie et la suavité des formes.

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Mais laissons de côté ces délicatesses de l'art; brisons cette économie ingénieuse pour abstraire du dialogue même les idées fondamentales qui le constituent. Comment l'État dont vous parlez, Socrate, est-il possible? A cet interlocuteur, Socrate ne craint pas de répondre que peut-être cet État est vraiment impraticable, et que, si la république qu'il se représente est impossible, c'est que jamais on ne

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